Chapitre 4

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En entrant dans la classe, je ne peux m'empêcher de penser aux dernières paroles prononcées par Alex "Ça me plait".
Qu'a-t'il voulu dire par là ? Est-ce que je lui plais ? Est-ce que mon style lui plait ? Est-ce que mon caractère lui plait ? Est-ce que ma repartie lui plait ? Est-ce que je lui plais réellement ?

- Arrête de te prendre la tête ! me crie mon subconscient. Tu risques de nous rendre fous tous les deux !

En attendant, il n'a pas tord. Mais je ne peux m'empêcher de retourner toutes ces questions dans tous les sens afin de deviner une réponse probable-qui-pourrait-s'éloigner-de-la-vérité-vraie-mais-qui-me-conviendrait-à-moi.

- Mais pourquoi est-ce que tu t'en préoccupes tout à coup ? Pour un garçon qui t'énerve et que tu ne connais pas, tu as l'air bien plus intéressée que tu ne veux l'admettre...

Quelle garce cette conscience ! Si je pouvais, je lui arracherai les deux yeux et les...
Mes pensées sont tout à coup interrompue par la scène qui se déroule devant mes yeux : ma (soit-disant) meilleure amie (qui devait me garder une place auprès d'elle) est en train de papillonner des yeux à côté d'un garçon que je ne connais pas.

Lorsque celle-ci me voit m'approcher, il me semble qu'elle peut sentir la colère sourde qui hurle en moi :

- Ne t'énerve pas Charlotte ! Je t'avais gardé une place, je te le promets. Mais le prof a dit que nous devions nous asseoir par ordre alphabétique. Du coup, j'ai été obligée de laisser ta place à Ethan.
- Pas de problème, murmure-je entre les dents.

Le fameux Ethan se retourne alors et me toise de ses grands yeux bleus :

- Salut, moi c'est Ethan ! Je suis le demi-frère d'Alex, nous sommes tous les deux nouveaux ici.

Tout s'explique... Il suffit que deux nouveaux arrivent pour qu'en quelques minutes, tous mes repères s'envolent aussitôt. Mais à la différence d'Alex, Ethan semble empreint d'une réelle sincérité et ses yeux ne sont ni obscurs, ni mystérieux. Au contraire, ils sont d'un bleu limpide et donnent l'image d'un regard doux et apaisant. Physiquement, je me rends même compte qu'Ethan est le contraire d'Alex. Il possède des cheveux châtains clairs, coupés courts sur le côté et coiffés en bataille sur le dessus. De fines lèvres, un nez fin et des pommettes saillantes viennent compléter ses yeux bleus.

Il poursuit alors :

- Je m'excuse vraiment pour avoir dû prendre ta place. Mais le prof a dit que nous devions nous asseoir en ordre alphabétique et du coup...
- Aucun problème, je t'assure !

Tout à coup, pour la seconde fois de la journée, mon sang se glace et mon estomac se tord. Mon cerveau semble me lancer des signaux d'alerte mais mon corps refuse de les écouter, captiver par ce que je viens de comprendre.

- Si nous devons nous placer par ordre alphabétique... Cela signifie que je suis à côté de...
L'image du directeur faisant l'appel de ma classe surgit dans mon esprit.
"... SAVRAI Alexandre, SAVORY Charlotte..."
- Cela signifie que je suis à côté d'Alex.

En me dirigeant vers ma place, je tente malgré moi de conserver le peu de dignité qu'il me reste. Lui est déjà assis à une table, son téléphone en main, ne se souciant pas des regards inquisiteurs qu'il attire autour de lui.

En arrivant à sa hauteur, il lève les yeux vers moi et m'interroge du regard. Sans même lui laisser le temps de me questionner plus en détails, je lui réponds sèchement :

- Nous devons nous asseoir par ordre alphabétique et il semblerait que tu sois juste avant moi sur la liste.
- Aucun problème, ne m'agresse pas Miss Converses !
- D'une, je ne t'agresse pas, je t'explique juste le pourquoi du comment ! Et de deux, arrête de m'appeler comme ça ! Je m'appelle Charlotte, point barre.
- Très bien, va pour Charlotte point barre alors.
- Non mais tu le fais exprès ?
- A quel sujet Charlotte point barre ?

Je sens monter en moi un excès de rage. Ce mec est juste insupportable ! Tellement insupportable que j'ai envie de le balancer de sa chaise et de le piétiner avec mes Converses. Et de lui faire avaler. Mais si je lui réponds, je risque d'être vulgaire et méchante. Je préfère éviter les afflux de sang dès le premier jour, surtout si nous devons passer quelques temps (heures ?) l'un à côté de l'autre.

Je décide alors de l'ignorer, et de prendre place à côté de lui, presque malgré moi. Je sens à nouveau son regard et son sourire peser sur moi. Si je le pouvais, j'échangerai volontiers ma place contre n'importe qui. Quelques rangs devant moi, j'aperçois Manon, en grande conversation avec Ethan. Elle est radieuse et semble être complètement absorbée par son voisin. Quelle chance...

J'entreprends alors de sortir mes affaires : ma trousse, un cahier de brouillon. Et ma vieille règle fétiche mauve, dont je ne me sépare jamais depuis ma 6ème, et où il est inscrit mon prénom ainsi que sa signification.

A cet instant, mon professeur principal rentre dans la classe. Madame Ferry est notre professeur d'anglais. C'est une petite femme blonde, un carré court sous les oreilles. Impeccablement vêtue d'un tailleur noir, elle commence alors :

- Bonjour à tous. Je suis Madame Ferry, votre professeur principal ainsi que votre professeur d'anglais. Je vois que vous vous êtes installés par ordre alphabétique, comme je vous l'ai demandé. C'est parfait ! Pour des raisons pratiques, ceci restera votre plan de classe jusqu'à la fin de l'année.

A ces mots, je manque de m'étrangler. Elle poursuit :

- Je vais vous distribuer vos carnets de correspondance et vous détailler votre emploi du temps ainsi que la liste de vos professeurs. Ensuite, je vous expliquerai le déroulement de votre année de première tout en ne perdant pas de vue votre objectif final : votre épreuve anticipée du bac au mois de juin.

Je n'arrive plus à me concentrer sur ses mots. Je suis restée bloquée sur le plan de classe. Je n'arrive pas à y croire. Je vais donc devoir supporter ce naze jusqu'à la fin de l'année ? Je n'y arriverai jamais ! En moins de 10 minutes, j'ai déjà envie de le piétiner. Comment vais-je faire pour le supporter 8 heures par jour pendant 9 mois ? Il faut que je trouve quelque chose pour changer de place. Je vais demander à Louise. Oui ! Elle sera ravie d'être à côté de lui et...
Le naze en question me tire de mon plan de bataille :

- Tu peux me filer un stylo ? J'ai oublié ma trousse.
- Tu débarques le premier jour sans trousse toi ?
- Bah ouais, j'ai fait mon sac ce matin et...
- Peu importe, le coupe-je. Tiens.
- Jolie règle dis-donc ! Tu ne te souviens plus de ton prénom et tu as besoin qu'on te le rappelle ? Mais il manque un petit quelque chose non ?
- Mais de quoi est-ce que tu parles ?
- Et bien... Tu t'appelles "Charlotte Point-Barre" non ? me dit-il, complètement fier de sa blague pourrie.
- Ta gueule.
- Les deux du fond, s'écrit tout à coup mon professeur. Vous comptez discuter encore longtemps ? Sinon vous pouvez allez prendre un café au coin de la rue si vous souhaitez faire plus ample connaissance. Mais ici, on se tait. C'est compris ?

Tous les regards de la classe sont braqués sur nous, y compris Manon qui me lance un clin d'œil mi-ironique, mi-réprobateur. Je suis rouge cramoisie et je n'ose même plus bouger. En guise de réponse à mon professeur, je mime un "oui" de la tête et baisse les yeux. Je l'entends alors me chuchoter :

- Ne t'en fais pas, je n'ai pas besoin d'un café pour apprendre à te connaître.

L'année s'annonce longue. Très longue.

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