Chapitre 9 : Qui ne tente rien n'a rien

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   Arrivées devant la maison, je sens mon cœur battre la chamade et la nostalgie remonter lentement en moi. Comme l'avait dit Kylie, les volets sont tous fermés. Tout donne l'air d'être mort, et je me rends compte que je n'ai aucune idée de la façon dont je vais m'y prendre pour que Sandra m'ouvre. Je pousse un soupir, ma mère hésite à mettre sa main sur la mienne et finit par s'y résigner. Je lève la tête vers elle, elle me fait un léger sourire pour ne pas montrer son embarras, et murmure au bout de quelques secondes :

   « Ne t'attends pas à ce que vous allez vous retrouver dans la joie et la bonne humeur, Aileen. Finn va avoir du mal à te revoir, il faut que tu le saches. »

   Elle n'est pas optimiste, mais ça me convient très bien. Elle ne cherche pas non plus à me rassurer, elle me dit la simple vérité. J'acquiesce, et, après un nouveau soupir, ouvre la portière pour sortir.

   « Je vais acheter quelques trucs, je t'attends après. Ne tarde pas trop. »

   Je me retourne vers elle et lui jette un regard qui, je l'espère, exprime ma... gratitude. Avant que je ne coupe le contact entre nous, elle chuchote juste :

   « Fais attention à toi... »

   Je crois entendre un ma fille en suspense, et je sens mes larmes monter lorsque je vois la voiture partir et disparaître peu à peu.

   Je fais face alors à la maison, une boule au ventre. Je m'avance doucement, monte les escaliers marche par marche et lève le poing une fois devant la porte, prête à frapper. Je me défile au dernier moment, incapable de faire cela. Mon dos se retrouve rapidement contre l'entrée, et je me sens glisser vers le sol jusqu'à être assise, le regard perdu. Tant perdu que je ne me rends pas compte que les larmes ont commencé à couler abondamment. Je ne le remarque que lorsque je sanglote telle une enfant. Je suis une lâche.

   Sans cœur. Vide, toujours vide.

   Qu'est-ce que je suis venue faire ici ? N'ai-je pas assez fais de dégâts, faut-il que j'en rajoute en venant chez lui ? Qu'espérais-je, que nous allions se voir, se sauter dans les bras et s'embrasser ?

   Tout de même, j'aimerais qu'il comprenne. Qu'il comprenne que je ne veux pas être sans lui. Que je ne peux pas. Je veux qu'il sache que je l'aime ! Et que je suis désolée... Tant désolée... Ce qui est bien simple à dire, après tout ce que j'ai fait.

   Un nouveau sanglot, plus bruyant, me secoue toute entière. Il faut que j'arrête ! Que je cesse de pleurer, que je remballe toutes ces insultes au fond de moi et le fait de me contredire continuellement dans ma tête.

   Je suis déséquilibrée mentalement.

   Sans cœur. Vide, toujours vide. Et folle.

   J'étais venue pour lui parler et tout ce que je parviens à faire c'est pleurer devant sa porte ! Je suis une lâche ! Une lâche ! Une traître ! Sans cœur, sans putain de cœur !

   Mais pourquoi lui ai-je donc fais tout cela, pourquoi ! Tout en sachant que c'est le garçon qui ne mérite pas cela. Quelle honte. Un être si gentil...

   Une voiture passe devant la maison, mais je n'y prête pas attention. Que le conducteur me voit pleurer, je n'en ai rien à faire. Mes sanglots redoublent, non, triplent, et je ne peux plus m'arrêter. Je n'ai même pas envie de crier. Juste pleurer, pleurer et pleurer. Me vider encore plus.

   Sans cœur. Vide, toujours vide.

   Machinalement, j'essuie mes larmes. Sans remarquer que tout le noir, dû au reste de maquillage que Kylie a tenté de me faire mettre hier s'est déposé sur mes doigts et mes manches. Sans remarquer que je ne me tiens plus que sur du vide, la porte s'étant ouverte.

   J'arrête de faire tout mouvement lorsque j'entends derrière moi :

   « Il est inutile de venir pleurer sur mon tapis. Tu peux rester chez toi pour le faire. »

   Je renifle un bon coup, sans esquisser le moindre geste, m'attendant à ce que la porte se referme. Comme elle n'en fait rien, je me lève lentement et me tourne vers elle, retenant un hoquet de surprise.

   Elle est dans un état bien pire que ce que m'a dit Kylie.

   Cela doit faire plus d'une semaine que ses cheveux n'ont pas été lavés. Elle est arbore une couleur plus que pâle, ses cernes noirs contrastent avec sa peau et lui donnent un air de zombi. Son regard, par contre, est tout à fait clair : n'entre pas dans cette maison ou je te saute dessus et tu auras ton compte.

   Kylie m'a dit qu'elle était en congé depuis le lundi ayant suivi ce fameux samedi. On pourrait croire que cela fait plus d'un mois qu'elle n'a plus dormi. La faute à qui ? D'une pauvre ordure. Je verrais presque ses babines se retrousser pour laisser places aux canines.

   Il me semble que ce n'est pas tout à fait le moment de penser à des vampires.

   Je m'essuie les joues d'un geste quelque peu rageur, j'ai droit à une nouvelle remarque.

   « Aileen, si tu viens ici pour parler à mon fils, je ne te le permettrai pas. Tu as fait assez de mal. »

   Mais où est passée la Sandra que je connais ? La femme si gentille, si drôle, comme une deuxième mère pour moi ? Bien entendu, elle veut protéger son fils, ce qui est tout à fait compréhensible. Mais tout de même, cela donne une grosse claque dans la joue.

   Sans flancher, sans pleurer, sans baisser les yeux, je l'observe. Non pas pour la défier, mais pour lui faire comprendre que je suis déterminée.

   Elle fronce les sourcils et, au bout d'un long moment, c'est comme si toute tension de son visage disparaît, pour ne plus laisser que de la tristesse. Puis elle s'efface, laissant le vide derrière la porte. Sans faire de bruit, j'entre et je ferme doucement derrière moi. Je m'habitue rapidement à l'obscurité et décide de ne pas enlever ni ma veste, ni mon écharpe. Je serai rapide.

   Cherchant la seconde personne que j'ai détruite, je vois qu'elle est assise sur le canapé. Ses épaules se soulèvent et s'affaissent à un rythme irrégulier. Je m'avance à pas lents vers elle et sens un énorme poids tomber sur mes frêles épaules lorsque je la vois.

   Sans réfléchir, je prends place à côté d'elle et l'entoure de mes bras. Elle résiste au début, mais se laisse finalement faire et pleure comme je n'ai jamais vu quelqu'un pleurer.

   Au bout d'un très long moment, elle se calme et je l'entends murmurer contre mon épaule :

   « Ne crois pas que je te pardonne, Aileen. Tu as fait plus de mal à mon fils qu'une simple fille lui en aurait fait. »

   Elle relève la tête et me regarde dans les yeux pour poursuivre :

   « Il t'aime et tu l'as littéralement brisé. Il va avoir du mal à l'oublier, et sûrement du mal à te pardonner, tout comme moi. Vas le voir, tu verras son état, ce qu'il est devenu. Ni moi ni Kylie n'avons réussi à le faire revenir dans le droit chemin. »

   Je me desserre de son étreinte, sans mot dire et monte doucement, le cœur battant.

   Devant la porte de sa chambre, je mets toutes les forces qui me restent en moi, et appuie enfin sur la poignée.

Reviens moi (partie 3) ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant