6- «famille en pièces détachées»

34 6 0
                                    

"Allô ?"

"Oui, Orel, c'est moi."

"J'ai reçu les photos. C'est ouf cette histoire..."

"Je peux passer chez toi ?" le coupais-je, me retenant de fondre en larmes.

"Euh...Ouais bien sûr. Tout va bien ?"

"Pas vraiment."

"Bouge pas, je passe te prendre."

Je le remerciai et raccrochai. Les larmes que j'empêchais de couler réussirent tout de même à tomber. Je ne pouvais plus m'arrêter. C'est comme si je n'avais pas pleurer depuis des années et que mon corps ne pouvaient plus les contenir. Il fallait qu'elles coulent. Je suis sûre qu'avec toute cette eau salée, j'aurais pu créer un nouvel océan. Je pleurais, donc. Comme une madeleine. A tel point que je n'entendis pas mon frère arriver dans la salle de bain. Tout était flou : ma vision, à cause des larmes ; les sons.... J'étais réellement en état de choc. Aurélien me secouait par les épaules pour me ramener à la réalité.

"Cam. Hé, Cam, tu m'entends ? Cam !"

Je levais enfin les yeux vers lui, les yeux rouges d'avoir trop pleurer. Il soupira de soulagement.

"Putain, tu m'as fais peur." dit-il, essoufflé.

Je ne répondis pas, par peur de fondre en larmes une nouvelle fois. Je me contentais de le regarder. Mon frère...

Flash-back

Aurélien et Clément étaient de "vrais" frères. Moi, j'avais seulement le même père qu'eux. Plus jeune, notre père s'était disputé avec leur mère. Une longue dispute d'un an et demi où ils s'étaient séparés. Ils n'avaient rien dit aux enfants pour ne pas les traumatiser et continuaient de faire semblant pour les fêtes de familles. Notre père eut, pendant la séparation, une aventure avec une femme avec qui il travaillait. De cette aventure, je suis née. Et quand je suis née, il était retourné avec leur mère et n'a pas su qui j'étais.

J'ai grandi sans père. Ma mère était aimante pour deux et elle m'a appris l'indépendance tandis qu'elle devenait dépendante. Elle est tombée gravement malade. J'ai dû m'occuper d'elle à plein temps. On avait inversé les rôles. Le plus dur, c'était de la voir s'auto-détruire sans pouvoir faire grand chose. Elle savait qu'elle ne s'en sortirait pas alors elle n'avait aucune raison de se battre. Même sa propre fille n'était pas une bonne raison. Quelques semaines avant de partir, elle m'avait parlé de mon père. Elle avait toujours son contact et n'avait qu'une seule demande : que je le retrouve.
Alors je suis allée à sa rencontre.

J'imaginais déjà son refus de me connaître. Qu'est-ce qu'il en aurait à faire d'une gamine qui venait de perdre sa mère ? Je suis arrivée à son domicile, la peur au ventre. J'ai même pas osé toquer à la porte. Je suis resté plantée devant, tétanisée. Je n'avais aucune idée de ce que j'allais dire. J'avais pas prévu de discours, incapable d'aligner deux phrases sans trouver ça stupide.

Et la porte s'est ouverte. Je me suis trouvé nez à nez en face d'un homme plutôt jeune, le crâne rasé et portait un ensemble jogging.

"Bonjour...?"

"Je... Désolée, j'ai dû me tromper." répondis-je en faisant demi-tour.

"Attends !" s'écria-t-il en me poursuivant. "Tu cherches quelqu'un ?"

"Personne... Je pense que c'est pas le bon nom."

"Je t'assure que des Cotentins, il y en a pas beaucoup." répondit-il en riant.

Je lui souris en coin. Première impression que j'ai eu de mon frère : il a l'air bizarre mais marrant. J'avais pas tellement tord.

"Aurélien ?" dit une voix masculine derrière lui.

Le jeune homme se tourna et on regarda tous les deux dans la même direction, celle du deuxième homme beaucoup plus âgé. J'ai alors baissé la tête, honteuse de m'être incrustée. Il s'approcha de nous et me salua.

"Vous cherchez quelqu'un, mademoiselle ?" demanda-t-il avec une voix douce.

J'avais vraiment l'impression d'être dans La Belle et Le Clochard sauf qu'ici, c'était moi le Clochard.

"Je... Vous." finis-je par dire.

Les deux hommes se regardèrent avec interrogation. L'homme plus âgé se pencha vers moi.

"Moi ?"

"Je suis désolée de débarquer comme ça..."

"Qu'est-ce qui se passe ?"

"Je m'appelle Camille... Camille Guérin."

Je voyais son visage se décomposer petit à petit tandis qu'Aurélien n'avait aucune idée de ce qu'il se passait. Plus tard, il m'avoua qu'il pensait que j'étais là pour demander à son père (enfin, notre père) si je pouvais m'inscrire dans le collègue qu'il dirigeait. A cette époque, j'avais 16 ans et Aurélien 25. Il n'avait même pas encore sorti son premier album.

Notre père m'invita à entrer. Aurélien qui devait partir enregistrer dans son propre appart, resta avec nous, finalement. Il était curieux et je pense qu'il se doutait que quelque chose clochait. La mère d'Aurélien était là, elle aussi. Ce qui m'a rendu encore plus gênée et honteuse. Allais-je briser une famille ?

"Nelly ?" commença mon père. "Voici Camille Guérin."

Elle aussi tilta à mon nom de famille. Elle regarda son époux avant de se lever et de me proposer un soda. Je refusai poliment. Elle demanda à Aurélien de nous laisser, il refusa aussi mais moins poliment. Elle soupira et vint vers moi. Elle avait de la compassion dans les yeux, ce qui me mis un peu plus à l'aise. Elle m'invita à m'installer.

"Comment va ta maman ?"

"Elle... Elle est décédée."

"Décédée ?"

"Elle est tombée malade l'année dernière. J'ai tout fais pour la soigner mais elle ne voulait pas être soignée..."

Nelly posa sa main sur la mienne, comme signe de soutien.

"Vous vous connaissez ?" demanda Orel, complètement perdu.

Mon père se racla la gorge avant d'expliquer la situation à son fils aîné. Il passa par plusieurs émotions : le choc de savoir que son père ait aimé une autre femme ; la colère qu'on puisse lui cacher ce genre d'informations ; la tristesse de mon sort et finalement l'acceptation.

Ca a été assez étrange dès le départ. J'avais toujours l'impression de ne pas être légitime. En fait, c'était le cas mais très vite la famille Cotentin m'a fait sentir des leurs. Depuis, je porte les deux noms, celui de ma mère et celui de mon père. Nelly n'en a jamais voulu à son mari et m'a tout de suite montré que j'étais de la famille. Aurélien et Clément sont tout de suite devenus mes deux frères, c'était comme une évidence.

Fin Flash-Back.

Le mal est faitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant