Chapitre 6

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L'atmosphère fraîche de la salle commune paraissait confinée après le vent chaux qui soufflait dehors. Claire réprima un frisson et cligna des yeux pour s'habituer à la pénombre.
Quelques filles étaient installées à une table, devant des livres ouverts : la télé était allumée même si personne ne la regardait.
Elle n'attira mas l'attention en pénétrant dans la pièce. Elle s'approcha du bureau vitré des surveillants, et l'étudiante qui s'y trouvait releva le nez de son magazine. En découvrant les contusions de Claire, sa mâchoire se décrocha.
- Salut ! Lança Claire.
Sa voix était blanche, sa gorge râpeuse, et elle dut déglutir deux fois avant de pouvoir reprendre :
- Je suis Claire, j'habite au troisième. Et...euh...j'ai eu accident hier, mais rien de grave. Je suis en forme.
- Tu es là... On te cherchait, tu sais ? - Ouais. Dit à tout le monde que je vais bien. Je dois aller en cours maintenant.
- Mais...
- Désolée, je suis en retard ! S'écria Claire en se précipitant vers l'escalier et en le gravissant aussi vite que le lui permettait sa cheville.
Elle dépassa deux filles qui la dévisagèrent, les yeux écarquillés.
Elle ne croisa pas Monica. Ni dans l'escalier, ni sur le palier. Le couloir était vide, et toutes les portes, closes. La musique résonnait derrière trois ou quatre d'entre elles. Elle fonça jusqu'à la sienne, tout au fond.
La poignée tournait dans le vide. Super. Monica était passée par là, Claire n'avait pas besoin de graffiti pour le savoir. Sa chambre était, comme elle s'y attendait, sens dessus dessous. Ce qui n'avait pas été casser avait été jeté en pile, par terre. On avait gribouillé certains livres, ce qui lui serra le ❤. On avait sorti de sa penderie les rares vêtements qui lui restaient et on les avait éparpillés. Certaines de ses chemises avaient été déchirées, mais elle s'en fichait. Elle fit un tri rapide, en trouva deux ou trois intactes et les fourra dans un sac poubelle. Elle ajouta un pantalon de jogging qui avait échappé au carnage. Elle mit également la main sur deux vieux ensembles de lingerie cachés au fond d'un tiroir. Elle récupéra en plus une paire de chaussures, les livres qu'ellepouvait sauver et la petite trousse de toilette qu'elle rangeait sur l'étagère près de son lit. Son iPod avait disparu. Comme ses CD. Impossible de savoir si c'était le fait de Monica ou d'une autre locataire du dortoir qui aurait pillé sa chambre après coup.
Elle balaya la pièce du regard, repoussa l'essentiel du bazar dans un coin et empocha la photo de ses parents, qui trônait sur sa commode, avant de partir. Elle ne prit pas la peine de refermer la porte derrière elle.
, songea-t-elle en frisonnant.
Elle s'engageait dans l'escalier lorsqu'elle entendit des voix monter du premier étage :
-...jure que c'est elle ! Tu devrais voir son coquard, il est hallucinant ! Tu m'as pas loupée...
- Où est-elle ? Répondit Monica de sa voix cinglante. Et comment expliquez-vous que personne ne m'ait prévenue ?
- C'est...c'est ce qu'on a fait ! Protesta une fille qui semblait aussi effrayée que Claire.
Celle-ci plongea une main dans sa poche et la referma autour du téléphone pour se rassurer.
- Elle est allée dans sa chambre. Elle y est peut-être encore ?
elle ne pouvait se fier à personne dans le dortoir. Personne n'accepterait de la cahcer ou ne se risquerait à prendre sa défense. Claire regagna le deuxième étage pour sortir par l'escalier de secours. Elle dévala les marches en béton et se baissa en passant devant la porte vitrée du premier étage. Lorsqu'elle atteignit le rez-de-chaussée, elle transpirait et tremblait à cause de l'effort, son sac à dos pesait une tonne et elle devait traîner le sac poubelle. Elle risqua un œil par la fenêtre de la salle commune.
L'un des lieutenants de Monica, Jennifer, montait la garde au pied de l'escalier. Elle était très concentrée, et paraissait inquiète. Elle ne cessait de jouer avec le bracelet autour de son poignet droit. Claire savait que Jennifer la verrait à la seconde où elle pousserait la porte. Bien sûr, peut-être que ça ne porterait pas à conséquence, qu'elle l'autoriserait à partir sans lui sauter à la gorge. Après tout, elles n'allaient tout de même pas l'attaquer en public, si ? Claire scruta le visage de Jennifer et fut saisie de doute. Rien n'était moins sûr...
L'issue de secours du deuxième s'ouvrit soudain à la volée, et Claire se mit en quête d'un endroit où se cacher. Il y avait une sorte de placard sous l'escalier en béton, mais il était verrouillé et elle n'avait pas les talents de Monica pour forcer les serrures. Elle n'en avait pas le temps, de toute façon. Les bruits de pas se rapprochaient. Il ne lui restait plus qu'à espérer que la personne ne vérifierait pas sous l'escalier. Claire toucha, de nouveau, le téléphone dans sa poche. < Un simple coup de fil. Tout ira bien.> elle sortie la main de sa poche, prit une profonde inspiration et attendit.
Ce n'était pas Monica, mais Kim Valdez, une étudiante de première année, comme elle. Un musicos, ce qui la plaçait un cran légèrement au-dessus de Claire dans l'échelle des losers selon Monica. Kim faisait profil bas, et elle ne semblait pas redouter particulièrement Monica ou ses Monickettes.
À vrai dire, Kim n'avait pas l'ai de craindre grand-chose.
C'était une solitaire.
Elle eut un mouvement de recul en découvrant Claire. Elle s'immobilisa, la main sur la poignée de la porte.
- Salut ! Dit-elle en enlevant la capuche de son sweat-shirt, révélant des cheveux noirs, courts et brillants. Elles te cherchent.
- Ouais, je sais.
Kim avait un étui à instrument. Claire n'aurait su dire ce qu'il contenait, mais la boîte éraflée était énorme et ventrue.
Kil la posa.
- C'est Monica qui t'a fait ça ? demanda-t-elle en indiquant les bleus de Claire.
Celle-ci acquiesça en silence.
- J'ai toujours su que c'était une grosse peste. Tu veux sortir d'ici ?
Claire acquiesça derechef, avant de s'enquérir, la gorge serrée :
- Tu vas m'aider ?
- Non, rétorqua Kim avant de lui lancer un sourire éclatant. En tout cas, pas ouvertement. Ce ne serait pas très malin...
Elles établirent leur plan en quelques secondes : Claire enfila le sweat-shirt, rabattit la capuche sur son front et souleva l'étui à l'instrument.
- Plus haut, lui conseilla Kim, incline-le pour cacher ton visage. Voilà, comme ça. Et garde la tête baissée.
- Et mes sacs ?
- Je vais attendre deux minutes, puis je sortirai avec. On se retrouve dehors. Tu n'as pas intérêt à tirer avec mon violoncelle. Je suis très sérieuse. C'est moi qui te filerai une raclée, sinon.
- Compte sur moi.
Kim lui ouvrit la porte, elle prit une inspiration et pénétra dans la salle commune. Elle la traversa, tête baissée, feignant d'être en retard pour une répétition.
Au moment où elle passait devant Jennifer, celle-ci lui jeta, par réflexe, un coup d'eil, avant de reporter son attention sur l'escalier. Une poussée d'adrénaline envahit Claire, lui brûlant le visage ; elle dut se retenir de courir jusqu'à la porte. Elle eut l'impression qu'il lui fallait une éternité pour franchir cette distance.
Les portes vitrées étaient en train de s'ouvrir lorsqu'elle entendit Monica lancer :
- Elle n'a pas pu sortir ! Vérifie le sous-sol ! Elle est peut-être tombée dans le vide-ordures comme son linge pourri.
- Mais...protesta faiblement Jen. Je n'ai pas envie de...
Monica ne lui laisserait pas le choix, malheureusement.
Claire réprima un sourire de victoire et quitta le bâtiment.
La lumière éblouissante à l'extérieur était
extraordinairement...rassurante.
Claire inspira profondément l'air de cet après-midi caniculaire avant d'aller se poster à l'angle pour attendre Kim.
Les murs exposés au soleil réverbéraient la chaleur, c'en était suffocant. Éblouie. Claire plissa les yeux et aperçut au loin le scintillement de la voiture d'Eve, garée tout au fond. Il devait faire encore plus chaud à l'intérieur, et Claire ne pût s'empêcher de se demander si elle avait renoncé à son manteau en cuir.
Elle réfléchissait à cette question lorsqu'elle vit une ombre s'approcher de la sienne, par derrière. Elle voulut réagir, mais trop tard. Un tissu sombre lui obstruait déjà les yeux, le nez et la bouche. Une pression exercée sur sa tête lui fit perdre l'équilibre. Elle cria, ou plutôt elle essaya, car on la frappa au ventre, lui coupant le souffle. À travers les mailles du tissu qui recouvrait son visage, Claire distingua un soleil pâle, trouble, et des ombres, puis ce fut le noir complet.
Elle n'avait pas perdu connaissance pour autant. La pression brûlante du soleil s'estompa, elle sentit qu'on l'entraînait dans un endroit sombre et silencieux.
Puis qu'on lui faisait descendre une volée de marches.
Elle entendit les murmures de plusieurs personnes avant d'être brutalement poussée en arrière et d'atterrir sur une surface en béton. Sonnée, elle mit quelques secondes à se dégager du sac qu'on lui avait placé sur la tête, un sac à dos noir, apparemment. Elle était encerclée de filles.
Elle n'avait pas la moindre idée de l'endroit où elle se trouvait. Sans doute un débarras quelconque, peut- être au sous-sol. Il était rempli d'objets, valises, boîtes étiquetées et autres. Certaines boîtes avaient répandu leur contenu en tombant, et de vieux vêtements jonchaient le sol. Ça sentait le papier moisi, et Claire éternua plusieurs fois de suite comme la poussière s'infiltrait dans son nez et sa bouche.
Deux filles, ricanèrent, mais la plupart restèrent impassibles, guère ravies, apparemment, d'être là. Elles devaient néanmoins se réjouir de ne pas être à la place de Claire, à terre.
Monica, qui s'était retirée dans un coin, s'avança.
- Tiens, tiens, dit-elle en posant les mains sur les hanches.
Regardez ce que les chats ont rapporté.
Elle lança un sourire glacial à Claire, on aurait dit une pub pour du dentifrice, avant de continuer :
- Tu as pris tes pattes à ton cou, petite souris. Au moment où on commençait à s'amuser...
Claire fit semblant d'éternuer encore, et Monica recula, dégoûtée. Ça lui permettait de gagner du temps : elle en profita pour sortir son téléphone de sa poche et, se pliant en deux pour dissimuler, elle pressa les touches étoiles et deux, puis appel. Puis elle glissa le portable entre deux boîtes et espéra que la lueur bleutée des touches n'attirerait pas l'attention de Monica, et que Shane ne serait pas en train d'écouter son iPod ou de jouer devant la télé, et que...
Ça faisait beaucoup de choses à espérer.
- Oh, bon sang, relevez-la ! Ordonna Monica.
Prenant Claire chacune par un bras, Jen et Gina la hissèrent sur ses pieds et la maintinrent. Monica lui ôta sa capuche et sourit en découvrant ses contusions.
- Tu fais peur, ma pauvre. C'est douloureux ?
- Mais qu'est-ce que tu as contre moi ? Lâcha Claire.
Sa peur était concurrencée par un sentiment de colère.
De furreur. Il y avait sept filles autour d'elle qui restaient les bras croisés parce qu'elles avaient les miquettes, et de qui ?
De Monica ? Qu'est-ce qui donnait aux Monica le droit de diriger le monde ?
- Tu le sais très bien. Tu as essayé de me ridiculisé.
- Essayé ? Riposta Claire.
C'était débile, mais plus fort qu'elle. Monica lui donna un coup de poing. Un crochet en plein sur son coquard, ce qui lui coupa le souffle et provoqua une douleur cuisante. La pièce tangua autour d'elle, mais elle sentit une pression sur ses bras : les Monickettes la maintenaient. Elle se raidit sur ses jambes, rouvrit les paupières et fusilla Monica du regard.
- Comment ça se fait que tu vives dans un dortoir ? demanda-t-elle.
Monica, qui inspectait ses mains en quêtes d'éventuelles contusions releva la tête, surprise.
- Quoi ?
- Ta famille est riche, non ? Tu pourrais habiter dans un appartement. Ou dans une sororité. Pourquoi tu restes à Howard Hall avec des taches comme nous ?
Elle retint sa respiration en apercevant une lueur cruelle dans les yeux de Monica, mais s'entêta malgré tout :
- À moins que tu ne sois une tache, toi aussi. Une pauvre fille qui tabasse les plus faibles, une pauvre fille qui est la honte de sa famille. Ils te cachent ici pour ne pas être obligés de te voir tous les jours, c'est ça ?
- Ferme-la, lui murmura Jennifer. Ne joue pas à la conne ! Elle te tuera...tu n'as pas compris ?
Claire détourna la tête. Son ❤ se soulevait, elle avait l'impression qu'elle allait cracher ses tripes et mourir, mais elle n'avait pas d'autre solution que gagner du temps. Shane allait venir. Eve aussi. Et peut-être Michael. Elle l'imaginait dans l'embrasure de la porte, avec son visage d'ange et son regard glacial qui transperçait Monica. Ouais, ce serait la classe. Monica ferait beaucoup moins la maligne après ça.
- J'ai entendu dire que tu avais quitté Morganville pour aller dans une autre fac, reprit-elle. Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu n'as pas réussi à t'imposer ? En même temps, difficile d'impressionner qui que ce soit quand on croit que la Seconde Guerre mondiale s'est déroulée en Chine...
Cette fois, elle vit le coup venir et se pencha du mieux qu'elle put. Le poing de Monica s'écrasa sur son font ; Claire eut mal, mais sans doute moins que son adversaire, à en croire le cri suraigu qu'elle poussa. Monica recula en serrant sa main droite dans sa gauche. Ça rendait presque la douleur qui palpitait sois le crâne de Claire supportable.
- Faire gaffe, souffla Claire en réprimant un rire nerveux.
Sa lèvre s'était rouverte et elle sentit le goût du sang sur sa langue.
- Ne va pas risquer de te casser on ongle ! Je n'en vaux pas la peine, tu as oublié ?
- Bien sûr que je n'ai pas oublié ! rétorqua Monica. Lâchez-la ! Qu'est-ce que vous attendez ? Allez-y ! Vous croyez que j'ai peur de cette pauvre naze ?
Les Monickettes échangèrent un regard, avant de libérer les bras de Claire et de s'écarter. Jennifer bouscula une pile de cartons, provoquant une avalanche de poussière et de vieux papiers. En pivotant vers elle, Claire constata qu'elle gardait les yeux rivés au sol. À l'endroit où Claire avait caché le téléphone. Jen l'avait forcément aperçu. Claire arrêta de respirer, prise d'une vague de panique subite.
- Qu'est-ce que tu regardes ? lança Monica.
Jen se retourna en croisant les bras, puis se déplaça d'un pas pour dissimuler le portable. Waouh. Jennifer avait déjà donné des signes de rébellion. Peut-être qu'elle n'était pas totalement inféodée à Monica, finalement. Peut-être que Monica avait poussé le bouchon trop loin.
Claire s'essuya la lèvre en dévisageant les autres filles.
Elles avaient l'air gênées et indécises. Claire avait tenu tête à Monica, laquelle ne lui avait pas encore collé la raclée que tout le monde attendait. Ce qui était étrange...à moins que Claire n'ait vraiment appuyé sur un point sensible. Monica se frottait la main en scrutant Claire comme si elle ne l'avait jamais vue avant. Elle la jaugeait.
- Personne ne t'a appris les règles de base, Claire. Parce que tu vois, si tu disparaissait subitement de la surface de la Terre...personne ne se soucierait de ton absence. Tu crois que maman et papa seraient bouleversés ? Peut-être bien que oui, mais qu'est-ce qui se passerait dans ce cas ? Ils dépenseraient jusqu'au dernier centime pour placarder des affiches avec ta trombine et ils s'échineraient à faire taire les rumeurs racontant que tu as piqué le mec d'une autre fille et que tu t'es enfuie avec lui. Ils finiraient par préférer ne plus penser à toi du tout.
Morganville est la capitale mondiale de la disparition...
Monica ne tentait pas de l'impresonner, et c'en était d'autant plus inquiétant. Elle parlait d'une voix calme, égale, comme si elles étaient deux connaissances plongées dans une conversation amicale.
- Tu veux savoir pourquoi j'habite ici ? Parce que, dans cette ville, je peux vivre où je veux. Quand je veux. Alors que toi, tu n'es qu'une donneuse d'organes sur pattes. Alors, un bon conseil, Claire : évite de croiser ma route si tu tiens à garder un visage humain. Me suis-je bien fait comprendre ?
Claire opina lentement. Elle n'osait pas détourner le regard.
Monica lui rappelait les chiens de garde qui guettent le moindre signe de faiblesse pour vous sauter à la gorge.
- Tu t'es parfaitement fait comprendre, répondit-elle. Tu es une psychopathe, j'ai pigé.
- Possible, acquiesça Monica avec un sourire énigmatique.
Tu es une petite maligne. Maintenant, prends tes jambes à ton cou, avant que je change d'avis et que je te colle dans une de ces vieilles valoches, où un architecte te retrouvera d'ici une centaine d'années.
- Archéologue, répliqua Claire sans ciller.
Un froid glacial tomba sur la pièce.
- J'espère pour toi que tu cours très vite...
Claire s'approcha de Jennifer et récupéra le téléphone. Elle le brandit sous le nez de Monica.
- Articule bien, j'aimerais que mes amis entendent chaque mot.
L'espace d'une seconde, personne n'esquissa le moindre mouvement, puis Monica éclata de rire.
- Oh, on va vraiment bien rigoler ensemble, petite maligne.
Elle quitta Claire des yeux pour regarder derrière elle avant d'ajouter :
- C'est moi qui donnerai le signal.
Elle s'adressait à Gina, armée d'une sorte de barre métallique. La lueur sadique qui allumait ses prunelles était glaçante.
- Elle me le paiera et je vous garantis que le spectacle vaudra le détour, mais pourquoi se presser ? Je ne m'étais pas autant amusée depuis longtemps.
Les jambes de Claire menaçaient de se dérober sous elle.
Elle aurait voulu hurler, pleurer, mais elle ne devait surtout pas fléchir. Elles la tueraient si elles pensaient qu'elle bluffait.
Elle dépassa Gina, puis deux filles qui évitèrent son regard.
En posant une main sue la poignée de la porte, elle baissa les yeux sur le téléphone.
PAS DE SIGNAL.
Elle sortit et trouva ses sacs sur la pelouse, à l'endroit où elle avait été attaquée. Elle rangea le téléphone dans sa poche, récupéra ses affaires et traversa le parking pour rejoindre la voiture d'Eve. Celle-ci était toujours assise derrière le volant, pâle comme un linge.
Claire jeta ses sacs à l'arrière alors qu'elle lui demandait :
- Qu'est-ce qui est arrivé ? Elle t'ont vue ?
- Non, aucun problème. J'ai cours, on se voit plus tard ? Merci, Eve. Euh... Tiens, ton téléphone.
Eve se renfrogna.
- Je serai de retour avant la tombée de la nuit, ajouta Claire.
- Tu as intérêt. Franchement, Claire, tu as une drôle de tête.
-Moi ? s'esclaffa-t-elle.
Regarde-toi dans un miroir.
Eve se détourna avec une moue, et Claire récupéra son sac à dos. La grande voiture noire s'éloigna.
Claire était à mi-chemin du labo de chimie quand elle sortit de l'état second dans lequel son agression l'avait laissée.
Elle s'assit sur un banc et se mit à pleurer silencieusement, le visage enfoui dans les mains. < Oh, mon dieu, je veux rentrer !> Mais où ? Chez ses parents ? Chez Michael ? < Je ne peux pas renoncer.> C'était impossible. Elle n'en avait jamais été capable, même lorsque ça aurait été la solution la plus intelligente
Elle essuya ses yeux gonflés et se rendit en cours.
Personne n'essaya de la tuer cet après-midi-là.
Au bout de deux heures, ses angoisses commencèrent à se dissiper et elle fut en mesure de se concentrer sur ses cours.
Ses voisins de paillasse, en chimie, n'étaient pas trop mauvais, et elle connaissait toutes les réponses en histoire. < Je parie que Monica ne pourrait pas en dire autant>, songea-t-elle avant de vérifier que ni elle ni un de ses bras droits n'étaient dans la salle. Il n'y avait pas beaucoup d'étudiants dans ce cours et elle ne reconnut aucun visages qu'elle avait vus dans le sous-sol.
Elle réussit à se rendre à l'épicerie, à la fin de la journée, sans encombre. Personne ne lui sauta dessus pendant qu'elle choisissait une laitue et des tomates, ni pendant qu'elle faisait la queue pour payer, pas même le type de la boucherie, auquel elle trouva pourtant un air suspect.
Elle rentra à la maison à pied, guettant les vampires dans le jour déclinant, tout en se sentant idiote. Elle ne croisa personne, à l'exception d'autres étudiant, qui coubaient l'échine sous le poids de leur sac à dos. La plupart d'entre eux se déplaçaient en groupes. Une fois sorties de la zone limitrophe de la fac, elle constata que les magasins étaient fermés, les lumières éteintes et les passants pressés.
Claire ouvrit la porte de la maison avec la clé rutilante qu'elle avait récupérée sur sa commode le matin même. Elle la claqua derrière elle.
Une silhouette se tenait à l'extrémité du couloir. Une silhouette en tee-shirt jaune baggy effiloché en bas. Les pieds nus, naturellement Shane.
Il l'examina de haut en bas avant de lui dire :
- Eve a mis tes trucs dans ta chambre.
- Merci.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Des courses pour le dîner.
Sans la quitter des yeux, il inclina légèrement la tête.
- Pour une fille intelligente, tu fais parfois des trucs très bêtes, tu sais ?
- Oui, dit-elle en s'approchant.
il ne s'écarta pas.
- Eve prétend que tu n'as pas vu Monica.
- C'est-ce que je lui ai dit.
- Tu sais quoi ? je n'en crois pas un mot.
- Tu sais quoi ? Je m'en fous, riposta-t-elle. Excuse-moi, ajoute-t-elle en se baissant pour passer sous son bras.
Une fois dans la cuisine, elle déposa les commissions sur le comptoir. elle serra ses mains qui tremblaient, puis déballa les courses : viande hachée, laitue, tomates, oignons, haricots rouges, sauces piquante et aigre-douce, fromage, galettes à tacos.
- Laisse-moi deviner, lança Shane depuis l'embrasure de la porte, tu prépares un repas chinois...
Elle ne répondit pas. elle était trop en pétard et, subitement, trop effrayée. elle ne savait pas exactement ce qu'elle craignait. Tout. Rien. Elle.
- Je peux faire quelque chose ?
Sa voix était différente. Plus douce, presque gentille.
- Tu n'as qu'à hacher les oignons, répliqua-t-elle même si elle savait qu'il ne parlait pas de cuisine.
il s'avança malgré tout et sortit un énorme couteau d'un tiroir.
- Tu dois les éplucher d'abord, lui rappela-t-elle.
Il lui décocha un regard noir, comme il l'aurait fait avec Eve, et se mit au travail.
- Euh... il faudrait que j'appelle ma mère, dit Claire. Est-ce que je peux utiliser le téléphone ?
- Si tu paies ta pars de facture.
- Bien sûr.
Il haussa les épaules, prit le téléphone sans fil sur son socle et lui lança. elle faillit le lâcher mais le rattrapa in extremis.
Elle trouva une immense marmite en fonte dans un placard et la posa sur un brûleur avant de partir en quête d'huile.
Pendant que celle-ci chauffait, Claire parcourut la recette dans le petit recueil qu'elle avait dû racheter, puis composa le numéro de ses parents.
Sa mère décrocha à la seconde sonnerie.
- Oui ?
Elle ne disait jamais .
- Maman, c'est Claire.
- Claire ! Trésor, où avait-tu disparu ? J'essaie de te joindre depuis des jours !
- J'étais en cours, désolée. Je ne suis pas souvent dans ma chambre.
- Dors-tu suffisamment ? Si tu ne te reposes pas, tu vas tomber malade, tu sais comment tu es...
- Maman, je vais bien.
Claire fronça les sourcils en regardant le livre de recettes ouvert sur le comptoir. Qu'est-ce qu'ils entendaient par exactement ? Est-ce que c'était la même chose que ? , ça, c'était à sa portée.
À celle de Shane aussi, apparemment, puisqu'il débitait déjà les oignons.
- Je t'assure, maman tout va bien maintenant.
- Claire, je sais que c'est difficile. Ça ne nous plaît pas que tu sois à plusieurs centaines de kilomètres de la maison, si tu veux rentrer, nous serons plus qu'heureux de te retrouver !
- Honnêtement, maman, je vais bien. Les cours sont vraiment intéressants...
Elle poussait peut-être le bouchon un peu loin, là.
- Et je me suis fais des amis, reprit-elle. Ils veillent sur moi.
- Tu es sûre ?
- Oui, maman.
- Parce que je m'inquiète. Je sais que tu es très mûre pour ton âge, mais...
Shane ouvrit la bouche et Claire agita frénétiquement la main afin de lui signifier de se taire. Elle indiqua le combiné pour lui rappeler qu'elle était en ligne avec sa mère. Il se remit à hacher les oignons. Claire avait perdu le fil de la conversation. Elle entendit néanmoins la fin de la phrase de sa mère :
-... garçons, entendu ?
Waouh... Le radar maternel marchait même à cette distance.
- Pardon, maman ?
- Les garçons ne sont pas autorisés à monter dans vos chambres, n'est-ce pas ? Il y a bien quelqu'un pour s'en assurer dans votre dortoir ?
- Oui, maman, un gardien monte la garde vingt-quatre heures sur vingt-quatre à Howard Hall et empêche les vilains garçons de monter.
Ce n'était pas un vrai mensonge, c'était même la stricte vérité. D'accord, elle n'allait pas balancer cette information au milieu de la conversation, comme sa...
- Ce n'est pas un sujet à prendre à la légère. Tu as été très protégée, Claire, et je n'ai pas envie que tu...
- Maman, je dois y aller. C'est l'heure du dîner, et j'ai une tonne de devoirs à faire. Comment va papa ?
- Très bien, trésor. Il te dit bonjours. Oh, aller, les, lève-toi et viens parler a ta brillante fille.
Ça ne va pas te casser le dos !
Shane tendit à Claire un bol rempli d'oignons émincés.
Après avoir coincé le combiné entre son épaule et son oreille, elle en jeta un poignée dans la marmite. Il rissolèrent aussitôt en crépitant et elle faillit lâcher le téléphone. Elle coupa le feu et s'éloigna de la cuisinière.
- Salut, ma puce. Comment se passent les cours ?
Son père tout craché ! Il ne s'embarrassait pas du superflu et ne posait jamais de questions sur sa journée ou les gens qu'elle rencontrait. Non, sa philosophie avait toujours été claire : se concentrer sur son objectif sans se laisser distraire. Mais elle l'aimait comme même.
- Les cours sont super, papa.
- Est-ce que tu fais cuire quelque chose ? Vous pouvez cuisiner dans vos chambre ? À mon époque, ce n'était pas comme ça, je peux te le dire...
- Euh... non, je viens juste d'ouvrir un Coca.
D'accord, là, c'était un vrai mensonge. Elle se dirigea aussitôt vers le réfrigérateur et en sortit un Coca glacé. Voilà, mensonge annulé.
- Comment tu te sens, papa ?
- Bien, bien. J'aimerais seulement qu'on arrête de s'inquiéter pour moi.
Ce n'est pas comme si j'étais le premier homme de l'histoire à subir une petite intervention chirurgicale.
- Je sais.
- Les médecins disent que tout va bien.
- C'est super.
- Je dois filer, Claire, le match a commencé. Tu es en forme, hein ?
- Très. Papa...
-Oui, mon lapin ?
Claire avala une gorgée de soda le temps de se décider.
- Euh... est-ce que tu connais un peu Morganville ? Je veux l'histoire de la ville, des trucs dans le genre...
- Tu fais des recherches, hein ? C'est pour un dossier ?
Mes connaissances en la matière sont très limitée. L'Université existe depuis près d'une centaine d'années, voilà à peu près tout ce que je peux te dire. Je sais que tu as hâte d'aller dans des établissements plus prestigieux, mais je sincèrement persuadé que tu dois passer une ou deux années près de la maison. On en a déjà parlé.
- Oui, oui, bien sûr. Je me demandais seulement... c'est un endroit intéressant, c'est tout.
- Parfait. Tu partageras avec nous tes découvertes. Ta mère veut te dire au revoir.
Ce que lui ne faisait jamais. Claire lança un dans le combiné, mais sa mère avait déjà repris la ligne.
-Trésor, tu nous appelles si tu as le moindre souci, promis ? Enfin, tu nous appelles de toute façon ! On t'aime !
- Moi aussi, maman. Ciao.
Elle posa le téléphone, puis remit les oignons sur le feu.
Lorsqu'ils furent translucides, elle ajouta la viande hachée.
- Alors, tu as fini de mentir à tes vieux ? demanda Shane en prenant un morceau de fromage râpé sur le comptoir. Des tacos ? Idée de génie. Ah, je suis content d'avoir voté pour quelqu'un avec de véritables talent culinaires.
- J'ai entendue, Shane ! s'écria Eve juste avant de claquer la porte d'entrée. Compte pas sur moi pour t'aider à faire le ménage ce week-end !
- Je retire ce que j'ai dis !
- Je préfère ça, dit-elle en pénétrant dans la cuisine.
elle avait pris un coup de chaud, et son maquillage s'était en grande partie estompé : elle paraissait étonnamment juvénile et fraîche sans son masque gothique.
- Oh, de la vraie nourriture ! s'exclama a-t-elle.
- Tacos, annonça fièrement Shane, comme si c'était son idée.
Claire lui donna un coup de coude, mais elle ne s'était pas attendue à ce que ses côtes soient aussi dures.
- Aïe, dit-il, alors que c'était elle qui s'était fait mal.
Claire se tourna vers la fenêtre : la nuit tombait vite, comme toujours au Texas, le soleil de plomb disparu, l'atmosphère devenait étouffante et poisseuse.
- Michael est là ? demanda-t-elle.
- Je suppose, répondit Shane en haussant les épaules. Il ne manque jamais le dîner.
Ils s'activèrent tous les trois en se répartissant les tâches, Claire remplissait les tacos de viande, Eve ajoutait les garnitures et Shane complétait les assiettes avec les haricots. Sans qu'ils l'entendent arriver, Michael les rejoignit. Il venait de se lever et de prendre sa douche : ses cheveux étaient mouillés, ses yeux pleins de sommeil et des gouttes d'eau roulaient le long de son cou jusqu'au col de sa chemise noire. Il portait un jean comme Shane, mais il avait mis des chaussures.
- Salut ! lança-t-il. Ça a l'air bon.
- C'est Claire qui a cuisiné, intervint Eve alors que Shane ouvrait la bouche. Ne laisse pas ce zigoto s'attribuer un mérite qui ne lui revient pas.
- Ce n'était pas mon intention ! se récria Shane, vexé.
- C'est ça, c'est ça...
- J'ai coupé les oignons, moi. Et toi, tu as participé ?
- J'ai nettoyé derrière toi, comme toujours.
Michael se tourna vers Claire pour lui faire une grimace. Elle éclata de rire en prenant son assiette ; Michael récupéra la sienne et la suivit dans le salon.
Quelqu'un, lui, sans doute, avait dégagé la grande table en bois près des étagères et installé quatre chaises autour. Les affaires qui l'encombraient, les boîtiers de jeux vidéos, les livres, les partitions de musique, avaient été dispersées au hasard, sans aucun souci d'ordre(c'était peut-être Shane qui s'en était occupé, après tout). Eve les rejoignit rapidement, plaça son assiette à côté de celle de Claire et fit glisser un Coca frais devant elle avant de lui passer une fourchette et une serviette.
Michael et Shane engloutissaient la nourriture comme... des garçons. Eve grignotais, elle. Claire, qui était affamée, attaquait son deuxième taco alors que celle-ci n'avait pas encore fini le premier. Shane, quant à lui, était déjà parti se resservir dans la cuisine.
- Eh, mec, lança-t-il en revenant avec une assiette pleine, quand est-ce que tu redonnes un concert ?
Michael posa sa fourchette et regarda successivement Eve et Claire avant de répondre :
- Quand je me sentirai prêt.
- N'importe quoi. Je sais que ça s'est mal passé la dernière fois, mais il faut que tu remontes en selle.
Eve adressa un regard de reproche à Shane en secouant la tête, mais celui-ci l'ignora et reprit :
- Sérieux, mec. Tu ne peux pas te laisser abattre.
- Ce n'est le cas, Shane. La vie ne se résume pas à se cogner la tête contre des murs en attendant qu'ils s'effondent.
- La plupart du temps, si, soupira Shane. Enfin, bref. Préviens-moi juste quand tu en auras assez de jouer les ermites.
- Je ne joue pas les ermites, je travaille.
- Comme si tu n'étais pas déjà un dieu de la guitare... Je rêve !
- Personne ne me respecte, se désola Michael avant d'ajouter : Changeons de sujet. Comment s'est déroulé ton rancard avec Lisa ? Tes chaussures de bowling l'ont fait craquer ?
- Elle s'appelle Laura. Elle est cool, mais je crois qu'elle en pince pour toi. Elle n'arrêtait pas de répéter qu'elle t'avait vu en concert l'an dernier et que tu étais incroyable. J'avais un peu l'impression de tenir la chandelle sauf que tu n'étais pas là, heureusement.
- Tais-toi et mange, rétorqua Michael, pourtant flatté. Shane lui fit un doigt d'honneur.
L'un dans l'autre, Claire trouva le repas plutôt sympa.
Michael et Eve étaient de corvée de vaisselle. Ils avaient perdu à pile ou face, et Claire traînait dans le salon sans savoir comment occuper sa soirée. Elle se surprenait elle-même ; Elle n'avait pas envie de travailler. Shane choisissait un jeu vidéo, les pieds sur la table basse. Sans se tourner vers elle, il lui demanda :
- Tu veux voir un truc vraiment chouette ?
- Bien sûr, répondit-elle.
Elle s'attendait à ce qu'il lui montre un jeu vidéo, mais il reposa le boîtier sur la pile et se leva pour aller à l'étage. Elle resta au pied de l'escalier en hésitant. Il réapparut au sommet et lui fit signe de monter.
Le premier était silencieux, naturellement, et faiblement éclairé ; Shane était au milieu du couloir. Se dirigeait-il vers sa chambre ? Elle eut soudain un vision d'eux deux assis sur son lit, en train de s'embrasser... Où avait-elle été pêcher une idée pareille ? Elle devait bien reconnaître cependant qu'il était très... il n'y avait pas de mot pour le décrire.
Shane s'arrêta devant un tableau accroché sur le pan de mur entre les chambres de Claire et d'Eve et pressa un bouton. Une porte s'ouvrit alors dans le mur opposé. Elle se fondait si parfaitement dans les lambris que Claire ne l'avait jamais remarquée. Elle retint son souffle, et Shane sourit comme s'il venait de faire une découverte scientifique.
- Classe, hein ? Cette foutue maison est bourrée de surprises. Crois-en mon expérience, c'est un sacré plus d'avoir accès à ce genre de cachettes, à Morganville.
Derrière la porte se trouvait une volée de marches, que Shane emprunta, Claire s'attendait à ce qu'elles soient poussiéreuses, mais le bois était propre et sentait la cire. Les pieds nus de Shane laissaient d'ailleurs des traces sur leur surface brillante.
Au sommet des huit marches, soit un demi-étage plus haut, il y avait une nouvelle porte. Shane l'ouvrit et appuya sur un interrupteur juste à l'intérieur.
- Quand j'ai découvert cet endroit, et celui qui donne dans le cellier, j'ai que c'était forcément une maison de vampires. T'en dis quoi ?
Si elle avait cru que les vampires existaient, elle aurait pu lui donner raison. C'était un pièce exiguë, dépourvue de fenêtres et...ancienne. Le mobilier, assombri par le temps, évoquait le passé, l'atmosphère également. Et il y régnait un froid glacial, alors que le Texas subissait une vague de chaleur. Elle réprima un frisson.
- Tout le monde est au courant pour cette pièce ?
- Ouais, Eve prétend qu'elle est hantée. Difficile de la contredire, elle me colle la chair de poule, à moi aussi. Mais elle est classe. On t'aurait planquée là quand les flics sont venus nous rendre visite, mais ils auraient pu te voir sortir de la cuisine à travers les vitres du salon. Ils sont vicieux.
Shane s'avança sur l'épais tapis persan pour s'affaler sur un sofa victorien. Un nuage de poussière se souleva, qu'il dissipa du revers de la main en toussant.
- Alors, qu'est-ce que tu en penses ? Tu crois que Michael passe ses de mort-vivant ici ?
- Quoi ? demanda-t-elle, interloquée.
- Oh, allez, Claire. Tu es convaincue qu'il est l'un d'eux, non ? Parce qu'on ne le vois jamais le jour.
- Je... mais je ne suis convaincue de rien du tout !
Shane hocha la tête, les yeux baissés.
- C'est ça, Tu n'as pas été envoyée ici, alors ?
- Envoyée ? Mais par qui ?
- J'ai cogité... La visite des flics, c'était peut-être une ruse pour qu'on te garde ici, pour qu'on ne te jette pas dehors. Alors ? Tu bosses pour eux ?
- Euh ? répéta-t-elle d'une petite voix. Mais eux qui ?
Shane tourna soudain les yeux vers elle, et elle fut parcourue d'un nouveau frisson. Il n'avait rien à voir avec Monica, mais il était assez effrayant dans son genre.
- Shane, je ne comprends rien à ce que tu racontes. Je suis venue à Morganville pour suivre les cours de la fac, je me suis fait tabasser et je me suis présentée ici parce que j'avais peur. Si tu ne me crois pas...eh bien il ne me reste plus qu'à partir. J'espère que les tacos t'ont plu.
Elle de dirigea vers la porte, mais s'arrêta, perplexe. Il n'y avait pas de poignée. Dans son dos, Shane lança, d'une voix calme :
- C'est pour cette raison que je suis persuadé que c'est une baraque de vampires. Impossible de sortir de cette pièce quand on ne connaît pas son secret. Ce qui peux se révéler très pratique si l'on veut vider tranquillement une victime de son sang.
Elle fit volte-face, s'attendant à le découvrir, une énorme couteau à la main, celui qu'il avait utilisé pour hacher les oignons, par exemple. Elle avait brisé la première règle d'or des films d'horreur, à moins que ce ne soit la deuxième...
Elle avait accordé sa confiance à la mauvaise personne. Mais il était toujours assis confortablement sur le sofa, les bras étendus sur le dossier, de part et d'autre. Il ne la regardait même pas.
- Laisse-moi sortir.
Son coeur tambourinait.
- Dans une minute. D'abord, dis-moi la vérité.
- Je l'ai fait !
Et elle éclata, une nouvelle fois, en sanglots, ce qui la plongea dans une colère noir tant l'humiliation était cuisante.
- Bon sang, tu t'imagines que je suis ici parce que je te veux du mal ? Parce que j'ai envie que Michael souffre ? Comment réussirais-je une chose pareille ? Je te signale que c'est moi que tout le monde piétine !
Il leva les yeux vers elle, et elle vit fondre son masque de dureté. Il reprit d'une voix beaucoup plus amicale :
- Si je voulais tuer Michael, Je chargerais quelqu'un comme toi du sale boulot. Tu pourrais facilement l'assassiner, Claire. Empoisonner sa nourriture, lui planter un couteau dans le dos... Je dois veiller sur lui.
- Je croyais que c'était lui qui veillait sur toi, répliqua-t-elle en s'essuyant rageusement les yeux. Pourquoi penses-tu qu'on veux le tuer ?
Shane haussa un sourcil.
- C'est une menace qui plane en permanence sur les vampires.
- Mais... Michael n'est pas un vampire. Eve m'a dit...
- Ouais, je sais que Michael n'est pas un buveur de sang, mais il ne sort jamais le jour, il ne quitte pas la maison et il refuse de m'expliquer ce qui lui est arriver. Quelqu'un finira par penser qu'il en est un, tôt ou tard. La plupart des habitants de Morganville sont soit protégés soit aveugles. En résumé : des moutons qui servent, c'est selon, d'animaux de compagnie ou de dîner. Mais certains d'entre eux ne restent pas les bras croisés.
- Comme toi ? demanda-t-elle en séchant ses dernières larmes
- Peut-être, répondit-il en penchant la tête Et toi ? Tu es une battante, Claire ?
- Je ne travaille pour personne. Et je ne tuerais pas Michael, même s'il était un vampire.
Shane s'esclaffa.
- Et pourquoi ? En dehors du fait qu'il risquerait de te casser en deux comme une brindille si tu essayais.
- Parce que... parce que...
Elle avait du mal à trouver les bons mots.
- Parce que je l'aime bien, finit-elle par dire.
Shane l'observa encore quelques longues secondes avant d'enfoncer une partie de la tête de lion sculptée qui ornait l'extrémité de l'accoudoir du sofa.
Il y eut un cliquetis et la porte s'entrouvrit d'un centimètre.
- Ça me va, conclut-il. Un dessert, ça te tente ?

Vampire City Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant