6. Le doute

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Kwan

Ma famille n'adhérait à aucune autre religion que le pouvoir. J'avais grandi sans la moindre dévotion pour un dieu quelconque. Pourtant, je priais. Un autre vestige de mes deux années d'emprisonnement.

Je ne m'agenouillais pas comme mon ancien compagnon de cellule. Si ces êtres avaient un quart des pouvoirs qu'on leur prêtait, ils devaient bien pouvoir m'écouter dans n'importe quelle position. Je ne leur devais rien. Je ne comptais pas sur eux pour régler mes problèmes. Ils étaient nuls pour ça. J'avais juste besoin de me confier... de me plaindre comme une tapette, pour reprendre mon père. Le gamin en moi refusait encore de se l'autoriser devant qui que ce soit. Et ce n'était pas ce que le monde attendait d'un homme à la tête d'une fortune frôlant le milliard.

Dieu ou les dieux, eux, quelle importance ? Ils étaient doués pour écouter sans juger. Alors je m'adressais à eux. Peut-être que j'aimais me confier au vide. Peut-être que j'aimais juste m'entendre parler. Mon oncle Ryong y verrait là une manifestation de mon ego démesuré. Mais lui ni personne n'était au courant pour mes " prières ". Et ce n'était pas prêt de changer.

Aussi fou que pouvaient paraître ces moments, ils me gardaient sain d'esprit. À tel point que certains jours, je savais être à deux doigts d'admettre que les dieux des gens n'étaient pas tout à fait nuls. Ce soir-là cependant n'en faisait pas partie.

Pieds et torse nus, un verre de cognac à la main, j'avançai vers la vue panoramique de Seoul endormi que m'offrait mon penthouse. J'avais réussi à fatiguer mon corps au cours de ces deux heures dans ma salle de sport. Mais mon esprit ne connaîtrait pas de répit tant que je n'aurais pas exprimé ce qui me minait depuis la veille, lorsque j'avais reçu les photos d'Alexa.

— Vous êtes nuls, larguai-je avant d'avaler l'alcool cul sec.

Une petite voix me suggéra de manifester ma frustration en explosant le verre, mais je lui rappelai que ces épisodes étaient loin derrière moi.

Je posai ma tête sur mon avant-bras collé à la verrière froide, comme si celle-ci pouvait me soulager d'une partie du poids sur mes épaules.

Lorsque je rouvris mes paupières fatiguées, l'éclairage tamisé de mon séjour m'offrit le reflet de mon corps tonique, mes lèvres rouges et mes cheveux bruns en caresse permanente avec les coins de mes yeux ambrés.

Mes traits délicats étaient un héritage de ma mère, qui aurait privé mon visage de toute virilité si ma ligne de mâchoire ne s'était pas finalement affûtée durant mes dix années d'exil en France.

J'aurais aimé que mon père fût là juste pour qu'il contemple l'homme qui avait remplacé la petite salope, comme il aimait m'appeler à l'époque.

Je possédais désormais le pouvoir de commander l'ajustement de toutes les postures d'une salle de réunion par ma simple présence. Captiver l'attention, imposer ma volonté, obtenir ce que je voulais, c'était ma spécialité. L'aura de prédateur autour de mon physique élancé et sec y était pour beaucoup. Mon visage peu expressif. Le calme avec lequel j'ordonnais même les pires sentences... Tout en moi criait le pouvoir.

À trente-deux ans, j'avais hérité de l'empire informatique dont mon paternel et une partie de moi-même ne m'estimeraient jamais digne. Je le manœuvrais toutefois d'une main de maître. Et j'aimais ça. Aussi passionné que rigoureux, j'étais accro au contrôle dans mon travail et dans pas mal d'aspects de ma vie, comme le sexe. J'en avais besoin pour pallier mon sentiment d'impuissance face au Karma.

Send (heart) nudesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant