Le Chant du Corbeau - 3

Toujours se méfier des bonnes intentions

Je n'ai jamais commis d'erreurs. Pas d'un point de vue mortel.

Lorsqu'une âme devait être prise, je l'ai prise.

Cela dépasse la moralité, la décence ou la pitié. C'est au-delà des sentiments. C'est une tâche. Le destin de mon existence. Je ne suis bon qu'à cela, je ne peux faire que cela.

C'est la Vie de la Mort.

Mais quand je vis l'âme qui m'observait, mes certitudes en prirent un coup.

-Lise...? balbutiai-je.

La petite fille, blanche et légèrement translucide, baissa la tête avec embarras. Osi l'observa un instant, puis s'avança brutalement vers elle.

-Qui es-tu toi ? demanda-t-il d'un ton à la fois perplexe et agressif.

Lise recula avec crainte.

-Je...murmura-t-elle.

Elle guetta un soutien de ma part, tandis que je la dévisageai, ébahi.

J'aurais voulu me taper la tête contre un mur.

Lise. L'âme que j'avais prise quelques temps auparavant. L'âme qui m'avait sauvé la vie dans l'Entre-Deux Monde. Sur le coup, je ne l'avais pas reconnue, mais à présent...

-Laisse-la Osi...ordonnai-je d'une voix hésitante. Elle...C'est une âme perdue.

Le Disparu se tourna vers moi, suspicieux.

-Et tu oses me faire la morale après ça ? cracha-t-il.

-Ce n'est pas de mon fait ! ripostai-je, outré. Cette petite m'a...aidé. Elle a du en profiter pour s'échapper.

Osi me fixa quelques instants, l'air indéchiffrable. Ses yeux se plissèrent avec fureur et je crus qu'il allait hurler ou frapper...

...Mais son visage se radoucit brutalement. Il se tourna vers Lise qui était restée immobile, effrayée. Il s'approcha doucement et s'accroupit devant elle. Il la dévisagea avec une expression étrange.

-Tu t'appelles donc Lise...susurra-t-il d'un ton rassurant.

Lise hocha timidement la tête. Elle me regarda, indécise. Je fis un pas vers elle, méfiant envers l'attitude de mon frère. Celui-ci continua, obligeant la petite à le regarder.

-Et...Que fais-tu là ?

-Je...Je ne savais pas où aller...J'avais peur alors...J'ai suivi le Défunt. J'espérais...J'espérais qu'il me ramènerait chez moi...

Sa voix fut brisée par un sanglot. Mon cœur humain en fut attendri, mais mon esprit immortel m'obligea à me reprendre.

-Elle n'a rien à faire ici, comme toutes les âmes ici présentes ! déclarai-je d'un ton froid. Je dois les ramener aux Portes de la Mort.

Sans même me regarder, Osi leva une main pour me faire taire. Surpris, je me tus bien malgré moi. Osi gardait le regard rivé vers la petite, et alors je compris son expression.

C'était de l'avidité.

-Que manigances-tu...? marmonnai-je en boitant vers lui.

Un instinct protecteur me faisait avancer vers Lise, comme si tout mon être sentait un danger quelconque.

-Tu étais bien jeune...continua le Disparu. Tu étais bien innocente...

Sa main caressa la joue éthérée de la petite qui sourit, inconsciente du regard perfide d'Osi. Elle ne semblait pas remarquer ses semblables enfermés et meurtris, ou si elle le faisait, elle faisait mine de ne pas les voir. Elle semblait rassurée par le sourire tendre du Disparu, et par sa voix chaleureuse.