Chapitre 6- Paillettes - Rebecca

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C'était un désastre.

Sa mère refusait catégoriquement qu'elle quitte la Casita, bien que Rebecca trouve ses mensonges plutôt crédibles. Excepté le dernier : Paillettes,  « le chaton des voisins ayant fait une fugue, elle devait  le rattraper avant qu'une voiture ne l'écrase» , était peut-être un poil exagéré. La latina tenait à Paillettes, oui, mais de loin, de très loin, et couverte du menton aux orteils pour éviter les griffures.

Malheureusement, sa mère le savait. Il fallait dire qu'elle n'avait pas été très discrète lorsque cette boule de poils tranchante avait décidé de se faufiler dans sa chambre, en passant par le balcon mitoyen, et avait joyeusement fait ses griffes sur son lit.

Le deuxième souci, était sa tenue : l'invitation stipulait clairement qu'aucun invité ne pourrait entrer sans déguisement, et elle avait beau être entré une fois, deux fois, dix fois depuis hier dans la chambre de Maria : à chaque tentative de vol, son visage finissait comme cible d'un oreiller, d'une peluche, voire même d'un CD audio.

Un ronronnement attira son attention. Merci paillettes de me tenir compagnie, songea-t-elle en redressant ses fines lèvres. Elle attrapa deux gants de cuir pour la caresser sans risque, un pull en maille, décoré des couleurs de Noël—ou du drapeau espagnol — lui serrait le torse jusqu'au cou. Elle comprit rapidement que les pompoms avaient  attiré l'attention de la petite chatte.

— Tiens, elle ne s'est pas fait écrasée finalement, se moqua sa mère en pénétrant dans sa chambre.

Rebecca fit mine de s'exasperer, tout en finissant  néanmoins par attraper son contagieux sourire.

— Tu viens, mi Rebeccita ? ajouta-t-elle en lui tendant la main.

Le délicat parfum des empanadas de Noël titilla ses narines, et elle se leva aussitôt. Avec le ventre plein, on a toujours plus d'idées. Maria ne les  rejoignit pas, malgré une assiette pleine de pommes sautées et de morceaux de dinde sur la table, et l'appât d'une délicieuse bûche glacée chocolat noisette. Si seulement la gourmandise se faisait plus forte que son mal, qu'elle daigne passer les fêtes avec nous, continuait d'espérer la benjamine, levant les yeux vers sa mère.

Mama n'avait pas la force d'insister.
Finalement, un peu plus morose que d'habitude, elle laissa quartier libre à son enfant après le repas. Sans papa, ni sa fille aînée, elle avait du mal à se réjouir. Rebecca sentit comme une boule lui tordre l'estomac. Noël parut perdre en éclat ce soir. Et rien ne semblait arranger cela, pas même Paillettes qui revint s'accrocher aux mailles laineux et lui tenir compagnie, se faufilant à travers la fenêtre à demi-ouverte.

Le ciel noir et nuageux laissait tout de même entrevoir une lune blanche, et la douceur d'une pluie de flocons givrés. Rebecca enroula autour de son cou une écharpe de laine et sortit sur le balcon, toujours suivie de son nouveau compagnon poilu.  Elle grogna un peu à cause du froid, tandis qu'elle se tenait sur la rambarde, le nez vers l'horizon. La neige recouvrit ses cheveux bruns, puis le pelage caramel du pauvre petit chaton. Cette dernière compta d'ailleurs vite rentrer se réchauffer chez sa propriétaire, puisqu'elle bondit sur la barrière de fer gelée, sauta, puis accrocha l'escalier de secours d'une griffe.

L'escalier de secours ? Mais oui !
Comment n'y ai-je pas pensé ? Paillettes, tu es un génie ! À nouveau motivée, Rebecca regagna sa chambre, enfourna dans un sac son téléphone, une carte de la ville, une corde à sauter —deux finalement, une paire de ciseaux et une lampe torche. Le kit de la parfaite exploratrice

Elle enjamba la rambarde, où elle y  noua la seconde corde. Puis grimaça : son genou venait de cogner la structure métallique. Elle aurait peut-être dû enfiler autre chose qu'une robe d'hiver et un collant sous son gros pull. Se laissant glisser, elle atteignit enfin le palier qui juxtaposait les marches. Pas si difficile en fin de compte.

D'étage en étage, ses pas enfoncèrent  la neige brunie, avec prudence. Par chance, le manoir ne se situait pas trop loin, et en un quart d'heure qui lui parut durer des heures glaciales, elle arriva devant la grille.

Manoir enchanté, à nous deux !
Il ne lui restait plus qu'à entrer... sans costume.

Un Masque de neige et de sang (Terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant