J'ouvris de grands yeux ébahis tant sa requête était inattendue. Je m'exécutai assez rapidement connaissant son impatience incurable. Quand je m'assis sur le tabouret mes doigts tremblotants se posèrent sur le clavier blanc et noir. Je pressai une touche et sursautai quand un puissant son en sorti. Je vis d'un coin de l'œil ma mère sourire. Voilà pourquoi je pouvais l'entendre à l'autre bout du palais. Cet instrument était magnifique. Elle s'assit sur le lit en face et posa son regard apaisé sur moi. Je n'y lu aucune tendresse simplement un grand calme. Et ce semblant d'humanité dont elle faisait preuve la rendait presque méconnaissable. Malgré tout ce que j'avais subit par sa volonté je ne parvenais pas à la haïr. Simplement pour ce court moment où nous partagions presque quelque chose. Une lueur dans un océan d'obscurité. Les premiers accords résonnèrent dans la pièce. Très vite je me laissai porter par la mélancolie. Une certaine tension naquit de cette nocturne. Je devinais que le piano devait en être l'origine. Il semblait vieux, il semblait posséder un caractère comme les humains. Et je le ressentais en jouant. Mère jouait peu les nocturnes de Kalandre. Mère jouait les valses de Mileny, bien plus masculines. Conquérante et supérieure jusque dans l'art. Elle devait être la seule musicienne de cet empire à oser braver les limites du genre qui était très influant dans cette discipline. Les femmes jouaient les airs enchanteurs, les hommes les hymnes de guerre. Sauf l'impératrice Candide.
Le dernier accord résonna. Je laissai mes doigts appuyés sur les notes pour le faire résonner jusqu'à la dernière vibration que je pouvais percevoir avant de relâcher la tension dans mes muscles. Je descendis alors de l'estrade et m'en éloignai un peu. Mère semblait ailleurs. A quoi est-ce que je m'attendais ? A ce qu'elle me félicite ? Je ne l'intéressais pas.
- Tu ne résonnes pas. C'est mauvais. Déclara-t-elle froidement.
Encaissant le coup je m'abstins de lui poser de question, consciente que l'explication suivrait.
- Tu ne résonnes pas. Tu es vide comme une coquille ! Comment comptes-tu atteindre qui que ce soit ?! s'agaça-t-elle.
- J'ignore de quoi vous parlez, mère.
- Et ça espère entrer à l'académie d'Aston ! Vois-tu au moins la résonnance ?
Je secouai la tête avec désolation. Mère parlait du pouvoir que j'aurais dû posséder depuis déjà deux ans. Le pouvoir des impératrices. Celui de percevoir les chemins invisibles, le chemin de la lumière, de la respiration, du son. J'avais dépassé l'âge pour recevoir ce don de la déesse Eta. La seule déesse capable de donner naissance à une impératrice. Cela signifiait beaucoup. D'une part, la déesse ne me reconnaissait pas en tant qu'impératrice. D'autre part mère devrait donner naissance à une sœur que la déesse Eta devrait reconnaître, sinon elle n'aurait aucune descendance capable de monter sur le trône impérial. Que ferait alors l'empire sans impératrice ? Ce serait l'anarchie. Mon incompétence n'annonçait que de mauvais présages.
- Je vous prie de m'excus...
- Je me moque de tes excuses ! Tu n'es bonne à rien.
Acceptant docilement la gifle verbale aucune réponse ne franchit mes lèvres. La tension dans la pièce devenait plus pesante au fil de secondes. Elle s'approcha de moi et me releva le menton, forçant mon regard à croiser le sien.
- J'espère que tu feras mieux ce soir. Déclara-t-elle.
- Pour quelle raison, mère. Demandais-je en ravalant ma vexation.
- Ta tante Camilla souhaiterait t'entendre et te voir... ne me fais pas honte.
Elle avait prononcé ce nom avec dédain. Comme si la misère collait au visage de sa sœur. Cette femme qui prenait le rôle de ma tante, je la connaissais peu. Je savais son caractère plus calme et moins capricieux que celui de l'impératrice. Cela ne l'empêchait aucunement de se comporter comme une bourgeoise sans aucun scrupule. Nous n'avions que très peu d'affinités, je n'appréciais pas la famille de Crystal et ma mère n'avait que peu de contacts avec elle, et certainement purement politique. Mieux valait se tenir à distance de ces personnages dont je me méfiais beaucoup. Je m'inclinai avant de me retirer.
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Démos
FantasyQuand Obscures et Lumières échangeront leurs oriflammes, s'achèvera alors le dix-huitième cycle de Nihlnéo. Et sur les plaines blanches de nouveau, nous verrons irradier les flambeaux de l'astre renié.