VIII. Les Souvenirs

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Alors que je remontais dans la voiture, je fixais encore la maison en repensant à la dernière année où je l'ai vu, il est vrai que cela remonte à très longtemps et qu'il ne me semblait pas avoir vu le moindre changement sur la décoration de celle-ci. La dernière fois où je l'ai vu était aussi la dernière fois où j'avais vu Jules.

-Jules, je dois te dire un truc... Murmurais-je en fixant la neige se poser délicatement sur le toit de la maison.

-Qu'est-ce qu'il y a ? Tu vas me dire pourquoi tu as été bizarre toute la soirée ?

-Tu sais, on a souvent parlé ensemble de ce que l'on voulait faire quand on serait grand et on a toujours eu des idées plein la tête et des plans complètement loufoques pour y parvenir... On est grand maintenant et il faut que l'on pense à notre avenir.

-Qu'est-ce que tu veux dire ?

-Morgane et toi, vous allez finir ensemble, vous êtes super mignons tous les deux, tous les autres du groupe ont déjà leur vies toute tracées ici où dans les environs, Alexis va travailler dans l'usine où est son père, il finira peut-être même chef d'un secteur ou d'un dépôt, Christine va reprendre la ferme de ses parents avec Marianne et Rémi quand ses parents n'auront plus assez de force, Fabrice s'occupe déjà au garage familial, ils ont tous quelque chose ici. Même Morgane va devenir directrice dans l'école où on a tous été et Romain sera probablement élu à la mairie s'il y met du sien d'ici cinq ans.

-Tout ça c'est sur du long terme, il y a quelque chose que tu vas faire dans l'immédiat et que tu ne m'as pas dit?

-On en a déjà parlé, mais jamais vraiment sérieusement. Je m'en vais Jules, murmurais-je encore plus bas.

-Tu t'en vas?

-Je pars d'ici, il n'y a rien pour moi, rien ne m'attends, je n'ai pas de business familiale à améliorer ou à reprendre, de savoir-faire traditionnel à perpétuer, ni de réel attaches à part toi ici. Mais tu as déjà ta vie de planifiée avec Morgane. Rester ne nous ferait que du mal, surtout à moi.

-Je n'ai rien planifié du tout avec Morgane, qu'est-ce que tu racontes Elisa? Tu crois que j'ai envie de finir ma vie ici, de passer toute ma vie à me demander pourquoi je n'ai pas sauté dans le premier train pour m'en aller, pourquoi j'ai eu trois enfants avec une femme que je n'aime plus parce qu'en grandissant, on s'est rendu compte que notre mariage était sans réels sentiments et que l'on voyait la vie de façon complètement différente mais que l'on reste ensemble pour les enfants et parce qu'il est trop tard pour que je réalise mes rêves en ville? Je ne veux pas de cette vie, tout comme toi, pourquoi tu aurais le droit de partir et pas moi ?

-Je ne t'empêche pas de partir, je te dis juste que ça sera plus compliqué pour toi que pour moi, tes parents ont un restaurant, tu veux travailler dans la restauration, qu'est-ce que tu veux de plus? Tu as un filet pour te retenir si jamais tu te rates, moi je n'ai rien, ma famille m'a mise à la porte il y a trois jours quand j'ai reçu ma réponse officielle pour l'école et le stage. Je n'ai plus rien à faire ici Jules.

-Donc je ne compte pas ?

-Bien au contraire, pleurais-je, et c'est justement parce que tu comptes pour moi que je dois m'en aller, ta relation avec Morgane est digne d'une histoire à l'eau de rose, je ne veux pas gâcher ça, elle t'aime vraiment.

-Tu dois t'en aller parce que je compte pour toi ? Tu te rends compte que ce que tu dis est stupide? Si je compte pour toi, pourquoi on ne reste pas soudé? On a toujours parlé d'aller en ville ensemble, et tu m'annonces que tu pars sans moi ? Quand est-ce que tu pars ?

-Jules...

-Je t'ai toujours... J'ai toujours essayé de te faire comprendre que j'étais prêt à tout lâcher pour toi, à partir à l'autre bout du pays s'il le fallait, tu n'as donc jamais cherché à comprendre, admit-il, tu es resté bloquée sur ma relation avec Morgane alors qu'elle n'a jamais été aussi importante que la nôtre. Je répète ma question Elisa, quand est-ce que tu pars?

-Je m'en vais demain matin. Très tôt, ajoutais-je laissant les larmes dégouliner sur mon visage comprenant ce que j'avais refusé de voir.

-Demain matin ? Répéta-t-il en retenant les perles d'eau salées dans ses yeux.

-Jules, j'ai essayé de t'en parler, je voulais tout te dire mais Morgane arrivait sans arrêt et faisait tout pour que je ne te dise rien, pour que vous continuiez de vivre comme maintenant, même si je le voulais, je ne suis pas sûre de pouvoir t'apporter tout l'amour qu'elle te porte, je ne pourrais pas lui arriver à la cheville.

-Tu viens de tout gâcher Elisa, je n'en ai rien à faire que tu lui arrive à la cheville ou non, que tu penses pouvoir m'aimer comme elle m'aime, ou plus d'ailleurs, j'avais juste besoin que tu me dises que tu m'aimes, que tu me le montre à ta façon, qu'on essaie malgré tout, au final, tu as gardé tes sentiments pour toi, et tu m'annonces ça quelques heures avant ton départ, sans que je ne puisses faire quoi que ce soit. Tu viens de me briser le cœur. Je n'attendais que ces mots là pour tout lâcher pour toi, à n'importe quel moment, mais tu as décidé de le faire de la pire des façons possible. Tu m'annonces tout ça comme un cadeau d'adieu. C'est la pire des choses que la personne que j'aime depuis longtemps pouvait me faire, rajouta-t-il en s'en allant, gardant toujours mon bonnet dans sa main, lançant un dernier coup d'œil à la maison décoré derrière nous, me laissant seule dans la neige, regrettant de ne pas lui avoir avoué mes sentiments plutôt.

Mon téléphone professionnel vibra, me sortant de mes douloureux souvenirs alors que nous arrivions devant le restaurant.

"Elisa, je t'en supplie, dis-moi que demain matin tu es toujours là ? On est en galère, le dossier 34N tombe à l'eau et on a aucune solution de secours, le local ne sera pas loué parce que le dîner ne s'est pas passé comme prévu entre les représentants. On a refusé toutes les autres offres, on n'a plus personne sur le coup, on a besoin d'un véritable miracle !"

"Tu avais raison, on aurait dû t'écouter et ne pas rejeter toutes les autres propositions, si on ne se débarrasse pas de ce local au plus vite on va se ruiner, c'était un investissement foireux, plus personne n'en veux, tu aurais du rester pour nous aider à gérer les crises au repas. Rappelle-moi ASAP s'il te plaît c'est urgent ! 

Un Signe De NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant