Chapitre 5

1.9K 152 3
                                    

Cela fait une semaine que ma mère est à Paris avec ses amies m’abandonnant à mon sort dans notre maison. Je n'ai pas revu Clay depuis, pour mon plus grand bonheur. Je le dois à mon entraîneuse qui, une semaine avant la rentrée des classes, a décidé de me remettre au boulot. J'ai bientôt une compétition, et je dois la remporter si je veux espérer pouvoir un jour être qualifiée pour les Jeux olympiques.
Je suis épuisée, mais je bosse sans me plaindre. J'ai besoin d'être occupée, besoin que quelqu'un m'aide à rester le plus possible éloignée de lui. Je crois que mon entraîneuse a compris qu'il se passait quelque chose, mais, comme à son habitude, si je ne lui parle pas directement, elle ne pose pas de question, tant que je continue à faire ce qu'elle exige… être la meilleure. Je travaille avec acharnement pour l'être. Jusqu'à maintenant, j'ai réussi à me maintenir à mon plus haut niveau, avec plus ou moins de succès, mais toujours en donnant mon maximum. Et, quelque part, je me dis que ce doit être en partie causé par la solitude. Je bosse plus, car ça m'empêche de trop penser. Si je n'avais pas le patinage, ça ferait un moment que je me serais écroulée.
Je termine mon enchaînement et rejoins Tania.
— Je pense que je peux mieux faire, dis-je en approchant.
— Non Tessa, c'était parfait. Tu peux y aller.
— Mais...
— Tessa, ça fait plus de quatre heures que tu es là. Il faut te reposer. Rentre chez toi, profite de ton week-end avant la rentrée. On se revoit lundi.
J'acquiesce à contrecœur. J'aurai pu rester encore des heures sur la glace, mais elle a une famille. Elle me donne déjà beaucoup de son temps, je ne peux pas la priver d’en passer avec les gens qu'elle aime.
— Allez ma belle, je suis sûre que, toi aussi, tu vas trouver de quoi t'occuper.
Elle imagine que, parce que je suis jeune, je profite de la vie. Si seulement elle savait que seule ma télévision m'attend à la maison pour me tenir compagnie... Je retire mes patins, que je range dans mon sac et bois une bonne gorgée d'eau avant de mettre ma veste et de suivre ma coach à travers la patinoire.
Elle me raconte que ce week-end, avec son mari, ils emmènent leur fille pour la première fois dans un super parc à thème. À l'entendre, je ne sais pas qui de sa fille ou d'elle est la plus impatiente. J'ai à peine les fesses posées sur mon siège que mon téléphone sonne. Je grogne, imaginant que c'est encore Clay qui m'appelle, mais je souris en découvrant le nom de Jess.
— Salut, réponds-je en souriant.
— Tu fais quoi ? me demande-t-elle directement.

Je dois éloigner mon téléphone de mon oreille. Je ne sais pas où elle se trouve, mais entre elle qui crie, la musique à fond et les voix que je perçois, je suis bonne pour devenir sourde.

— Bonjour, oui, je vais très bien, merci de demander, répliqué-je ironiquement.
— Désolée, mais tu fais quoi ? insiste-t-elle en criant.
— Tout va bien ?
— Oh oui, ça va ! Tu vas me répondre à la fin, ricane-t-elle.
— Je sors de l'entraînement, je vais rentrer chez moi.
— Je t'en supplie, rejoins-moi.
Je soupire et tente de trouver le moyen d'échapper à la soirée qu'elle a visiblement prévue.
— Je ne sais pas, je suis épuisée, j'ai juste envie d'une bonne douche-là.
— Eh bah rentre, prends une douche et rejoins-moi.
— J'ai le choix ?, demandé-je en connaissant déjà la réponse.
— Absolument pas ! À tout’, dit-elle avant de raccrocher.
Je grogne en laissant tomber ma tête sur l'appuie-tête. Mon téléphone vibre m'annonçant l'arrivée d'un message avec l'adresse où elle se trouve et un mot “Magne-toi”. Super ! Je lance mon téléphone sur le siège passager et démarre la voiture.
Après un rapide crochet chez moi, me voilà dans le bar indiqué par Jessica. Quand j'ai vu que c'était à la limite entre les quartiers Sud et Nord, je me suis dit que ma petite robe moulante grise n'était peut-être pas une bonne idée, mais je refuse qu’on me force à m’habiller d'une certaine façon plutôt que d'une autre. J’estime que les femmes devraient pouvoir s'habiller comme bon leur semble sans avoir à s'inquiéter. J'ai malgré tout mis une veste en jean oversize, avec des baskets blanches. Après mes heures d'entraînement, j'ai mal aux pieds et je n'aurais jamais pu porter de talons.
Je serre contre moi mon sac à bandoulières, qui est passé sous ma veste, quand je croise le regard de deux mecs qui fument une cigarette. Je me retiens de baisser mes manches lorsque leurs regards descendent sur mon poignet, sur ma montre qui brille sous le reflet de la lumière. Malgré tout ce que ce lieu hostile m'inspire, je garde la tête haute et pénètre dans le bar.
Je suis agréablement surprise en découvrant une ambiance joyeuse, sous un air de musique, des éclats de rire et des conversations animées se font entendre. Je balaye la pièce du regard pour tenter de trouver mon amie. Des tables en bois brut sont disposées un peu aléatoirement, entourées de banquettes, ce qui les rend plus intimes. Au fond, un bar que je peine à distinguer vu le monde, et sur la gauche une scène qui doit servir à des artistes, car des instruments sont installés. Je finis par repérer Jessica et j'avance vers elle en l'observant, totalement détendue et souriante avec ses amis, que je ne connais pas. C'est la première fois que je vais les rencontrer, alors que ça fait plus de dix ans que nous sommes amies. Son attitude est totalement différente de celle qu’elle arbore au lycée, froide et désinvolte avec les autres élèves. Je ne peux pas lui en vouloir, je sais que de leurs côtés, ils ne la portent pas non plus dans leurs cœurs, simplement parce qu'elle n'habite pas dans les beaux quartiers.
Comme si elle sentait ma présence, elle se tourne vers moi et m'offre un grand sourire en se levant. Elle me rejoint et me prend dans ses bras. Ses cheveux gris, attachés dans une sorte de chignon flous sur le sommet de sa tête, dévoilent ses oreilles percées sur toute la longueur. Elle porte un débardeur qui s'arrête en dessous de sa poitrine, dévoilant son ventre et le piercing à son nombril. Son bras, recouvert de tatouages, s'enroule autour de mon cou pour m'attirer vers ses amis.
— Les gars, je vous présente Tessa.
Tous lèvent les yeux vers moi. Le premier à me saluer est très grand, il doit faire deux têtes de plus que moi, une carrure imposante, tout en muscles, que je devine à cause de son tee-shirt sur le point de craquer. Il a une barbe bien fournie et des cheveux plaqués en arrière.
— Eh bien ravis de te rencontrer. Ne le prends pas mal, mais on commençait à se demander si tu existais vraiment, ou si tu étais une amie imaginaire.
Je ne peux m'empêcher de pouffer de rire. Jess lui met une tape amicale. Il l'attire à lui en enroulant son bras autour de sa taille.
— Tessa, voici mon mec, Blake.
— Enchantée.
— Je te présente, Ash, Tony, Elio, Reed.
Mon regard passe sur chacun, ils me saluent tous d'un hochement de tête, mais lorsque mes yeux se posent sur le quatrième, qui lève la tête vers moi, je perds toutes mes couleurs. Il est là… c'est lui… le beau brun ténébreux de la boîte. Je ne savais pas que Jess le connaissait. Je rougis aussitôt, mais tente de le dissimuler le plus rapidement possible. Il me fixe sans rien laisser paraître avant de se concentrer de nouveau sur la fille qui est quasiment assise sur lui.
— Là, c'est Veronica, poursuit Jess
Cette dernière, me lance un regard hautain, en parcourant mon corps d'un œil mauvais.
— La princesse a quitté ses beaux quartiers, lance-t-elle avec un sourire arrogant.
—Véro ! lance Jessica. Ne fais pas attention à elle, elle aboie, mais elle ne mord pas, me dit-elle plus bas.
Je rigole nerveusement, à cet instant précis, je suis persuadée que si, bien au contraire, elle ne fait pas qu'aboyer. Je laisse tomber, mais le coup de grâce arrive quand Blake me demande ce que je veux boire.
— Rien, merci, ou juste de l'eau.
— Quoi ? Notre bar n'est pas assez bien pour toi ? lâche Veronica.
— Pas du tout, j'ai une compétition bientôt et je...
— Laisse courir, t'inquiète, me dit un des gars à table dont je ne me souviens plus le prénom.
—Veronica peut passer pour une vraie garce, mais dans le fond, elle est sympa, me dit une fille qui vient d'arriver.
— Euh... Ok.
— Je suis Carla, une amie de la bande.
— Pardon, moi, c'est Tessa.
Après son petit numéro, Véronica, retourne s’affaler sur Reed, sans me quitter du regard. Son air menaçant me fait clairement comprendre son message “Il est à moi". Elle saisit son visage et l’embrasse à pleine bouche. Je ne peux m’empêcher de fixer la scène devant le ridicule de cette situation. Comme si j’en avais quelque à faire ! C’est ça Tessa, souffle cette petite voix dans ma tête.
Depuis ce fameux soir, il hante mes pensées et le voir avec une autre ne me laisse pas indifférente. Même si après tout, rien n’est possible entre nous, je ne suis pas seule.
J'occulte complètement la désagréable présence de Véronica, en me demandant d'ailleurs comment Jessica peut être amie avec cette fille.
Finalement, je passe une agréable soirée. Je suis ravie de faire enfin la connaissance de ses amis. Jessica est quelqu'un de plutôt solitaire, sa rencontre avec Blake lui a permis de s'ouvrir aux autres, et elle a parfaitement intégré ce petit groupe qui a l'air d'être vraiment soudé.
— Tessa, c'est toi ?
Je me retourne, surprise par cette voix qui vient de mon autre monde. Je fais face à Loane, qui porte un jean slim retroussé sur les chevilles et un tee-shirt basique noir avec le logo du bar.
— Salut, je ne savais pas que tu travaillais ici.
— Oui, il faut bien que je finance mes études, dit-elle avec un grand sourire en haussant les épaules.
— C'est cool, réponds-je sans savoir trop que dire.
Loane est une fille sympa, qui ne fait pas partie de "mon cercle" au lycée. Du genre discrète, toujours un livre à la main, nous n'avons jamais trop échangé hormis en classe.
— Oh Jess, tu es là, aussi.
Jess, l’asociale, se contente de lever la main en signe de salutations. Loane sourit puis se reconcentre sur moi.
— Vous venez à la soirée d'Emy ?
— Je ne sais pas trop. Et toi ?
— Oui, j'y vais. Ces soirées sont géniales et ça permet de retrouver tout le monde avant la rentrée. Bon, je dois y aller. À demain les filles.
— À plus, bon courage.
J'avais complètement oublié la fête chez Emy. Avec Clay, je vais sans doute être obligée d'y faire un tour. J'espère simplement que Jess viendra elle aussi.
— Alors, on va à une fête demain ? me dit Ash en posant son bras sur mon épaule.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, réponds-je gênée.
— Ça va, détends-toi, je plaisante.
— Tess, on va y aller ? me dit Jess.
— Oui, si tu veux. Je vais au petit coin avant.
Je me dirige vers la pancarte au-dessus de la porte. Le couloir est sombre et étroit. J’entends des murmures. Je lève le nez et me fige lorsque je le vois. Reed est appuyé contre le mur, la tête baissée, ses deux mains en appui sur le crâne de Véronica. Elle est à genoux devant lui en train de lui faire une fellation. Merde ! Je recule en essayant de faire le moins de bruit possible. Je tente de regagner discrètement la porte, mais à la seconde où je l'ouvre, je croise son regard, il arbore un sourire en coin, avant de se reconcentrer sur la pétasse Beurk ! Ils ne peuvent pas faire ça ailleurs sérieusement ? Je retourne à la table où Jessica se lève en me voyant.
— Tu as fait vite, dis donc.
— Il y avait trop de monde, je n'avais pas envie d'attendre.
— Ça va ? T'es toute rouge.
— Oui, oui, on y va ?
Je porte mes mains sur mes joues. J'ai été incapable de masquer mes émotions alors que d’habitude, j’y arrive parfaitement. Nous saluons tout le monde et finissons par regagner la voiture.
— Alors, tu as passé une bonne soirée ? me demande-t-elle.
— Oui, vraiment, ils sont tous très sympas.
— Je te l'avais dit. Désolée encore pour Veronica, elle n'est pas comme ça, d'habitude.
— Je pense qu'elle voulait faire passer un message “pas touche à mon mec”.
— Avec qui ? Reed ? Pas du tout, ils ne sortent pas ensemble.
Je m'arrête au feu rouge et me tourne vers elle, surprise. Pour des personnes qui ne sortent pas ensemble, ils avaient l'air très proches…Vraiment très proches.
— Alors, elle espère sans doute qu'il acceptera de sortir avec elle.
— Mouais, venant de lui, ça m'étonnerait. Elle lui court après depuis longtemps, d'après ce que m'a dit Blake, mais il semble juste vouloir en profiter.
Je me contente de hocher la tête, sans trop savoir que répondre, mais une part de moi se réjouit d'apprendre ça.
Je me gare devant chez Jess.
— Demain, on va chez Emy ?, lui demandé-je.
— Je ne sais pas Tess...
— Oh s'il te plaît, ne me laisse pas toute seule.
— Rrrrrh !.. T'es chiante !...  Bon OK !  mais je ne reste pas longtemps.
— Ça me va !
— À demain, dit-elle en sortant de la voiture.
— Bonne nuit.
Je la regarde rentrer chez elle et j'attends qu'elle referme la porte pour partir. Puis à mon tour, je rentre chez moi, accueillie par le silence. Je soupire en retirant mes chaussures. Parfois, j'aimerais avoir ma mère ou mon père, qui m'attendent de pied ferme pour me dire que je rentre trop tard, ou simplement pour être sûrs que je rentre bien à la maison... Je passe par la cuisine boire un verre d'eau, puis je monte me coucher.

I Never Stop Loving You 1 & 2 (Sous contrat d'édition) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant