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Parfois, dans ses rêves éveillés, elle tentait d'imaginer son monde, ce monde tout gris, froid, avec un peu plus de couleur et de chaleur.
Elle s'imaginait descendre les marches en courant, sans peur de tomber. Elle arriverait en souriant à la table, dont tous les tabourets seraient occupés. Il y aurait sa mère, un sourire aux lèvres. Et un invité. Ou une invité, peu importait. Mais surtout, il y aurait son père ! Il sourirait à sa mère, les yeux amoureux. Et il la regarderait, elle, avec fierté. Les repas seraient tous de couleurs différentes. Le matin, bleu. Le midi, rouge. Et le soir, du jaune. Les quatre personnes riraient, heureuses.

Quand elle imaginait cela, les coins de sa bouche s'étiraient vers le haut, de façon presque imperceptible. Mais ils redescendaient bien vite, car elle savait que ce n'était qu'un rêve. Elle aimait rêver de cette autre réalité, mais c'était le plus douloureux de ses rêves. Car il semblait être à porté de main, alors qu'il était tout simplement impossible.

Ce jour là, lasse de rêver à des choses qu'elle ne pouvait atteindre, elle s'assit. Au même moment, une sonnerie retentit. Elle leva la tête, fronça les sourcils. Déjà l'heure du repas ? Non, ce pouvait pas être cela. Et puis, ce n'était pas un bruit qu'elle connaissait bien. Elle l'avait pourtant déjà entendu, ça, c'est sûr. La sonnerie retentit une nouvelle fois. Oh ! Quelque chose de différent arrivait enfin dans ce quotidien morose. Elle se leva, descendit prudemment les marches, mais s'arrêta, en suspension entre la 4e et 5e marche. Sa mère venait de passer en bas de l'escalier, sans un regard vers elle. Elle continua de regarder droit devant elle, jusqu'à atteindre une porte, que sa fille ne pouvait voir de là où elle se trouvait. En effet, le mur à droite, là où sa main droite s'appuyait, faisait la séparation entre les deux pièces.

La sonnerie retentit à nouveau. Elle, toujours en suspension entre la 4e et 5e marche, ouvrit grands ses yeux. La sonnerie venait de la porte d'entrée ! Cela signifiait donc qu'elles avaient de la visite. Enfin, elle espérait. Aujourd'hui allait donc vraiment être une journée différente.

Elle entendit alors une voix.

- Oui. Bonjour. Ne bougez pas, je vous ouvre dans un instant.

Une voix enrouée, presque rocailleuse. Et ce ton, distant et indifférent à tout. Oui, cette voix, c'était bien celle de sa mère. Depuis combien de temps n'avait elle pas parlé ? Depuis combien de temps n'avait elle pas entendu la voix de sa propre mère ?

Une autre voix interrompu le fil de sa pensée.

-J'attends, ne vous inquiétez pas.

C'était une drôle de voix, pensa t-elle. Venant sûrement d'une femme d'âge mûr. Douce, mais sévère. Ferme, plutôt, se rectifia t-elle quand la voix se fit de nouveau entendre.

-Merci.

-Je vous en prie.

Et sa mère, toujours avec ce ton égal. Un silence pesant s'installa alors, et elle dû s'appuyer de toutes ses forces sur ses deux mains, l'une sur le mur, l'autre sur la paroi en fer, pour ne pas tomber. Elle cessa même de respirer pendant quelques secondes, de peur de se faire repérée. Après tout, elle ne savait pas si elle était autorisée à venir en bas. Elle ne se souvenait plus de la consigne donnée lorsque la sonnerie de la porte se faisait entendre.

La voix de l'inconnue monta :

-Joséphine.

Pas de réponse.

- Je suis venue la chercher. Tu le sais, ça ?

Cette dernière question avait été posée presque en chuchotant. Pas comme quand on veut être discret, non. Plus comme quand on s'inquiète.

Et puis, "elle", c'était qui ? Elle ?

Elle rejeta immédiatement cette hypothèse. Elle le saurait, se dit elle amèrement, si elle devait partir un jour. Car elle le sait, ce jour elle l'aurait attendu plus que tout.

Un bruit. Une porte que l'on referme. L'inconnue était dans la maison. Sa mère répondit, de façon quasi inaudible.

- Je l'ai toujours su. Toujours.

- Bien. Tu...pourrais me dire où elle est, s'il te plaît ?

- Dans sa chambre. En haut. Je vais l'appeler.

Cette dernière phrase vint remettre en place sa première hypothèse. "Elle", s'était donc bien elle. Vite. Elle devait regagner sa chambre avant que sa mère et l'inconnue ne passe en bas de l'escalier. Déjà, un premier bruit de pas se fit entendre.

Elle poussa sur ses bras, en arrière. Ça y est, elle était sur la 3e marche. Un deuxième bruit de pas. Hop, la 2e marche. Un troisième bruit de pas, et elle serait vue.

Elle sauta en arrière, silencieusement. Elle se précipita à pas de loup dans sa chambre, refermant délicatement la porte derrière elle. Et le troisième bruit de pas se fit entendre.

- Descends.

Pour crier, la voix de sa mère n'était plus vraiment enrouée. Mais toujours aussi inexpressive.

Elle prit une inspiration. Expira. Elle répéta cela 3 fois, puis réouvrit la porte. S'approcha de l'escalier. Posa son pied sur la première marche, puis la 2e, et ainsi de suite jusqu'à la 12e marche. Enfin, elle posa ses pieds au sol.

Croisa le regard de l'inconnue. Deux yeux bruns la fixaient. Doux. Autoritaires. Comme la voix. L'inconnue sourit.

Alors, elle sourit aussi.

UntitledOù les histoires vivent. Découvrez maintenant