Maelan ne sait vraiment pas quoi faire de la gamine en larmes qu'il a rattrapée. La jeune fille s'accroche à lui comme à une bouée de sauvetage, sauf qu'elle n'est pas tombée à l'eau, et que Maelan n'est pas sûr de flotter plus qu'elle. Lui aussi coule, depuis déjà bien longtemps.
— Ça va, c'est fini, tente-t-il maladroitement.
Le téléphone n'en finit pas de sonner, et Maelan, même si ce ne sont décidément pas ses affaires, finit par s'en emparer. La gamine tente de le rattraper, mais il est plus rapide et parvient à décrocher.
— Elea, oh mon Dieu, dis-moi que tu vas bien !
Maelan jette un œil à la jeune fille, remarque qu'elle a les yeux vairons, l'un bleu comme la peine, l'autre noir comme la colère.
— Je suppose qu'Elea est la gamine trempée que je viens de repêcher, lance-t-il. Nous sommes sur le port. Si vous pouviez venir la récupérer, ça m'arrangerait, je ne sais pas quoi en faire.
Un silence stupéfait l'accueille au bout du fil, et Elea en profite pour lui arracher le téléphone des mains. Elle raccroche et, dans un geste furieux, le jette à l'eau. Maelan en reste comme deux ronds de flanc.
— Foutez-moi la paix ! hurle la fille, à lui ou à l'homme du téléphone, il n'en est pas certain.
— Bon, ça suffit, grogne Maelan. J'ai pas toute la nuit devant moi. Tu habites où ? Je te ramène.
La gamine recule et le détaille avec fureur.
— Je rentre pas chez moi.
— Oh, si, tu rentres chez toi, et immédiatement. Tu habites où ? Si tu ne réponds pas, je te dépose au commissariat.
— Ça va pas, non ?
Maelan s'avance vivement, la saisit par la taille et la jette sur son épaule. Elea se met à hurler, il ne s'en soucie pas.
— Si tu ne me dis pas où te déposer, je te préviens, c'est le commissariat !
La gamine tempête, le frappe comme elle le peut, Maelan tient bon. Elle finit par lui hurler une adresse, et il se met tranquillement en route. Lorsqu'ils arrivent enfin, Maelan la pose au sol, en la maintenant fermement par le poignet. Elea ne se débat plus. Les larmes ont creusé son petit visage fin, ses cheveux collent sur ses tempes.
— Je veux pas y aller !
— C'est quoi, le problème ? s'agace Maelan.
Elea déglutit avec difficulté. Sa lèvre inférieure tremble, comme si elle s'efforçait de ne pas pleurer. Quel âge a-t-elle ? Seize ans, dix-sept, peut-être, guère plus.
— Mon père...
— Oui ? Ton père ?
— Il a... Il a failli...
Entre deux sanglots, la gamine finit par réussir à finir sa phrase. Maelan la dévisage et pousse un profond soupir.
— Je suis vraiment désolé, murmure-t-il de sa voix grave.
Son père a tenté de mettre fin à ses jours en sautant d'une falaise. Pauvre gamine.
— Je veux pas le voir. Je veux plus jamais le voir. Je le déteste !
Maelan la prend par les épaules et plie les genoux pour être à sa hauteur.
— Écoute-moi bien, dit-il fermement. Ton père a peut-être commis une grosse erreur, mais il avait sans doute ses raisons. Et à l'intérieur, il y a des gens qui te cherchent et qui s'inquiètent pour toi. Crois-moi, ça, ça n'a pas de prix.
Elea le dévisage. Elle s'essuie le visage d'un revers de manche.
— Comment tu t'appelles ? questionne-t-elle, passant subitement au tutoiement.
— Maelan.
— Si je rentre, tu rentres avec moi ?
Maelan appuie sur la sonnette, plusieurs fois, avec insistance. Il l'attrape à nouveau par le poignet, de crainte qu'elle ne s'enfuie. La pluie redouble autour d'eux.
— Non.
— Alors je rentre pas.
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Tous les phares de nos cœurs [Sudarenes Éditions]
Narrativa generaleLucien a perdu sa femme, Elea a perdu sa mère. Lucien ignore comment continuer sans celle qu'il aimait tant. Elea s'interroge sur les secrets qu'elle a laissés derrière elle. Par un soir d'orage, les destins s'entrecroisent. Lucien tente d'en finir...