Enfer et Paradis

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Je ne voyais strictement rien, j'ignorais complètement ce qui m'entourait, et je me sentais terriblement impuissant. Seule la voix de Lise, très douce et claire, étrangement mature, parvenait à m'empêcher de paniquer.

-Vous devez vous calmer Défunt...murmura-t-elle. Les liens qui vous attachent à l'obscurité sont faits de peur et de regrets. Plus vous vous débattrez, plus ils vous retiendront.

-De...regrets ? répétai-je.

-Un mort ne doit pas vouloir redevenir vivant. L'antichambre des Enfers est là pour ça.

Je ne répondis pas et m'immobilisai. Je tentai de faire le vide dans mon esprit, sans succès.

-Je n'y parviens pas, constatai-je.

-Quelque chose vous retient au monde des vivants, Défunt...dit-elle. Trouvez quoi.

Elle avait l'air si sûre d'elle, empreinte d'une telle connaissance, que je ne remis pas en cause ses conseils, malgré leur ironie. Qu'est-ce qui pouvait retenir au monde des vivants la Faucheuse ? Cela n'avait aucun sens.

Pourtant, différents visages et différentes voix flottèrent dans ma tête. Mes frères, ma sœur, Asha...Surtout Asha.

C'était puéril, mais avoir été dans un corps m'avait donné des espoirs insensés la concernant. L'amour est une chose maudite dans ma famille. Même lorsqu'on pense l'avoir trouvé, il s'évapore sous nos yeux dans un artifice de souffrance. Cela avait même perdu Osi, alors comment pourrais-je, moi, espérer ressentir quelque chose de semblable ?

C'était stupide.

Mais je le regrettais sincèrement.

C'est peut-être ça la vie d'un immortel, peut-être que je suis condamné à la solitude. Je verrai à nouveau les hommes s'entre-tuer, je perdrai peut-être encore ma sœur. Je serai à nouveau seul, solitaire, pour l'éternité.

Soudain, l'obscurité me sembla agréable. Elle entourait mes moroses pensées d'une brume apaisante de résignation. Je fermai les yeux, amer. Mes liens me semblaient encore plus serrés.

Un petite main se glissa dans la mienne.

Je rouvris les yeux et tournai la tête, surpris. Je distinguai légèrement les yeux de Lise dans les ténèbres. Ils brillaient d'un éclat pur et doux, qui fendait l'obscurité des Enfers.

-Ca va aller Défunt...me chuchota-t-elle. Souvenez-vous...

La Vie, tu vois mon frère, est bien plus qu'une chaîne,

Nous sommes tous cloîtrés dans de tristes pensées,

Mais il suffit d'un bruit, d'une aube ou d'un été,

Pour qu'avec un corbeau s'éloigne un peu la peine.

Malgré moi, un sourire adoucit mes regrets. Je sentais la chaleur de la petite âme dans ma main, je sentais sa confiance.

Elle avait raison. Loki avait raison lorsqu'il avait chanté cela autrefois. Se résigner ne sert à rien, il faut se battre pour ce dont l'on croit. Ma famille était peut-être maudite, mais toutes les malédictions peuvent être brisées. Une existence n'est pas déterminée par un but ou par une naissance, mais par des choix.

Même pour un vieux corbeau comme moi.

Je sentis mes liens s'alléger en même temps que mon cœur. Les ténèbres se dissipèrent d'un coup, comme chassées par le souffle d'un géant, et dévoilèrent ainsi un tout autre monde.

-Bienvenue aux Enfers, Défunt...déclara tranquillement Lise.

Un tourbillon de couleur m'accueillit

Le Chant du Corbeau - 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant