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La lumière provient d'un lampadaire situé à l'entrée même de la maison. Elle cligne des yeux, et à chaque battements de cils une étrange boule grandi dans son corps. Elle lui monte à la gorge, doucement mais sûrement. Et puis ça y est, ses rétines se sont habituées à la nouvelle luminosité. Finalement, ce lampadaire ne produit pas tant de lumière que cela. Comme à l'intérieur, elle est fade, trop blanche, trop claire. 

-Viens, nous ne devons pas perdre de temps. 

Annabelle, de sa voix assurée, fait quelques pas en arrière pour la prendre par le bras. Elle l'a tire, doucement, et elle se met à marcher. Un petit chemin, lisse et gris, relie la porte d'entrée à une rue, elle aussi lisse et grise. Enfin, elle suppose. Car il n'y a pas beaucoup de lampadaires, et tout est sombre. Elle n'a fait que deux pas. Sa respiration devient plus profonde, moins contrôlée. La boule dans son ventre grossis, et coupe presque son souffle. Elle ferme les yeux. C'est la peur. Elle a peur. Au moins, elle ressent quelque chose. La jeune fille fait un troisième pas, pressée par la femme. Un quatrième. Elle marche. Elle n'a pas de chaussures. Ses pieds nus rencontrent le sol glacé. C'est les yeux toujours fermés qu'elle se laisse guider par Annabelle, se concentrant sur sa respiration. Elles arrivent sur la rue. Elle le sait, car elle perçoit la pénombre soudaine, le léger changement sous ses pieds. Elles marchent un peu, quelques mètres. S'arrêtent. Les mains qui la guidaient la lâche, elle ouvre immédiatement les yeux. Elle ne veut pas se retrouver seule ici. Mais l'inconnue est toujours, là, accroupie. Que fait-elle ? La fille se penche, regarde. La femme tâtonne dans l'ombre, il y a une bouche d'égout. Un bruit métallique se fait entendre, la plaque se soulève et elle la tire sur le côté. Le trou est plus sombre que toutes les ombres autour d'elles. La jeune fille fait un pas en arrière, puis se ravise. Elle attend. 

- Je sais que cela peut te paraître effrayant, mais je te promet que ces égouts sont plus sûrs que le lieu que tu viens de quitter. Passe en première, je te suis. Je dois refermer la plaque, rajoute-elle en voyant le léger froncement de sourcils de la fille.

Alors, elle respire une dernière fois, fort, et se glisse sans un mot dans la bouche noire et effrayante. Annabelle n'a pas menti, elle la suit immédiatement. Cela la rassure un peu. Elles continuent de descendre sur quelques mètres, le silence n'étant troublé que par le bruit de leurs pas sur les échelons en métal et leurs respirations. Un sol apparaît sous les pieds de la jeune fille. Elle avance un peu, juste pour laisser la place à sa compagne de descendre. Cette dernière chuchote :

- Pendant 1 heure, nous devons faire aucun bruit, d'accord ? Nous sommes sous la rue, et même si cela est peu probable, il peut y avoir des patrouilles au dessus de nous. Je ne veux prendre aucun risque, alors on ne parle pas, et on avance doucement. Mets ta main sur mon épaule.

Elle le fait, et elles se mettent à avancer à pas de loup. Les yeux grands ouverts, elle ne voit pourtant rien. Le noir qui les entoure est entièrement opaque, aucune lumière, aussi infime soit-elle, ne vient le transpercer. Mais cela ne semble pas être un obstacle pour sa guide, qui continue de marcher d'un silencieux mais sûr. Le plafond est bas, et elle doit se voûter un peu pour avancer. Les premières minutes d'angoisse passées, elle finit par se détendre un peu et s'habitue à l'endroit. Le tunnel est pour le moment une longue ligne droite. Elles marchent sur le même sol gris et lisse que dehors, mais celui-ci est recouvert d'une fine couche de poussière. De part et d'autre de ce chemin, on entend le bruit de l'eau qui coule dans les tuyaux. Au son, elle peut se douter qu'ils sont de large taille. Plus elles avancent, plus elles doivent tourner. Tantôt à gauche, tantôt à droite. Le tunnel n'a t-il que cette option, où y a t-il d'autres chemins, impossible à voir sans lumière ? Elle veut poser la question, mais sa bouche reste fermée. Elle doit être silencieuse. Parfois, le bruit de gouttes s'échappant des jointures des canalisations la fait sursauter. Au bout d'un long moment, la femme s'arrête. Quand elles se remettent en route, elle sent un changement de température. L'air se refroidis encore plus, et sous ses pieds le sol change lui aussi. Le sol n'est plus aussi lisse, et elle rencontre des graviers quelques mètres plus loin. Elle ne se plaint pas, malgré le fait que sa peau, toujours habituée à un sol parfaitement lisse, devient rapidement douloureuse. Puis de nouveau, un changement de sol. Elle s'arrête. Enfonce ses doigts de pieds dans ce sol. De la terre ! 

La malléabilité de celle ci la surprend. Lorsqu'elle se remet en marche, ses talons ne frappent plus un sol dur et froid, mais s'enfonce doucement dans la terre, froide elle aussi. Elle apprécie la douceur de la terre, comparée aux graviers qu'elles viennent de fouler. Le plafond se rabaisse, et c'est le dos entièrement courbé qu'elles avancent maintenant. Le froid s'insinue de plus en plus dans son corps, et bientôt elle ne sent plus ses pieds, ni ses mains. Son nez se glace aussi, et elle pourrait presque deviner la buée produite par sa respiration. Et tout à coup, un vent glacial venu de leur droite la fige, et ses dents se mettent rapidement à claquer. 

-Courage, nous y sommes presque. Nous allons bientôt pouvoir nous réchauffer. 

Annabelle aussi tremble de froid, mais elle au moins a des chaussures. La jeune fille continue de la suivre. Elles ont tourné à droite, vers le courant d'air. Et plus elles marchent, plus il fait froid. La terre devient plus humide, et bientôt c'est dans un boue gelée qu'elles progressent. Les parois s'élargissent, mais le plafond continue de se rapprocher de leurs têtes. Elle tombe. Elle a froid. Elle a soif. Elle ne sent presque plus son corps. Annabelle la relève, fermement. Pas question d'abandonner, lui fait-elle comprendre. De toute façon, elle n'a pas le choix. Faire demi-tour n'est pas une option. Alors elle continue d'avancer. Longtemps. Enfin, elle suppose. Puis sa guide se fige soudainement. Et là, elle entend. Il pleut. Ses yeux s'ouvrent grands. La pluie, c'est à l'extérieur. Dehors. Elles vont bientôt sortir. Et en effet, il fait un peu moins sombre. Elle ne voit toujours rien, mais elle sait qu'il fait moins noir : elle distingue à peine la femme devant elle, alors qu'elle ne la voyait pas il y a quelques minutes. Elle lâche son épaule un instant, pour étendre ses bras et toucher les parois : de la terre aussi. Tout comme le plafond. Elles ont bien quitté les égouts. Annabelle avance, et la jeune fille s'empresse de se la suivre, et remet sa main sur son épaule. Et la galerie monte en pente, de plus en plus abrupte. Sous la boue, elle sent parfois une roche dure. Elle doit bientôt utiliser ses deux mains pour avancer. 

Elle se prend quelque chose dans le visage. 

-Pas de panique, c'est une branche. Nous sommes à la sortie des tunnels. 

La femme la pousse vers le haut tout en lui disant cela, et la fille tombe à travers les branches. C'est un gros buisson, et elle est maintenant sous la pluie. En quelques secondes, toutes les parties de son corps qui étaient encore sèchent ne le sont plus, et la pluie achève de la glacer jusqu'aux os. C'est encore Annabelle qui la relève.

-Nous avons fait le plus gros du chemin. Il nous faut encore marcher jusqu'au ravin, et là, quelqu'un nous y attend. 

La jeune fille met un pied devant l'autre. D'accord. Marcher, elle peut encore. Un peu, au moins. Mais elle tombe, encore et encore. Se relève. Elles progressent ainsi pendant une petite heure. Elle se dit que la femme qui est venu frapper chez elle est décidément bien courageuse. Elle n'est pas tombée une seule fois, elle. 

Puis une lumière, légère, fugace, vient transpercer la nuit et le rideau d'eau qui leur tombe dessus. Sont-elles arrivées ? Elle tombe. Annabelle ne la relève pas.

-Attend ici, je vais vérifier que tout va bien.

Elle n'a pas la force de parler, elle hoche la tête, oui, elle attend. Mais sa guide ne l'a pas vu, elle n'a pas attendu sa réponse. Elle marche vers la lumière, qui clignote à présent. Alors elle ferme les yeux, et s'endort. 

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 17, 2023 ⏰

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