On aurait dit qu'il dormait les yeux ouverts, c'était à s'y méprendre. Mais la coupure nette au niveau de sa carotide et le sang anciennement vermeille qui s'en était échappé prouvaient le contraire. Un certain temps était passé depuis le meurtre et son cou, qui devait avoir été était inondé de rouge quelques heures auparavant, était maintenant couvert d'une couche épaisse et sèche d'un marron bordeaux profond. Ses lèvres étaient bleues. Autour de ses yeux se dessinaient des cernes violettes. Sa peau était d'une blancheur inquiétante bien que de légères taches jaunes tirant vers le vert clair commençaient à se voir. Le pire dans tout ça, c'est qu'il continuait de paraitre vivant. Je pense que personne, dans cette assemblée de bêtes, n'aurait été surpris s'il s'était soudainement levé et avait marché jusqu'à son bureau en nous saluant avec son rictus habituel, avant de s'avachir sur sa chaise et de se plonger dans son travail. Sa tête reposait à même le sol, posée dans une flaque d'un marron foncé, rendu presque noir à cause du parquet foncé qu'elle recouvrait, basculée sur le côté. Un hématome violacé couvrait sa pommette. Peut-être avait-il été frappé avant d'être tué, peut être était-il tombé en se préparant ce matin, peut être que son cadavre s'était cogné en tombant, le couteau encore enfoncé dans sa chaire brulante. Ses membres disloqués lui donnait un air inquiétant de marionnette qu'on aurait jetée au fond d'un tiroir avant de l'oublier là. Ses cheveux étaient collés au sol par son propre sang, lâchés, en bataille. Et je crois que malgré le chaos de la scène, je ne l'avais jamais trouvé aussi beau.
Mais plus rien de tout cela n'importait a présent, du moins pas pour nous. Je ne sais pas combien de temps dura cette scène, mais elle se fit dans un silence paisible. Et quand les gens regagnèrent leur place comme ils l'auraient fait un jour ordinaire, je me rendis compte que je n'étais ni choquée, ni horrifiée. Mon cœur battait lentement, comme au réveil d'une nuit de sommeil profond, et mes mains étaient chaudes et sèches. Pas d'angoisse, pas de vagues. Sentiment de vide habituel, tout va bien. Tout va bien. C'était une journée des plus basiques ou quelqu'un était mort assassiné, rien de surprenant. Rien de révoltant. Silence.
Il n'avait pas l'air effrayé, ni celui d'avoir souffert. Pour une fois il était calme, lui qui était pourtant de son vivant une véritable pile électrique.
« De son vivant ». C'était une expression que je n'arrivais pas a lui associer. Ou peut être que si, un peu trop ? il avait toujours cet air plein de vigueur au visage, alors même que celle-ci avait quitté son corps il y avait maintenant un moment. Toutes ces couleurs, de la pâleur de sa peau aux reflets dorées de ses cheveux salis, de ses lèvres bleues au marron de ses yeux, le mettaient en valeur. Il avait l'air intemporel. C'était son truc à lui, je pense. De suspendre le temps dès l'instant où il entrait dans une pièce. Encore aujourd'hui, mort, il avait réussi.
VOUS LISEZ
Les P'tites Coupures
RandomC'est comme de petits extraits de journaux découpés au milieu de longs articles, dont je vous fait cadeau. Ici, j'entrepose des petites idées qui me traversent l'esprit, des scènes banales ou fantastiques sans raisons, des rêves inachevés, des image...