1 - Retour en France

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Nantes, avril 2019.

Par une froide nuit où l'hiver refusait de céder sa place au printemps. Le chuintement des portes automatiques brisa le ronronnement de la climatisation. Le réceptionniste leva les yeux de son écran. Qui peut se pointer dans un cinq étoiles à une heure du matin ? Un vent glacial balayait la ville depuis des jours. Même si ce n'était pas une règle absolue, les oiseaux nocturnes étaient souvent sources de problème et celui qui venait à sa rencontre, affublée d'une veste molletonnée et d'un bonnet bleu électrique avait plus l'apparence d'un randonneur égaré que d'un capitaine d'industrie en voyage d'affaires. Karl détestait ces astreintes ; une envie de se pendre au lustre du grand hall, tant le temps lui paraissait interminable. Son souhait de vie paisible s'était naturellement imposé quand il avait raccroché, mais aujourd'hui, l'action lui manquait cruellement.

Sans un regard pour l'employé, le nouveau venu laissa choir son sac à dos contre la banque d'accueil comme un fardeau trop lourd, puis avec un bruit de gorge agacé, jeta son couvre-chef sur le comptoir dans un floc poisseux et débuta la fouille de ses nombreuses poches.

— P'tain, je l'ai mis où ?

Karl sera les poings, irrité par le morceau de laine sacrilège qui souillait son environnement. Le taux de probabilité que cet individu soit une mine d'ennuis venait de dépasser la cote d'alerte. Quand son regard glissa sur le malotru pour protester, il retint un « oh » de surprise et se reprit de justesse.

— Bonsoir... madame.

Devant la mollesse de la réaction, l'arrivante le foudroya du regard. Son souhait d'effacer le passage de trente à six degrés et la douleur de son épaule n'avait cessé de s'amplifier depuis l'aéroport.

— Bonsoir, répondit-elle durement, une chambre s'il vous plait.

— Aviez-vous réservé ?

— Non.

— Bien, bien... pour combien de jours ?

— Une semaine ou deux, je ne sais pas encore.

Perturbé par l'échange, l'homme stoppa les questions d'usage et se pencha d'instinct sur son écran. Déballer son dialogue de convenance n'aurait pas cadré à la situation. Il laissa de longues secondes s'étirer pour marquer l'instant avant de relever les yeux.

— Hum... je n'ai que des suites de disponible et le prix est plus... annonça-t-il d'une voix grave.

— M'en fous, ça me convient, trancha-t-elle.

— Bien... pouvez-vous me fournir une pièce d'identité et un moyen de paiement, s'il vous plait.

Agacée, elle jeta le tout sur le comptoir. Si sa tenue avait été autre, le réceptionniste n'aurait jamais osé une telle demande, mais dans le temple des apparences, elle ne devait s'étonner de rien. À plusieurs reprises, le regard inquisiteur de l'employé passa du passeport à sa future cliente qui lâcha un long soupir de déconvenue en avertissement. Les documents maltais ne couraient pas les rues, mais mise à part la coiffure, tout semblait en règle.

— Ya une baignoire ? lâcha-t-elle, impatiente.

— Bien sûr, madame, toutes nos suites ont une douche et une baignoire, précisa-t-il en lui tendant une carte magnétique.

— Envoyez-moi le service lingerie, demain matin. Je prendrais mon petit-déjeuner dans ma chambre, huit heures.

— À votre service, madame Juin. Je vous souhaite un bon séjour à l'Excelsior Hôtel.

* * * *

Dans le reflet du miroir, Julie grimaça. Nue, elle dansait d'un pied sur l'autre pour limiter le contact avec le carrelage qui lui glaçait les os. Sa peau blanche de Parisienne avait cédé sa place à un teint hâlé, résultat d'un soleil africain omniprésent. Sa silhouette s'était affinée et son regard empreint de colère avait effacé le côté juvénile qui la caractérisait avant son départ. Dans un soupir, elle se passa la main dans les cheveux ; cette coupe était une horreur, mais sur l'instant, sa décision était la seule envisageable pour exprimer sa détermination. En effleurant la cicatrice rouge-carmin de son épaule, elle émit une plainte étouffée. Guérir d'une blessure par balle demande du temps, lui avait expliqué le chirurgien. Il disait vrai, la douleur lancinante qui la taraudait depuis sa sortie de l'hôpital lui mettait les nerfs à vif et chaque mouvement, chaque frôlement sur la plaie était un coup de poignard qui la traversait de part en part. Sur sa jambe droite, la seconde qui lui zébrait la cuisse était vraiment moche, le grappin avait plus déchiqueté que coupé la chair. Le médecin du bord n'avait pas fait dans la dentelle. Un choix qui fut le sien et qu'elle avait parfaitement assumé sur l'instant. Son doigt glissa sur son ventre où la première paraissait maintenant dérisoire comparer aux autres, mais son souvenir restait d'une intensité sans égale. Ce soir, la fatigue et le froid imposeraient le programme de sa première soirée en France comme une évidence. Après un bain brulant, elle ira dormir pour calmer son corps et son esprit, demain une journée formidable ou celle de toutes ses craintes, l'attendait.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 28, 2021 ⏰

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Dans les yeux de Julie - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant