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— Hazel.

La tension revient, comme un poids au creux de ma poitrine. Deux iris sombres sont posés à nouveau sur moi. Ces derniers flamboient d'une lueur qui me fait frémir. Il vient de se passer quoi, exactement ? Il a simplement prononcé mon prénom, et j'ai l'impression que ma vie est en jeu.

— Des chanteuses à voix, j'en ai vu défiler un bon paquet, maintenant. J'ai aussi entendu des interprétations plus justes, avec des vibratos plus maîtrisés.

— Pourquoi tu es debout déjà, Zeal ? l'interrompt sans surprise Samuel. Si c'est pour dire que tu peux trouver mieux, t'aurais pu t'abstenir, tu avais mal aux fesses ?

Le chanteur de Midgard Sun l'ignore et continue à m'expliquer pourquoi il s'est levé. Parce que, d'un coup, je me pose également la question.

— Je cherche les talents, les caractères singuliers qui ont quelque chose à transmettre. Je veux des voix qui touchent les cœurs et les âmes.

J'ai déjà remarqué qu'il accorde plus d'importance que ses collègues à l'empathie et à l'attachement du public. Effectivement, les membres de son équipe ont toujours marqué ma mémoire, ils ont souvent fait partie de mes préférés. Il cherche de la personnalité plus que du talent pur. Lorsqu'il a trouvé, il allie les deux et crée des candidats qu'on a du mal à oublier.

— Je suis mon instinct pour constituer ma team. Tu l'as titillé, cet instinct, dès les premières notes, mais ce n'est pas tout. Il y a quelque chose d'autre chez toi qui m'intrigue, qui me fascine presque. J'ai été captivé. Voilà pourquoi, malgré quelques manques de justesse, sans doute à cause de l'émotion, je suis encore debout et je compte le rester jusqu'à ce que tu acceptes de me rejoindre.

Je suis... sur le cul. Bouche bée. Je me force à refermer ma mâchoire aussi naturellement que possible. Ce genre de discours, il n'en a pas prononcé beaucoup. Je sais qu'il ne parle jamais pour rien, qu'il peut être franc, voire froid, dans ses analyses, même si ça ne fait pas du bien à entendre. Pourtant, malgré les bémols qu'il a soulevés, avec raison, je suis touchée par ses paroles.

— Tu es celle qu'il me faut, Hazel.

Le ton qu'il emploie me fait frissonner de la tête aux pieds. Je sens mon cœur entamer une course folle alors qu'il appuie ses mots d'un regard qui me transperce à nouveau. Oh. Bon. Dieu.

— Olala, je pense qu'à ce niveau, entre ces deux-là, renchérit Samuel avec un ricanement, je n'ai plus qu'à me mettre à genoux et à te supplier de rejoindre mon équipe, Hazel !

— Fais donc ça, le chambre Zeal sans pour autant se rasseoir, comme promis.

Samuel Silva qui se prosterne devant moi. Ce serait... Je ne préfère pas imaginer. Aussi malaisant que satisfaisant, je pense.

— Alors, Hazel, lequel d'entre nous sera ton coach ? lance Catarina de sa voix douce, se rappelant à mon bon souvenir.

Elle se doute que le discours du chanteur de Midgard Sun a éclipsé légèrement notre étreinte chaleureuse. Et là, la question fatidique est posée. Comme chaque participant qui a eu la chance d'obtenir une ovation, je dois choisir. Je sais que je n'ai que quelques secondes pour me décider, à peine une minute. Le public est partagé sur le sujet, je l'entends crier les trois prénoms, même si Samuel, grâce à son charisme et ses gestes d'encouragement, rassemble plus de voix que ses collègues. C'est indéniable, sa cote de popularité est toujours la plus haute, ce qui est un argument à prendre en compte. Je repense à ma discussion avec Bonnie. Je dois réfléchir rationnellement, je dois planifier l'après. Samuel est une bonne option et s'est levé en premier. Catarina a vu un investissement en moi et, surtout, elle m'a comprise. Zeal, quant à lui, a fait preuve d'une franchise qui aurait pu me blesser, mais qui a eu un tout autre effet.

— Il va falloir choisir maintenant, Hazel, me presse Bliss, impatiente.

— Merci à vous, je suis encore sous le choc et je n'y crois toujours pas ! Je vous adore tous les trois, ce qui rend tout ça assez difficile.

En vérité, je mens un peu. Ma décision est prise, malgré mon petit discours. Je ne veux pas les vexer, aucun d'eux. Je les respecte tous, eux et tout ce qu'ils représentent, ce qu'ils ont fait jusque-là, leur carrière. Je serai chanceuse d'être dans n'importe quelle équipe, j'en ai conscience. Néanmoins, je sais qui sera mon coach. En quelques secondes, c'est devenu une évidence. Certains candidats ne sont pas capables d'accepter la critique, même d'un professionnel. Ce n'est pas mon cas.

— Je choisis Zeal.

Des exclamations et des applaudissements retentissent dans la salle, le public approuve. Zeal aussi. Je le vois esquisser un petit sourire en coin, satisfait. Il m'observe pendant que je vais embrasser et remercier chaleureusement Catarina. Je passe ensuite à Samuel, qui me serre plusieurs longues secondes contre lui en me taquinant sur ma mauvaise décision. Il ajoute quelques mots, que je suis la seule à pouvoir entendre parmi tout le brouhaha environnant. Il me les souffle au creux de l'oreille, alors que le public exprime autant son excitation que sa jalousie. Il y a tout un tas de femmes, et même d'hommes, qui voudraient être à ma place.

— On se revoit au prochain tour, Hazel. Si Zeal fait le mauvais choix, je ne manquerai pas de le lui faire regretter.

J'affiche un sourire de façade un peu perplexe, croise les prunelles chocolat de mon nouveau coach avant de m'écarter et de remercier Samuel. Zeal avance vers moi, puis m'ouvre les bras sous les sifflets des spectateurs. Avec retenue, je l'enlace à mon tour. Aussi étrange que ça puisse paraître, c'est l'étreinte la moins chaleureuse à laquelle j'ai eu droit sur ce plateau. C'est rapide, superficiel... décevant. Je ne sais pas vraiment ce à quoi je m'attendais, peut-être une impression à la hauteur de cet échange de regards. Ce feu que j'ai senti s'éveiller en moi, il se prend une sacrée rafale venue tout droit de la banquise. J'ai peut-être rêvé ce moment, en fait. Tout est allé si vite, si intensément, je n'ai pas bien évalué ce qu'il s'est passé.

— Bienvenue dans l'équipe.

— Merci, Zeal.

— Tu peux retourner dans les coulisses, un assistant va t'expliquer la suite.

— Oh, OK, acquiescé-je malgré ma déception.

Je peux me raccompagner toute seule, donc. Bon. Je cherche la bonne direction, qu'il finit par m'indiquer d'un mouvement du menton. Je regagne l'obscurité sous les applaudissements des spectateurs avant d'être réceptionnée par un nouveau visage. Une jeune femme me félicite et me tend un gobelet d'eau fraîche. Je le vide pendant qu'elle me tend un planning de ministre. Je vais devoir demander un aménagement de mes horaires à Michael, peut-être des congés, car, à partir d'après-demain, je vais être très occupée. Les enregistrements des auditions doivent d'abord se terminer. Je ne verrai donc ni Zeal ni les autres membres de l'équipe avant deux jours.

L'assistante me conseille de bien me reposer en attendant, car le rythme sera très soutenu. « Un petit avant-goût de ce que peut être la vie d'une star », comme elle me le précise. Je suis à la fois excitée et terrifiée à cette perspective ! En résumé, j'ai droit à quarante-huit heures de calme avant que l'aventure ne continue et ne me prenne tout mon temps. Jusqu'à l'élimination, m'explique la jeune femme.

— Oui, évidemment. Merci.

Rien n'est acquis, tout reste encore à faire, et pourtant j'ai l'impression d'avoir fait un bond gigantesque en quelques minutes à peine. Je suis qualifiée, je fais partie de l'équipe de Zeal, le roi de la banquise.

Pour autant, je ne regrette pas. La question véritable est : mon choix, l'ai-je fait avant ou après qu'il a ouvert la bouche pour se battre pour moi ?

Avant ou après qu'il a accroché son regard de braise au mien ? 

Standing Ovation [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant