Il arrêta son geste un instant mais la curiosité le poussa tout de même à s'approcher. Son bras frôla ma peau qui commencerait à rougir et à me brûler, aussitôt le fer de ses bracelets se mit à siffler. Il recula juste à temps. L'étrangeté de son expression, ce rictus sur les lèvres. Il semblait connaître le déroulement de cette journée dans les moindres détails comme s'il l'avait lui-même écrite. Le premier éclair déchirait le ciel. Les choses se produisaient ainsi, après avoir formulé ses vœux d'avenir les adolescents âgés de quinze années se voyaient accepter ou refuser le droit de devenir magicien. La déesse Pluie agissait, et chaque averse donnait naissance à un nouveau pouvoir.
Les parchemins historiques que les temples avaient autorisés racontaient que l'empire du Nord, empire du raffinement et de la prospérité, appartenait à la déesse Mère : Eta la déesse des Lumières née durant le siècle de l'Obscurité quand rien n'existait encore. Elle avait alors partagé son âme en neuf fragments de Lumière. Ceux-ci avaient donné naissance aux neuf dieux primaires : Alana, Pluie, Deva, Emir, Badur, Nillnéo, Aesis, Other et Aurella. Ces neufs autres dieux que l'on appelait communément « les Lumières » s'étaient alors dédoublés et avaient donné naissance à leur opposé, les dieux cadets actuellement nommés « les Obscures » pour une tout autre raison : Nitris, Loéline, Nhillée, Floée, Seehmar, Odes, Naher, Loéluna et Liliae.
Ainsi, chaque année un dieu donnait une partie de ses pouvoirs à un adolescent ayant fait le vœu de devenir magicien. Mais la fille de l'impératrice, lorsque sa terre la reconnaissait en tant que légitime descendante recevait ses pouvoirs d'Eta elle-même. Seule Eta pouvait provoquer des orages. Ayant vingt années et largement dépassé l'âge requis, je m'étais tout simplement cru déshéritée. Ça n'était pas une rareté. La première fille de l'impératrice Leonora n'avait jamais porté la couronne de l'empire pour la simple et bonne raison que sa sœur Mérilly avait été reconnue dès ses sept ans.
Durant toutes ces années j'avais cru devenir érudite dans une académie. J'avais cru que ma mère donnerait naissance à une sœur que la terre reconnaîtrait comme sa légitime descendante. Il fallait croire que mon destin n'avait pas été écrit ainsi.
Bientôt le deuxième éclair déchira le ciel et l'obscurité qui nous encercla fut totale, une obscurité d'encre. L'air dans la pièce se refroidit brusquement et la fournaise dans laquelle je me trouvais plus tôt se transforma en glacier. Le froid me saisit jusqu'aux os. Puis il disparut après quelques instants.
Mes lectures m'avaient aidée à connaître parfaitement ce processus. Nombreuses avaient été les impératrices à relater cet évènement tant celui-ci devait à jamais rester figé dans le temps. On ne mentionnait ni froid ni douleur, mais plutôt un bain de lumière et de ravissement. Il ne fallait pas réfléchir longtemps pour en comprendre la raison. Eta ne m'avait pas reconnue. Pourtant cet orage avait bien eu lieu. Le dernier éclair retenti et quelques secondes plus tard la pluie cessa. La lumière de la pénombre blanche revint et je pus à nouveau distinguer les traits d'Avriel. Désorientée, mon regard fit le tour de la pièce.
Avriel se leva pour s'incliner de nouveau.
- Longue vie à l'impératrice. Déclara-t-il solennellement
Pourtant tout au fond de moi je le savais. Je n'étais pas l'impératrice du Nord ! Si je ne l'étais pas, si mon pouvoir ne provenait pas des Lumières il ne pouvait qu'être celui des Obscures. Pourtant ça n'avait pas de sens puisque les Obscures n'étaient qu'une branche cadette des dieux. Ils n'auraient jamais pu provoquer d'orage. Décidément personne ne me souhaitait un avenir glorieux. J'étais la première magicienne de sang impérial à ne pas appartenir aux Lumières. L'empire du Nord était-il voué à la destruction ?
Mon regard se posa alors vers le lit où ma mère était allongée. Je me relevai tant bien que mal sur mes jambes flageolantes. J'attrapai sa main et le contact avec sa peau me fit comme une décharge désagréable. Je la lâchai aussitôt. Quelque chose s'illumina alors, un fil doré, noué à sa main venait d'apparaître et semblait aussi lié à moi. Les liens. Ainsi mon premier pouvoir était de crée des liens ? Aucun dieu du Nord n'était reconnu comme possédant ce pouvoir... l'angoisse me sauta à la gorge. Personne ne devait savoir, personne ne me le pardonnerait. Avriel arriva dans mon dos. Le fin fil d'or s'évapora. Je me relevai difficilement, si lentement qu'Avriel dû me soutenir par la taille pour éviter que je ne m'effondre d'épuisement.
- Votre altesse devrait aller prendre du repos, la pénombre blanche prendra bientôt fin. Je veillerai sur votre mère. Proposa-t-il.
Je n'eus pas la force de refuser bien qu'il ne m'inspirât aucune confiance. Epuisée, tourmentée, je décidai de regagner mes appartements. Je titubai jusqu'à mon lit sur lequel je me laissai tomber mollement. Une foule de questions se bousculaient dans ma tête. Qu'était-il arrivé à ma mère ? Qui était cette « déesse Stranta » dont je n'avais jamais entendu parler ? Avais-je réellement été rejetée par les Lumières ? Ne qualifiait-on pas les Obscures de barbares ? Tout cela n'était-il pas le fruit de mon imagination ? Epuisée par toutes ces émotions je sombrai dans un sommeil agité.
Il me sembla avoir seulement fermé les yeux quand une voix me sorti de ma torpeur. Encore Avriel. Je me redressai pour me mettre en position assise. Il baissa alors la tête.
- Votre altesse, l'impératrice est introuvable. Déclara-t-il anxieux.
Je restai choquée un moment. Surtout choquée de déceler une feinte émotion sur son visage.
- Ma ...mère était incapable de tenir debout... Comment...comment peut-elle avoir disparu ?
- Je l'ignore.
Je me levai alors et nous nous rendîmes dans sa chambre. Le lit était vide, les draps froissés rejetés sur le côté. Les battants de son placard étaient encore ouverts et quelques fourreaux qui devaient contenir des armes avaient disparu. Les battants de la fenêtre se balançaient sous le vent et quelques grincements troublaient le silence. Tout laissait à penser qu'elle était sortie par la fenêtre. Mais ses appartements étaient au troisième étage, à trente mètres du sol. Comment avait-elle pu sauter sans... Une vive angoisse m'étreignit. Je me précipitai vers la fenêtre et je vis une sorte de silhouette noire immobile sur le sol.
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Démos
FantasyQuand Obscures et Lumières échangeront leurs oriflammes, s'achèvera alors le dix-huitième cycle de Nihlnéo. Et sur les plaines blanches de nouveau, nous verrons irradier les flambeaux de l'astre renié.