5. Les retrouvailles
La chute fut vertigineuse, mais elle n'avait plus peur. Quand sa coquille toucha le fond, toute la colonie l'encerclait, éparpillée partout autour d'elle. Les moules discutaient les unes avec les autres, ravies d'être enfin libérées. Dès qu'elles s'aperçurent que Bouchot était là, elles claquèrent leurs valves dans sa direction pour la féliciter de ce sauvetage héroïque. La petite moule ne sut que faire de cette soudaine attention.
Soudain, le sol vibra sous sa carapace et deux yeux globuleux émergèrent du sable. Bouchot ne put retenir son cri de joie. Il s'agissait de Sole, son amie ! Elle l'avait attendue, juste devant la grande porte qui sent mauvais où elle et les siens venaient d'atterrir. Face au chaos, la limande se proposa pour ramener tout le monde sur le Rocher. Elle insista pour que Bouchot soit la première à faire le trajet, mais la petite moule déclina gentiment.
— Je suis désolée, mon amie. Il me reste une dernière chose à faire avant de rentrer.
Bouchot sauta de son aile et laissa le courant l'emporter à travers la grande grille.
Elle patienta, apprécia l'eau glissant sur sa coquille, jusqu'à ce qu'elle heurte une nouvelle fois un obstacle écailleux. La moule ouvrit ses valves en grand, excitée. Shein n'avait pas bougé et lui sourit avec douceur. Tout du moins, avec autant de douceur qu'une gueule de crocodile pouvait l'être.
— Je peux sentir que tu as accompli ta mission, petite moule. Est-ce que tu as quelque chose de spécial pour moi ? Quelle est la plus belle des choses que tu as vues là-haut ?
Bouchot réfléchit pendant un court instant.
— Je pense que c'est la dédication de ma famille. Même si je ne le voyais pas, elle a toujours été attachée à moi. J'étais aveugle parce que je voulais partir, mais maintenant je réalise que les moules sont plus fortes si elles restent ensemble. Mon espèce n'est pas très importante, mais ma famille l'est.
— Hum, c'est... profond. Quand je disais la plus belle chose de la surface, je pensais plus au soleil ou aux poubelles de ce fast-food juste à la sortie du tunnel, mais je suppose que ça fonctionne aussi. Merci d'être revenue.
Sur ces mots plein de sagesse, Shein plongea dans l'eau boueuse et disparut dans un grand éclat de lumière blanche, sans même dire au revoir. Bouchot resta coquille bée pendant de longues minutes avant de se décider à rentrer, en s'accrochant à une méduse de plastique qui partait en direction de la grande porte qui sent mauvais.
Dehors, Sole l'attendait, le dos chargé de moules. Elle était la dernière à embarquer. La limande les ramena tous au Rocher, où chacun reprit sa place originelle. Bouchot étira sa coquille pour gagner quelques millimètres alors que ses frères et sœurs la félicitaient encore.
— Si tu souhaites repartir à l'aventure, n'hésite pas à m'appeler ! lui cria Sole, qui replongea vers le fond.
Bouchot sourit. Et dire que si elle avait demandé plus tôt à aller faire un tour, quelqu'un l'aurait sans doute entendue et l'aurait emmené. Ça lui aurait économisé beaucoup de route. Maintenant qu'elle savait qu'elle pouvait partir dès qu'elle le voulait, peut-être que sa vie deviendrait enfin un peu plus intéressante.
FIN.
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VDM : Vie de moule | Nouvelle
Short StoryBouchot vit une vie paisible et ennuyeuse depuis le Rocher, le lieu où elle est née. Mais ce qu'elle aimerait surtout, c'est partir ! Elle voudrait rejoindre les poissons qui nagent au-dessus de sa coquille et échapper au bruit incessant produit par...