Chapitre 1

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Le temps était humide, ce matin-là.


C'est, du moins, ce qu'il me sembla raisonnable de penser, lorsque des perles vint chatouiller l'extrémité de mes prunelles à peine tirées du sommeil. Une profonde nostalgie se mêlait à l'angoisse perpétuelle qui nouait mes entrailles, et ravivait les mémoires désormais absurdes de mes précédentes aventures.


Ces mois, bercés des innombrables découvertes de ce monde, m'apparaissaient dénués de sens, à présent que j'en avais effleuré le terme ; ma seule famille emportée, sinon corrompue par la faveur des abysses dont elle avait clamé l'indiscutable légitimé. Ces souvenirs, dont je chérissais hypocritement la valeur, s'écroulaient à même la perte de la seule personne dont je ne m'étais jamais soucié – et je maudissais ces pensées, cet égoïsme comme ravage de ma seule bonté, comme l'éventualité qu'ils deviennent un tant soit peu sincères.


Et pourtant, mon voyage se devait de continuer. Mon voyage, tout futile que mes avides sentiments le forçaient à devenir, s'inscrivait au cœur de ses sibyllines intentions, et que j'aspirais plus que jamais à comprendre.


« Arriver à destination n'est pas ce qu'il y a de plus important. Avant que ton voyage ne se termine, ouvre grand les yeux et observe davantage le monde autour de toi... »


Un vent, si abrupt qu'il me parut rieur, secoua la fenêtre entrouverte de ma modeste chambre. Et tandis que les paroles de Venti me revenaient en tête, j'appréhendais cette sagesse avec une prudence nouvelle : toute doucereuse que me demeurait son image, j'y associais désormais la vision horrifique de sa statue enchaînée, et souillée d'une aura putride.


La Mort, ni plus ni moins.


Un frisson ébranla mon échine, et me força à quitter mon lit.


Il me fallait comprendre. Et, à ce titre, une seule personne – entité, du moins – semblait à même de répondre à mes questions. Par chance, ou peut-être n'était-ce là que l'expérience du voyageur, j'occupais le luxe modéré des chambres de l'auberge Wangshu, et près de laquelle j'aspirais à le trouver.


D'un pas résolu, je quittais l'étage des chambres, déjouant la beauté parfois enivrante des quelques peintures qui en décoraient les murs, jusqu'à la réception exempte de toute clientèle, mais derrière laquelle fleurissait l'éternel sourire de Verr Goldet.


- Excusez-moi, osais-je timidement.

- Ah, cher voyageur, Paimon vous attendait pour le déjeuner.


Le coin de mon œil trouva la silhouette virevoltante d'une entité aussi familière que rassurante, mais dont toute attention était allouée aux prouesses d'un Yanxiao en plein ouvrage. Face à l'agacement de ce dernier, jefaillis m'indigner de l'impolitesse de ma fidèle guide, avant de me raviser : j'avais beau me sentir désolé pour le chef cuisinier, j'entendais profiter de l'occasion.


- Merci, mais j'aimerais vous demander quelque chose. Et si possible, j'aimerais également que Paimon n'en soit pas informée.

- Paimon ? Mais pourquoi donc... ?


Lorsque j'entrouvris la bouche, mon palais s'emplit d'une amertume mélangée d'hypocrisie, et face à laquelle je dus me résoudre : cette demande, à vrai dire, n'était jamais que le caprice d'une âme lasse de toute entité compatissante, et attirée par le besoin irrépressible de la solitude.


- J'aimerais savoir où trouver Xiao.


Face à l'angoisse du silence qui suivit mes paroles, le visage de Verr Goldet se fondit d'un sourire mélancolique : son regard rencontra les charmants ornements du plafond, sans vraiment les apprécier, réalisais-je alors, tant il s'était évadé au loin.


- Xiao est parti pour les plaines Guili à l'aube. J'ignore si vous l'y trouverez encore, mais rassurez-vous : nous veillerons sur Paimon le temps qu'il faudra.

- Merci.


Au loin, j'entendais les bribes restants du chant des gouttes, qui avait tant déferlé cette nuit :le vent s'accompagnait des denses odeurs de la rage et du désespoir, propres à sa présence. Je m'appuyais sur la rambarde de l'auberge pour m'élancer dans le vide, mon planeur se déployant de lui-même ;les effluves des marais remontèrent à même mon odorat démultiplié par la chute, et je dus bloquer mon nez de mon bras tandis que j'atterrissais sur l'herbe boueuse.


Et alors, je le vis.


Je vis sa silhouette, si frêle qu'elle m'apparut aussi fragile comme du verre, mais dont la seule présence écrasait les moindres vestiges de mon assurance. Je vis d'abord le reflet émeraude de ses cheveux, teintée par cette brume noire qui en appelait au karma, à la noirceur – à tout ce qui, inexorablement, s'attachait à lui comme le point final de sa destinée. Je parcourais les tatouages qui ornaient ses épaules, et m'attardais sur le doux trait coloré qui soutenait le coin de son regard.


- Encore vous, me dit-il en se retournant.


Sa voix était plus grave que dans mon souvenir, résonnant à l'intérieur de mes entrailles, comme l'incarnation d'une fatalité à laquelle je ne pouvais échapper. Ses yeux, baignés dans une indifférence terrifiante, appuyaient le charisme sibyllin dont il couvrait les alentours. Face à lui, je me retrouvais incapable de produire le moindre son, et le contemplais en silence à mesure qu'il s'approchait, réduisant le monde à sa seule et oppressive présence.



- Qu'est-ce que vous voulez ?

Alatus NemeseosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant