Chapitre I - Vision royale

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1 septembre 2016 du calendrier terrestre.

Une douleur insoutenable lui vrilla le cerveau. Elle se sentit aspirée par un trou noir qui la priva de ses sensations, brouillant sa vue et bouchant ses oreilles. La jeune fille se retrouvait à nouveau coupée du monde réel. Des larmes coulèrent le long de ses joues, ne marquant pas la tristesse mais un trop-plein de rage et d'impuissance, tant elle aurait voulu que cessent ces « voyages incorporels » dont elle était victime depuis l'enfance. Lorsqu'elle put reprendre le contrôle de son corps, elle constata qu'elle se trouvait dans l'immense cour d'un château inconnu. Où avait-elle encore atterri ?

Il faisait fort sombre. Une atmosphère lugubre se dégageait de cet endroit, qui lui donna la chair de poule et l'oppressa, comme si le malheur régnait en maître en ces lieux. Des nuages couvraient un ciel zébré par des éclairs, mais il ne pleuvait pas. L'air, d'une chaleur caniculaire, suffocant, lui brûlait la gorge. Les murs de pierres grises tapissés de lierres du château paraissaient crasseux. Un liquide rouge visqueux recouvrait le sol par endroit, ressemblant à du sang, idée terrifiante que l'esprit de l'adolescente repoussa. Quatre tours s'élevaient à des hauteurs vertigineuses, à chaque coin de la bâtisse, sûrement pour contrôler les alentours.

Il régnait dans la cour un silence de mort. Pourtant, une foule était amassée non loin, près d'une estrade sur laquelle se tenaient deux personnes au port altier : un homme et une femme. Lors de ses incursions involontaires, la vision de Mélody était assez floue, ce qui l'agaçait toujours prodigieusement, mais elle parvenait à deviner le sexe des personnes grâce aux reliefs dessinés par leurs vêtements. Lorsqu'elle était petite, elle pensait que la longueur des cheveux était aussi déterminante. Néanmoins, lorsque sa mère lui avait fait remarquer que son père avait les cheveux longs et qu'il restait un homme, elle avait renoncé à tenir compte de ce critère.

Mélody parvenait à discerner la couleur sombre des longs cheveux et la silhouette fine et élancée de la femme sur l'estrade. Bizarrement, l'homme lui apparaissait plus net. Il ne bougeait pas, regardait intensément la foule. Dans ses iris jaunes brillait une lueur malveillante qui angoissa Mélody.

Elle sursauta quand la femme prit la parole.

Bien, maintenant que vous êtes tous arrivés, bande d'aces incapables, je vais enfin pouvoir vous indiquer votre mission !

Elle s'était exprimée avec calme, mais on percevait nettement l'agacement dans sa voix. Des frissons montèrent le long de l'échine de Mélody. Elle ne savait trop si c'était la faute du léger vent qui soufflait ou de l'oratrice qui dégageait quelque chose de sombre et d'inquiétant.

Retrouvez-moi l'enfant de cette prisonnière et ramenez-la-moi ! ordonna-t-elle sur le même ton.

Elle désigna trois personnes qui se tenaient en retrait derrière elle, leur intima d'un geste sec de s'avancer. Il s'agissait de deux soldats qui tenaient une femme par les bras. La captive gardait obstinément la tête baissée et se laissait traîner. L'oratrice saisit son menton et le releva brutalement, pour que la foule puisse la voir. Ce geste ne servit pas à grand-chose, car les longs cheveux de couleur magenta de la prisonnière pendaient devant son visage, camouflant ses traits.

Mélody eut pitié de cette pauvre femme, mais se savait impuissante à lui venir en aide, n'ayant pas en ce lieu de réalité charnelle. Un homme s'approcha alors de l'estrade, dans un cliquetis d'armure.

Altesse, plaida-t-il, c'est de la pure folie de croire que nous trouverons cette enfant avec si peu d'informations !

Un claquement de doigts se fit entendre et un éclair violet s'abattit sur lui. Le pauvre individu hurla de douleur et pleurnicha de désespoir, suppliant qu'on lui pardonne, puis s'effondra dans un ultime cri de souffrance, avant de sombrer dans l'inconscience. Personne ne s'approcha pour l'aider, les spectateurs restèrent de marbre devant cette cruelle punition.

Entre deux mondes - I : Oraméry {Publié chez H&C}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant