Incipit

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– Si tu connaissais le Temps aussi bien que moi, dit le Chapelier, tu ne parlerais pas de le perdre, comme une chose. Le Temps est un être vivant.

Lewis Carroll - Alice au pays des merveilles


Il y a un monde possible où le Temps n'est pas l'ennemi de notre existence. Je me demande si ce monde m'est accessible. J'ai un désir profond de détruire l'Univers pour cette injustice fondamentale qui nous touche tous. Les jours passent, et ils ne passeront plus. Ils passent vite dans la joie et lentement dans l'ennui. Je voudrais trouver un responsable fait de chair et d'os pour lui défoncer le crâne sur un trottoir. On organiserait une rencontre officielle.

- M. Temps, voici la voix d'un mécontent, M. Mécontent, voici M.Temps.

- M. Temps, voici le trottoir. Dites-lui bonjour, et dites-nous au revoir.

Et ensuite, dans une parfaite cruauté sous le ciel étoilé d'une soirée d'automne, on lui éclate la tête.

L'histoire de l'humanité est une lutte contre le Temps. On se reproduit pour atteindre l'immortalité comme l'avait compris Platon. Nos enfants sont nos créatures. L'Art est l'expression d'une l'angoisse, celle de l'Oubli : nous voulons que nos créations nous succèdent et portent notre nom après notre mort. L'acte créateur est réservé à Dieu car il est immortel. L'Homme aime à croire qu'il peut créer. Il croit ainsi vaincre le Temps. Pour combler l'angoisse de l'Oubli, nous choisissons le plus souvent d'oublier le passage du Temps. Les plaisirs terrestres sont le Léthé des vivants. Ils vivent suspendus dans l'hédonisme éphémère de la sensation charnelle. Comment leur en vouloir ? Ils profitent autant que possible avant que tout ça ne disparaisse. On pourrait appeler cette éthique le « Léthédoné », c'est-à-dire « le plaisir pour oublier ». Ce serait une union entre la déesse Léthé et Hédoné, elle-même fille d'Éros. Les humains cherchent à oublier la cruauté du Temps parle culte d'Hédoné. Léthédoné est l'échappatoire existentiel auquel s'abandonne tout un chacun. Je vais de plaisir en plaisir pour ne pas penser à la mort. Jouir pour oublier la mort. Voilà notre lot. Éros incarne la puissance créatrice par l'amour. Nous vivons l'illusion créatrice qui nourrit le narcissisme des artistes. Les créateurs et les jouisseurs se mentent à eux-mêmes. Les premiers sont frappés du pêché d'orgueil. Ils sont méprisables. Les seconds sont pathétiques, mais moins méprisables que les premiers. Leur illusion est bercée de tristesse. Ils sont littéralement pitoyables. Entre les méprisables et les pitoyables y a-t-il une place pour une vie authentique loin des pseudologues ? Où trouve-t-on les armes pour affronter le Temps dignement, à égalité, sans se mentir à soi-même et aux autres ? C'est cette perspective ambitieuse et terrifiante qui me mena dans les éternelles broussailles des terres bourbonnaises.

Le Culte de ChaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant