Chapitre 1 : Début de folie

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   Est-ce que ça vous est déjà arrivé d'avoir cette impression de gâcher une chose que vous attendiez depuis très longtemps ? Et, en prime, d'avoir mis en l'air toute la relation avec la personne que vous aimez le plus, à qui vous tenez le plus et avec qui vous vouliez faire le premier pas ?

   À moi, oui.

   Mais ce n'est pas seulement une impression, ça m'est aussi arrivé.

   Bon, maintenant, je vais éviter de vous dire « Et voici mon histoire ». Ça fait un peu trop New York unité spéciale. Vous savez, la série où à chaque début d'épisode, un homme à la voix grave parle de cette unité qui ne s'occupe que des affaires de viols, juste avant qu'il y ait deux sons qui annoncent que ça va commencer ?

   Suis-je réellement en train de parler de cette série que je ne regarde même pas, alors que je viens de ruiner tout l'amour que me portait mon copain ?

   L'heure est grave.

   Comment puis-je donc m'épancher sur une telle chose à un moment pareil ? Avant que je ne meurs, je vais me remémorer à une de ces fois où j'étais à la cantine avec une amie, que nous avions mis de la vinaigrette sur un chausson au fromage au lieu d'en mettre sur la salade tout ça parce nous avons mal compris, c'est cela ? Et puis, quel rapport ?

   Brusquement, une envie de rire s'empare de moi, et c'est au-dessus de mes moyens. Un gloussement s'échappe de mes lèvres, avant qu'un éclat résonne dans la pièce. Au lieu d'être joyeux, les sons sonnent d'une façon bien étrange, mais je n'y prête pas attention et continue sur ma lancée. Bien heureusement, je suis seule dans la maison, personne ne peut donc m'entendre.

   Un drôle de bruit se fait entendre, comme si une goutte de pluie s'écrasait sur ma couette, puis un autre. Baissant les yeux, je me rends compte que je me suis métamorphosée en fontaine riante. Zut.

   Pense à un truc drôle. Pense à un truc drôle.

   Impossible. Mon cerveau s'est comme évaporé, vidé, écrasé. Il a disparu. C'est étrange. D'un côté, cela fait du bien de pleurer. De toute manière, mon nez était déjà bouché donc ça ne change pas beaucoup mon état.

   L'image d'un garçon à lunettes avec un sourire en forme de banane m'apparaît devant les yeux et j'explose à nouveau de rire, avant de pleurer. Et de rire. Et de hurler comme je ne l'ai jamais fait. Et de m'arrêter net.

   Je viens de crier. Je viens de crier ? Je viens de crier !

   Un sentiment si agréable m'envahit que je me redresse brusquement de mon lit, me découvrant de la couverture. J'éclate une nouvelle fois, profitant du carnet posé à proximité de mon bras pour m'en emparer et le jeter à travers la pièce. Un son quelque peu inquiétant s'insinue dans mes oreilles, mais au lieu de me faire peur, il me donne plus de courage.

   Enfin, peut-on encore parler de courage ?

   Je cours à la rampe de mes escaliers, et m'y attaque violemment. Coup de pied, coup de poing, elle a droit à tout. A chaque atteinte, un cri sort de la gorge, me donnant tout l'élan qu'il me faut. Je parviens finalement à la briser en deux, le bois craque dans un son quelque peu écœurant me rappelant celui d'os rompu. Mais je n'en ai rien à faire, je continue. Lorsque ma jambe brasse enfin l'air, je me jette sur les débris qui jonchent les escaliers. Au contact de mon pied droit sur le sol, un hurlement s'échappe de ma gorge, venant tout droit de mon cœur. Les larmes reprennent leur course sur mes joues pour s'étaler mollement au sol.

   Peut-être devrais-je aller voir une psychologue.

   Mais non. Je ne prendrai pas de séances chez une personne telle. D'accord ?

   Je me le répète encore une fois dans la tête, mais ne parviens à y croire. J'ai tout anéanti avec Finn. Je l'ai affreusement déçu et il ne me reparlera plus.

   Quoi ? Il ne me reparlera plus ? Pourquoi dis-je donc cela ? Ce n'est même pas vrai.

   Un rire traverse mes lèvres. Non, sérieusement. Finn m'adressera à nouveau la parole, il me pardonnera tout. Pardonner de quoi, déjà ? Ah, oui. De l'avoir trompé avec un autre garçon que lui, alors que nous formions encore un couple.

   Je ris de plus en plus fort, m'irritant presque les cordes vocales. Je comprends mieux maintenant pour quelle raison je souhaitais absolument partir en Amérique, dans cette université. C'est plus clair. Et intelligent. Mais très lâche.

   Peut-être devrai-je garder cette idée. Enfin, à quoi bon ? Finn me pardonnera, c'en est certain.

   La sonnette retentie brusquement dans toute la maison, me sortant de mes pensées, mais je ne veux aller ouvrir. Mes pieds endoloris me font boiter lorsque je vais me chercher un mouchoir, ce qui m'arrache une grimace.

   La sonnette ne s'arrête pas pour autant, et je lâche un grognement. Mais qui cela peut-il bien être à cette heure-ci ? Il est 21h21 !

   21h21, cela veut dire que quelqu'un pense à moi. Des histoires racontent que lorsque l'on voit les mêmes chiffres ou nombre sur le cadrant horaire signifierait que quelqu'un penserait à nous. Mais dans la tête de qui pourrais-je donc être en ce moment même ? Probablement Finn. Finn ? Et si c'était lui qui sonnait depuis avant ? Zut !

   Je cours autant que je le peux jusqu'aux escaliers, enlève la plus grosse partie des débris et descends ensuite comme une furie, essayant d'oublier la douleur qui m'arrache la cheville. Mais au moment où je passe du premier étage au rez-de-chaussée, le contact se fait trop brutal et je lâche un cri, avant de perdre l'équilibre et de tomber en avant. Une douleur aiguë se fait ressentir dans mon épaule droite ainsi que dans ma hanche, et je me retrouve étendue sur le sol, en bas des escaliers. Cinq marches de sautées.

   Voyons le côté positif, je n'aurai plus le besoin de les descendre.

   Revoyant l'image de mon copain attendant devant la porte, je me mets à plat ventre et rampe en me tirant avec le bras gauche jusqu'à l'entrée. Seul problème, je suis aussi rapide qu'un escargot sec. Alors, sans réfléchir, j'ouvre la bouche et essaye de dire :

   « J'arrive ! »

   Sauf qu'on ne perçoit que la première lettre. Une quinte de toux s'empare de moi, m'empêchant de prononcer la suite. Bon, d'accord, crier fait peut-être partie de mes possibilités de sortir un son de ma gorge, mais cela s'arrête ici. Je reprends alors ma glissade effrénée jusqu'à entendre une voix derrière la porte :

   « Aileen, c'est toi ? »

   Je m'arrête brutalement et me retiens avec peine de tousser.

   « Tout va bien ? Laisse-moi entrer ! »

   Ce n'est pas Finn. Je me suis totalement trompée. Au contraire, c'est une fille.

   Je ne respire plus. Un gros poids me tombe sur les épaules et en quelques secondes, une flaque se forme en dessous de moi, m'entraînant dans le parquet du sol où je m'enfonce lentement. Je m'étouffe, manque d'air, mais ne fais rien pour aller mieux. Finalement, des cris se font entendre derrière la porte, avant qu'un bruit sourd m'envahisse les oreilles. La tête floue de Kylie apparaît devant moi, elle est totalement affolée.

   Surprise !

   Elle me regarde avec de gros yeux lorsque que je détourne la tête et essaye de me calmer. Je l'entends me parler, mais je n'en ai strictement rien à faire. Ma toux se fait moins forte, les larmes continuent à couler. Je me redresse lentement, plissant les yeux pour essayer de mieux voir et sens des mains me soulever. Mon épaule et ma hanche me font terriblement mal, mais la douleur rien comparée à ce que je ressens à l'intérieur de moi.

   « Aileen, réponds-moi s'il te plaît » me demande-t-elle.

   Je ne prends pas la peine de tourner le visage vers elle et grogne quelque chose. Elle s'arrête de faire tout mouvement, et me dévisage longuement.

   « Tu... Tu... Aileen, tu... »

   C'est à ce moment-là que je me rends compte de l'acte irréversible que je viens de commettre. Je la fixe droit dans les yeux, essayant d'être impassible autant que je le peux. Après un long moment de paroles incompréhensibles, elle chuchote tout bas :

   « ... Parles ? »

Reviens moi (partie 3) ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant