Il est vingt-deux heures, Kylie vient à peine de partir. Durant deux heures, j'ai dû lutter contre moi-même et me forcer à tout lui écrire. Tout écrire, tout lui raconter.
Lui dire que je suis devenue sans cœur, vide, toujours vide.
Elle a pris soin de tout lire et ne m'a pas critiquée, pas jugée, rien. Elle m'a simplement parlée, telle une vraie amie. Je l'ai écoutée sans broncher, en étant sérieuse et en la regardant droit dans les yeux. En y repensant, je crois que j'ai fait un bon premier pas en racontant tout à une personne, à la bonne personne.
On pourrait croire que grâce à cela, ma fichue bulle a disparue, mais non. Elle est toujours là, encombrante, étouffante, enveloppant une fille sans cœur. Vide, toujours vide. Elle ne s'est pas fissurée non plus. Très résistante, comme plus que décidée à me pourrir la vie à partir de maintenant.
Le seul point positif de tout cela, c'est de savoir que quelqu'un me soutient, sans me prendre en pitié, sans me regarder comme si je n'étais qu'une pauvre jeune fille en proie à la folie.
Quelqu'un qui me regarde presque normalement, sachant très bien que je suis devenue une fille sans cœur. Vide, toujours vide.
Kylie m'a donnée sa parole de ne rien répéter, mais je n'y crois pas trop. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Mais ce que je devine, c'est qu'elle va au moins dire une partie à Zoé ou Emma, voire même à James.
Si je savais la façon dont je me trompe.
Encore une fois, je relis ce que j'ai écrit sur la feuille, et ça me donne envie d'en rajouter. Toujours en rajouter, mettre de nouvelles choses, insister et insister. Je n'ai rien omis, je lui ai tout dis précisément, mais je n'ai fait part d'aucuns de mes sentiments. Seule la dernière phrase a pu lui faire comprendre, et a quelque peu tout résumé. Trop et pas assez récapitulé.
Je suis anéantie.
L'envie d'écrire se fait de plus en plus pressante, je m'empare de mon téléphone que j'allume. Il met du temps, et a un peu de mal au vu de tous les appels et des messages ignorés jusqu'à présent. Je vais dans ma conversation avec James et lui envoie : Laisse tomber Finn. Emmène mon carnet stp, 2e tiroir à droite.
A vingt-trois heures, une infirmière arrive avec un paquet en main, elle me dit que c'est mon frère qui l'a déposé à la hâte. Apparemment, il avait l'air heureux et lui a juste demandé de me dire : « Lâche tes pensées ».
Tant mieux pour lui.
Je m'empare de mon stylo et de mon carnet, puis commence à écrire. J'y recopie tout mon texte rédigé pour Kylie, et j'en profite pour ajouter tous mes ressentis. Un groupe de mots revient tout le temps, répété en boucle. Comme une roue qui tourne et qui tourne, une chanson sans fin, le genre qu'on déteste mais qui reste interminablement dans la tête.
Sans cœur. Vide, toujours vide.
Deux heures plus tard, je sombre dans le sommeil.
Cauchemar, cauchemar et cauchemar. Toujours des cauchemars. Réveil en sursaut, cris, hurlements stridents qui arrachent l'ouïe.
Essayant de lever mes mains pour chercher mon carnet, je sens mes poignets se bloquer. Ils sont à nouveau attachés avec les sangles, alors enlevées hier lors de la visite de Kylie. Je panique, j'essaye de bouger dans tous les sens mais je suis bloquée. Emprisonnée. Sanglée, au ventre, aux poignets, aux chevilles. Partout où j'ai mal. Je ne suis pas assez détruite, ils veulent encore me mettre plus en morceaux ? Je tourne la tête dans tous les sens, l'enfonce dans le coussin comme si j'allais traverser le lit et me libérer. Je me remets tout à coup normalement, soufflant à intervalles irrégulières. Je finis par l'apercevoir sous la minuscule fenêtre, posé sur une table. Il est fermé. Il est fermé, le stylo est dessus. Quelqu'un l'a touché. Peut-être même fouillé. Peut-être même lu ! Je suis parano, totalement parano et paniquée.
J'essaye de me calmer et appelle une infirmière en criant. C'est l'unique solution. Ils m'ont sanglée, comment faire d'une autre manière ? Elle arrive en courant, essoufflée et les cheveux en bataille autour de son visage. Lorsqu'elle elle me voit, les yeux lançant des éclairs mais le corps étrangement calme, elle fronce les sourcils.
« Qu'est-ce qu'il y a ? »
Je détourne rapidement le regard, le dirigeant vers les attaches pour lui faire comprendre que je veux qu'elle me les enlève, avant de le reposer sur elle, toujours aussi froid. L'infirmière se trouve bien embêtée et ne sait que faire.
« Je ne peux pas. Le médecin a dit... »
Elle s'arrête, coupée par mon expression. Lentement, je sens mes forces repartir, repartir, repartir. Me quitter.
Et si je ne pouvais plus écrire ?
Je prends mon courage à deux mains, ce qui est un peu dur dans mon cas, et je dis, trahissant ma promesse faite à moi-même :
« Si vous voulez que je sois moins folle et que je me calme, ce n'est pas en m'emprisonnant et en me privant de bouger et d'écrire que vous allez y parvenir. »
Elle me regarde un moment, ne sachant pas quoi dire ni faire.
« Détachez-moi. » Léger silence. « S'il vous plait. »
Elle daigne enfin bouger, s'approche de moi et me défait doucement ces choses infernales qui m'empêchent d'être libre. Si on peut encore parler de liberté, à ce stade.
« Je te préviens, dit-elle d'un ton sévère, si tu tentes quoi que ce soit, je te recloue sur le lit et cette fois tu y resteras pour un long moment, réveillée ou pas. »
Serait-ce une menace ? La colère me monte, mais je ne dis rien, de peur qu'elle se ravise et me rattache le tout. Lorsqu'elle finit, je lui montre le carnet sur la table, qu'elle cherche pendant que je bouge doucement les poignets de sorte à me les dégourdir. Je la remercie d'un signe de tête au moment où elle me le donne. Mon regard croise le sien, et je peux voir qu'elle n'est pas si méchante qu'elle souhaite le montrer. Enfin, si on peut appeler cela ainsi le fait de menacer. Elle avait juste peur.
Sans cœur. Vide, toujours vide. Et effrayante en plus.
Je peux enfin écrire. Mon stylo glisse tout seul, à une allure dont je ne me croyais pas capable. Je raconte tout, rajoute des choses à la suite de ce que j'ai écrit hier, fais part de mes émotions, de mes pensées, m'insulte comme je le peux (c'est à dire au maximum) ce qui me sert et m'aide beaucoup.
Sans cœur. Vide, toujours vide. Confiance en moi disparue. Rabaissant son ego à un point effrayant. Angoissante, folle. Complètement folle.
Je pleure, je pleure comme je ne sais quoi. Les larmes coulent, coulent et dévalent mes joues pour venir mouiller ma blouse. Cette fois, ça me soulage.
Et je crois bien qu'un trou d'un millimètre vient de se percer dans ma bulle.
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Reviens moi (partie 3) ©
RomanceJ'ai tout gâché. Il a tout gâché. Ils ont tout gâché. Je suis seule. Il est seul. Nous sommes seuls. Éperdument seuls et détruit. Tel un ballon, il a lentement pris son envol par ma faute. Reviens moi est la suite de Raconte moi et donc de Rappelle...