Chapitre 4

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Détester n'a jamais vraiment été dans mon caractère. Cependant, les rares personnes que je ne porte pas dans mon cœur font surgir le pire en moi. Et je les haïs.

Dans moins de dix heures, elle serait en Europe. Cette pensée ne cessait de passer en boucle dans l'esprit surexcité de Jeanne. N'ayant jamais quitté son continent, l'angoisse se mêlait à son euphorie, malgré tout entachée de peine. La veille, l'adolescente avait dû cacher la vérité à ses parents en simulant un voyage scolaire culturel organisé par son école, allant jusqu'à créer un faux papier d'autorisation pour rendre son mensonge plus crédible. Une barre de stress lui obstruait le ventre lors de la remise de la feuille. Inquiets, ses parents lui avaient posé une multitude de questions et avaient dû trouver les réponses de leur fille satisfaisantes, puisqu'ils n'avaient heureusement pas cru bon de contacter l'établissement scolaire. Ils avaient signé presque à contrecœur en lui servant une panoplie de conseils, la sommant de les contacter aussi souvent que possible. La quantité de faussetés qu'elle avait eu à leur servir lui avait fait mal au cœur et la jeune fille avait terminé sa journée satisfaite, mais le moral bas. Ainsi, à son départ un peu avant trois heures ce matin-là, toute la maisonnée avait quitté la chaleur de leur lit pour lui faire les plus éprouvants adieux qui lui avaient été donnés de vivre. Même sa sœur ainée avait fait l'effort de se tirer des draps malgré l'heure hâtive. Ils allaient lui manquer, c'était certain.

Ayden, de presque un an plus vieux qu'elle, était venu la prendre à bord de sa voiture avec toutes ses choses pour se diriger vers l'aéroport sous les grands signes des membres de la famille de la jeune fille.

Dans les grands haut-parleurs fut soudain annoncé leur vol, arrachant Jeanne à ses pensées. Ça y était. Ils allaient partir.

─ Prête ?

Non. Elle n'était pas prête à affronter tout ce qui l'attendait. Dans quoi s'embarquait-elle ? Or, il était trop tard. Tout ce qu'elle put faire fut donc d'acquiescer.

Les sièges côte à côte qu'ils occuperaient pour la durée du voyage leur furent cordialement attribués et, une heure plus tard, ils décollaient. Le mélange grisant d'effroi et d'excitation qui s'empara de Jeanne en apercevant par le hublot les nuages difformes qu'ils fendaient ne fut que de courte durée. Épuisée par ses heures de sommeil manquantes et sans doute également par les montagnes russes émotionnelles qu'elle vivait depuis quelques jours, le sommeil ne tarda pas à la gagner. Ce fut donc sa tête reposant timidement sur l'épaule chaude et rassurante d'Ayden qu'elle s'endormit.

***


L'adolescente avait réussi à trouver un sommeil par intervalles, l'inconfort de son siège l'empêchant de jouir d'une parfaite récupération. À leur arrivée où l'heure locale indiquait vingt-et-une heures, la nuit tombée ne lui donna que l'envie de s'affaisser sur son lit et de somnoler. Mais elle était en Espagne, loin de chez elle, de sa famille et du réconfort de la routine.

─ Où est-ce qu'on est censé dormir ? s'enquit-elle. Parce que sincèrement, je suis crevée !

─ Patience, lui répondit Ayden. Mon père ne devrait pas tarder.

Son père. Bien sûr. Malgré la préparation mentale que lui avait faite le garçon tout au long de leur vol, la fatigue avait réussi à lui faire oublier ce détail. Mais c'était bien vrai : le tuteur du garçon était censé avoir réservé une chambre d'hôtel pour la nuit et ils devaient donc l'attendre pour en prendre possession.

Elle allait le rencontrer.

Dans la foule, Jeanne scrutait chaque homme pour tenter de deviner lequel avait éduqué son complice. Ce fut cependant vers un individu qu'elle n'aurait jamais suspecté que l'Intemporel s'avança après quelques minutes d'attente. Avec son air austère, ses grandes lunettes rondes posées sur le bout de son nez concave et son long manteau descendant jusqu'à ses genoux, l'adolescente le craignit aussitôt. L'adulte arborait une chevelure coupée au ras de son crâne ainsi que des bottes hautes semblant rehausser son allure mesquine. Dans la lumière des lampadaires, il lui jeta un coup d'œil calculateur et la jeune blonde ne put s'empêcher de songer qu'il était l'extrême opposé de son fils. Leur seul point en commun semblait être la couleur de leurs cheveux. Il était inconcevable à ses yeux que cet homme puisse avoir élevé celui qu'elle commençait à considérer comme son ami.

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