Oh tu es resté...! Merci infiniment de m'accorder de ton temps, j'essaierai de te rendre cette faveur par mes mots, j'espère qu'ils t'atteindront !
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Shams ouvrit sa petite malle et entreprit de se dévêtir de sa tenue de danse, faite d'un tissu de voile brodé de fils d'or, assez léger pour glisser le long de ses courbes tel un courant d'eau claire et onduler au rythme de ses mouvements avec grâce et sensualité.
Elle plia soigneusement l'étoffe, trop luxueuse pour une esclave de son rang, mais digne de son talent, et la contempla avec des yeux écarquillés, comme si elle la découvrait pour la première fois. Ses prunelles brillaient d'une étrange lueur, mêlant perplexité et excitation. Elle revêtit une robe de lin, et songea à la danse.
Elle aimait s'exprimer ainsi et imprimer à travers son corps la force et la délicatesse qui cohabitaient en elle. Cet art qu'elle avait appris de sa mère était la seule forme de langage par lequel elle était autorisé à extérioriser et exposer ses émotions et ses plaintes. Elle n'aimait pas vraiment danser devant un public, qui plus est masculin, car cela équivalait pour elle à se dénuder complètement. Danser, c'était donner accès à son intimité et à ce qu'il y a de plus secret chez elle. Alors elle aimait danser seule, à l'abri des regards, et surtout ne pas être perçue comme un objet de convoitise mais comme un être mystique, tellement plus qu'une enveloppe charnelle, une âme hurlant dans un corps agile et suffisamment fort pour montrer aux yeux du monde qui elle était, tous les tourments et les souvenirs qu'elle portait !
Pendant qu'elle peignait sa longue chevelure d'un blond sombre, de la couleur des dunes caressées par le soleil, elle repensa à sa discussion avec Leila. Cette fille exerçait une étrange force sur son entourage.
Telle l'astre nocturne, elle imposait sa présence naturellement et inconditionnellement, elle avait un pouvoir d'attraction discret mais puissant. Surtout, elle était à l'origine d'une fascination inexplicable chez les rares personnes à pouvoir saisir un fragment de sa personne, une fascination dévorante, équivoque, qu'on ne pouvait réfréner par sa simple volonté.
Shams se rendit compte à quel point ses muscles étaient tendus. Corps et esprit, elle était troublée, infiniment, par cette jeune fille aveugle. Elle qui était si désabusée par le monde et qui s'était jurée de ne s'ouvrir à personne, se trouvait forcée de reconnaitre que Leyla avait su parfaitement lire en elle, que malgré sa cécité, elle avait eu un accès privilégié aux profondeurs de son âme, un accès qu'elle s'était refusée à donner à quiconque. Comme si Leyla, en posant ses mains sur le visage de Shams, avaient lu et absorbé à travers ses fins doigts les secrets, les forces et les faiblesses qu'elle gardait enfouis jalousement et dont elle-même pour certains n'avait pas connaissance. Admettre que quelqu'un d'autre l'avait mieux connu qu'elle-même pour un si court instant était insupportable pour Shams et son trouble ne s'en trouva qu'accentué.
Elle se mit à brosser ses cheveux avec plus de vigueur, jusqu'à se faire mal. Elle avait effectivement ressenti ce lien dont Leyla avait parlé. Cela l'enrageait.
Elle avait vécu ces dernières années sans attaches et désirait que cela continue. Mais nier cette évidence était au-delà de ses forces.
L'univers tout entier sembler lui intimer de se fier à cette inconnue et de croire en elle. De placer ses rêves et ses espoirs entre ses mains diaphanes malgré les risques qu'elle pourrait encourir.
Même l'air de l'oasis était plus léger et plus pur que la veille depuis cette rencontre improbable. Sans qu'elle puisse se l'expliquer, il y avait une chose qui connectait les deux femmes. Pour l'instant, ce lien était ténu et faible. Si bien que si elle le voulait, elle pourrait encore le rompre et continuer à mener sa vie comme elle l'avait fait jusqu'alors.
Mais une autre force s'y opposait, plus forte et elle sentit qu'elle le regretterait si elle décidait d'éconduire froidement Leyla. Sa mère avait l'habitude de lui dire que dans la vie, il arrive de rencontrer des personnes spéciales, qui sont faites pour nous et pour qui nous sommes faites. Une relation surpassant l'amitié ou l'amour. Non, il s'agissait de sentiments plus purs, moins solennels, s'apparentant à ceux que partagerait des âmes sœurs.
Des âmes qui se connaitraient depuis des temps immémoriaux, avant même d'avoir gagné leurs corps respectifs.
Des âmes qui se reconnaitraient dans un mécanisme dépassant la raison humaine.
Une alchimie inscrite dans les étoiles et dans tout ce qui constitue l'univers.
Bien sûr, Shams ne voyait cela que comme une légende. Elle n'avait jusque-là jamais éprouvé ce que sa mère lui décrivait avec émotion. Elle ne saisissait même pas exactement l'ampleur de cette prétendue relation. Mais elle se remémorait distinctement les paroles de sa mère « tu verras, quand tu seras devant cette âme sœur, tu le sentiras jusqu'au fond de tes viscères. Ça se présentera à toi avec autant de brillance et de force que le soleil, ma Shams ».
A ces souvenirs, la jeune femme sentit ses yeux s'embuer. Du bout de ses doigts tremblants, elle essuya prestement les larmes qui perlaient sur ces cils. Cela faisait si longtemps que sa mère avait disparu qu'elle avait commencé à oublier le son de sa voix. Tous ses souvenirs de sa très chère mère commençaient à s'estomper, ne pouvant pas résister aux vagues du temps qui venaient lécher inlassablement les rives de sa mémoire, ne laissant qu'une écume amère.
Mais là, elle se rappelait tout à fait de la voix de sa mère, au timbre grave, au ton bas et chantant, lui chuchotant ces quelques mots alors qu'elles étaient allongées sur le toit en terrasse d'une maison qui n'était pas un foyer pour elles, à regarder les étoiles d'été. Elle s'en souvenait si bien qu'elle croyait pouvoir toucher le corps maternel chaud et moite en tendant le bras.
Sa chair frémit et fut secoué de sanglots silencieux. Sa mère lui manquait tellement, cette femme simple, qui ne se plaignait jamais de sa vie que le sort n'avait pas épargnée. La beauté de son visage d'étrangère lui manquait. Ses yeux verts, ses cheveux couleur de blé, les ridules autour de ses lèvres quand elle souriait. Que n'aurait-elle donné pour pouvoir la voir, la toucher une dernière fois ? Malheureusement, cela ne serait plus jamais possible.
Peut-être se retrouveraient-elles dans un autre monde mais celui-ci, privé de cette présence protectrice pour Shams ne revêtait plus aucun intérêt. Cependant, il lui restait une dernière chose à accomplir avant de rejoindre sa tendre mère. La jeune femme avait prêté le lourd serment de réaliser cette chose que toute rationalité lui interdisait même d'espérer mais à laquelle elle se raccrochait éperdument car y renoncer serait bafouer la mémoire de sa mère partie avant de la réaliser.
Bien que cela soit la corde raccrochant Shams à la vie, son quotidien d'esclave avait atténué les couleurs du rêve qu'elle caressait secrètement. Depuis la mort de sa mère, Shams était passé de geôles en geôles, sa belle et exotique apparence étant prisée par tous les riches propriétaires de la contrée.
Se voyant changer si souvent d'enfer avait épuisé le peu de ressources en Shams et ce rêve qui lui était plus précieux que toute autre chose s'était peu à peu dissipé de son esprit, rendant sa vie plus étouffante encore. Et quand elle se disait que son calvaire avait atteint son paroxysme, de nouvelles désillusions s'ajoutaient à sa triste existence. S'exténuer aux travaux domestiques pendant la journée, se consumer à la danse toute la nuit pour divertir ses geôliers.
Ne manger que des restes insipides pas même bons pour les bêtes.
Se faire dévorer par les cauchemars pendant le peu de sommeil qui lui était permis.
Souffrir d'agressions anéantissant le peu de dignité et de valeur humaines lui restant aux yeux du monde.Mais surtout, se voir, jour après jour, devenir l'ombre d'elle-même ; constater de ses yeux la brutalité de son monde et la vacuité qu'il laissait en elle.
Se voir disparaitre.
Se faire arracher tout ce qui faisait d'elle un être humain : ses joies, ses souvenirs, sa conscience de soi, ses émotions.
Son supplice était tel que même ses peines s'évaporaient dans le néant, même la douleur ou la tristesse ne l'affligeaient plus. Sa déchéance était totale.Alors, que penses-tu de ce chapitre ? Qu'est-ce que le ces fragments du passé de Shams t'évoquent?
Écris-moi à ton tour tes réactions, tes pensées, tes suggestions ou tes critiques!
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Promesses à la Nuit
RandomComme une nuit sans étoiles, l'ennui ornait la vie de Leyla d'un voile épais et sombre. Jusqu'à cette nuit où la lune ronde éclairait Shams, une danseuse envoutante. Leyla vit cette nuit comme un message, la promesse d'un doux rêve. Celui d'un voy...