IV - Méoanélas

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   Gabriel prit le couteau dans ses mains. Il lorgna la lame d'un œil avide, et une lueur s'alluma dans ses yeux. Le fer reflétait la folie de son regard, et lui renvoyait une image déformée de son visage. Il le tourna dans tous les sens, son reflet se contorsionnant sous ses yeux, en une infinité de monstruosités difformes. 

   Il déposa le couteau et se leva. Le clair de lune rayonnait sur sa peau nue, en une myriade de petites étoiles. Il se dirigea vers la commode au coin de la pièce, et l'ouvrit. Il y avait, à l'intérieur, une bizarre trousse en cuir noir. Gabriel s'en empara, lentement, et vint se rasseoir sur son lit. Lentement, il l'ouvrit. Il avait passé tellement de bons moments avec ses outils. Tranchants. Mortels. Précis. Il esquissa un sourire, et passa la main à l'intérieur. Il la referma sur une poignée de ses trophées. Une dizaine de mèches de cheveux liées de couleurs éparses émergèrent de la gueule sombre. Il les contempla à la clarté lunaire. Certaines étaient recouverts de sang. Il s'en foutait. Mieux c'était, à son humble avis. Il choisit l'une des mèches et rangea les autres. Il la descendit lentement au niveau de son entrejambe, et le contact du cheveux contre ses propres poils l'excita. Son pénis se dressa, et il appliqua la mèche dessus en la maintenant d'une main. Il se mit à l'agiter d'avant en arrière, lentement. Progressivement, une chaleur envahit son bas-ventre. Il accéléra le rythme, et le plaisir en devint plus grand. Un flot d'images affluait dans son esprit; des choses sans nom, des immondices putréfiées, des corps démembrés... Une marée sanguinaire affluait du plus profond de son cœur. De la noirceur de son âme émergeait le Mal de tous les Hommes. Alors il secoua plus fort; et enfin il atteint la jouissance. Il rejeta une quantité de foutre monstre au sol, devant lui, puis il retourna se coucher. Et de le voir dormir ainsi, on lui aurait sans hésitation donné le bon Dieu.

Dans les méandres de son esprit, il rêvait. De son subconscient naissaient ses démons. Ils étaient toujours plus nombreux. Comme un essaim monstrueux dans une ruche toute aussi terrifiante, sa tête bourdonnait doucement. De cette faible lucidité qu'il nous reste tous lors du sommeil, il appréciait le spectacle. Sous son crâne, au plus profond de ses rêves, des corps nus s'entrelaçaient, rougis par une marée sanglante. Et sa mère se tenait au milieux des bustes, des jambes et des morceaux de poitrine répandus au sol. Il se la réservait pour la fin. Elle qui l'avait tant fait souffrir. Alors il prenait ce qui lui passait sous la main. Ou parfois il y allait à mains nues.

Cette fois-ci, il disposait d'un objet étrange, un genre d'étoile en cinq pointes. Il ne se souvenait que vaguement l'avoir déjà vu. Peu importe. Les bords étaient tranchants. Il approcha sa mère, et l'obligea à se mettre à genou devant lui. Il lui releva le menton, et la fixa droit dans les yeux. Il la vit pleurer. Il n'en tira que plus de jouissance. Il lui ouvrit la bouche, lui debout, elle toujours à genou. Il releva la main, et l'objet se découpa un instant sur le ciel rougeoyant de son esprit dévasté. Et enfin, d'une force inouïe, il lui enfonça dans la gorge. Il ressentit chacune des pointes, qui en s'avançant dans la gorge de la malheureuse, déchirait toute la trachée. Et dans son rêve, il n'était pas permis de mourir à sa mère. Combien de fois l'avait-il vu crier, se débattre? Combien de fois l'avait-il mutilée, combien de fois s'était-il repu de ses chairs? 

Il enfonça ensuite ses pouces dans les orbites de la vieille femme, dont les yeux éclatèrent en un terrible son de bouteille. Il la repoussa d'un coup de pied, et la vieille alla s'écraser au milieu des morceaux de cadavre. Il allait bientôt en finir. 

Mais quelque chose se releva du corps de la femme. Une ombre fumante, dont la noirceur éclatante emportait tout sur son passage. Bientôt, le corps de la femme disparut sous le voile noir qui s'étendit au dessus d'elle. Gabriel admirait la scène. Alors la chose fondit sur lui. Il ne recula pas d'un pouce. Il demeurait là, fasciné par cette beauté monstrueuse, fruit de son imagination. Mu par une admiration morbide pour la chose, il tendit la main pour en palper la réalité. Et de l'écran fumeux émergea une autre main décharnée, noircie par les âges et le temps. Elle le saisit par le poignet. Il n'aimait pas son contact; plus que tout, il le répugnait. Sa fascination avait désormais disparu, remplacée par un instinct de conservation beaucoup plus tenace; il se mit à tirer sur les doigts maigres et fins, mais ils ne semblaient pas vouloir lâcher. Il constatait avec horreur que les ténèbres s'emparaient maintenant de lui, prêtes à l'embrasser; et bientôt elles recouvrirent tout ce qui était autour de lui. La main, sans la lumière de son esprit, demeurait invisible, bien qu'il la sentait toujours sur lui; le contact de sa peau contre la sienne, la force qu'elle exerçait, tout cela l'excédait. Et bien plus que tout, la sensation de perte de contrôle qu'il éprouvait. Bientôt, tout ses repères se perdirent au profit de l'obscurité nouvelle. Il hurla de rage. C'était son esprit, son monde, son âme, qui se retrouvaient corrompus par cet intrus. Mais son cri se répercuta dans le Noir, et mourut aussi vite qu'il était né, comme un mirage dans un vaste horizon désertique des grandes plaines du Royaume Musulman.

Une unique lumière se mit à briller dans les ténèbres. Une lumière blanche, aveuglante, qui transperça son corps de part en part, paraissant scruter non seulement son corps, mais aussi son âme.

Alors la lumière vacilla, comme dans un clin d'œil unique. Et une voix grave s'éleva, s'élança dans le noir, comme si toutes les ténèbres s'adressaient à lui par un seul intermédiaire:

"Neo helm Méoanélas in Taenebrais"

Et elle marqua une pause.

"Iggo yog ti neine"

Il se sentit mal-à-l'aise.

"Maérélas"

Un autre orifice lumineux s'ouvrit sous l'œil. Plus large. Béant. Monstrueux.

Et il se vit avalé par la lumière dans les ténèbres.

Et lorsqu'il fut consumé par l'éclat blanc ténébreux, il ne put qu'entendre son nom, répercuté comme un terrible chant dans la Noirceur de ce Monde. 

Méoanélas.

Méoanélas.

Il vient.

De Chair et De SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant