Chapitre 3

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Le silence qui accompagnait notre marche m'était moins étrange que soulageant ; après tout, Xiao n'avait jamais été bavard. Sa présence, au contraire, m'évoquait quelque chose de réconfortant : le silence d'une soirée à même un feu de bois, en ces mondes lointains que je mettais un point d'honneur à ne jamais oublier. Quelques histoires murmurées sur le ton doucereux d'une bouche ridée d'expérience, et dont les plis s'éreintaient sous un effort qui leur était pourtant si amusant. Les sentiments ébranlés par les contes ; le plaisir d'une transmission culturelle, familiale, comme enveloppé dans le secret de ces draps étoilés. Xiao, quant à lui, ne souriait pas : ses élans de communication s'en tenaient à la plus simple nécessité, dorlotée dans cette lourde indifférence à laquelle je ne croyais qu'à moitié.

- Où allons-nous ? demandais-je, estimant que cette réponse appartenait à la nécessité dont je traçais une si fidèle description.

- Que savez-vous de l'histoire de cette région ? 

- Pas grand chose
, admis-je, dans un élan de curiosité et de dépit. La fondation du port de Liyue, qui depuis...

- Non, souffla-t-il si imperceptiblement que je ne puis résister à l'envie de le fixer : ses prunelles ambrées reflétaient cet arc-en-ciel d'émotions dont il semblait ignorer les charmes, mais desquelles il avait été témoin au cours de sa si longue existence. Je vous parle d'une époque plus ancienne encore. Avant que le port de Liyue n'apparaisse, une civilisation existait à même ces lieux dont vous observez les ruines.

Interloquée, je ne remarquais que tardivement qu'il s'était arrêté : voilà un certain temps que nous marchions, et devant nous s'étendait une fosse immense que je n'avais visité qu'en de rares occasions. Plus bas, j'observais les silhouettes massives d'individus que j'avais déjà croisé en ces lieux ; des Fatui, avides de trésors dont j'avais déjà sillé les restes, pour ne pas me vanter. 

Noyant mon agacement dans une pointe d'arrogance, je m'apprêtais à m'élancer à leur rencontre, mais l'Adepte avait déjà disparu, dans un élégant nuage de noir et d'émeraude : sa silhouette se matérialisa dans l'angle mort des Fatui qui tombèrent un à un, frappés avec une précision que j'eus cru mortelle, si je ne le connaissais pas si bien : Xiao chassait les Démons. Si proches que furent les Fatui d'une telle définition, il n'aimait pas s'en prendre à des humains, hors des circonstances habituelles. Ceux-là, pour leur plus grande malchance, étaient simplement sur notre chemin. 

- La voie est libre, annonça-t-il en réapparaissant à mes côtés. Bras croisés, son visage serein n'émettait pas la moindre émotion, comme s'il revenait d'une simple course à l'auberge.

- Ne craigniez-vous pas qu'ils sonnent l'alerte à leur réveil ?

- Peu importe, ils ne pourront pas nous suivre. Venez.

J'avais déjà visité ces lieux. Une immense vallée, au creux de laquelle deux bribes de bâtiments se faisaient face : respectivement gardées par d'imposantes statues armées, le lac central était surplombé d'une fine plateforme de terre, flottant aux moyens d'une fascinante magie. Les ruines, cependant, ne tenaient qu'en quelques piliers éparpillés, et ne débouchaient sur aucune entrée. 

- Il y a encore cinq cent ans, la civilisation de Dunyu entretenait des commerces avec le port de Liyue. Tout a pris fin avec cette même guerre, à Khaenri'ah. Ses habitants scellèrent les lieux et disparurent, cherchant sans doute la tranquillité, loin du danger de leur propre savoir.

- Quel sorte de savoir ?

Un silence ponctua une question que je savais aussi indiscrète que nécessaire, et Xiao fit le choix de ne pas y répondre. Passant sa main sur son visage juvénile, il le couvrit d'un masque, et son corps se mit à dégager une aura nocive. Lorsque ses doigts saisirent les miens, je frémis doucement, sensation bien vite étouffée par la surprise qui me gagna alors : les bâtiments n'étaient plus aussi désolées qu'à l'accoutumée, et leur destruction semblait effacée, soutenue par des fondations fantômes, comme un échafaud morbide. Le monde teinté par quelques couleurs sombres, verdâtres, comme le reflet invisible de notre perception. 

Non, ce n'était pas vraiment ça : il me montrait les bâtiments tels qu'ils avaient existé, et tels qu'ils existaient, pour ceux à même de voir au travers d'une réalité factice. Une vision du passé ? Une illusion ? Si je ne pouvais choisir, cette vision avait quant à elle quelque chose de terriblement nostalgique.


- Venez, ordonna Xiao, d'une voix presque paisible. 

Son corps tenait cette même démarche assurée, et nulle personne n'aurait pu discerner les imperceptibles changements dans son attitude. Quelque chose à propos de cet endroit semblait le préoccuper, et je n'eus pas le temps de le questionner qu'il me fit traverser le mur de briques qui fermait l'impasse de ces ruines, à la différence que ce n'en était pas vraiment un : le mur était intangible, ou du moins, se rapprochait de la tendre sensation d'un nuage que j'aurais étreint. Un nuage froid, brumeux et putride, comme un voile morbide dont le souvenir ne tarit jamais. Nous traversâmes le mur, et je ne fus pas vraiment surpris de découvrir qu'il n'existait pas véritablement ; car derrière lui, mes yeux s'écarquillèrent, observant l'indescriptible paysage que composait une civilisation d'autrefois.

- Bienvenue à Dunyu, la civilisation de la Mort.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 23, 2022 ⏰

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Alatus NemeseosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant