I - Les serviteurs

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Chapitre Premier

I

Il fut un temps où les mots avaient un pouvoir, un sens, où les ténèbres étaient encore craintes et où la Mort seule avait un sens. La Mort qui jonchait la rue de cadavres, la Mort qui envenimait les corps et rongeait la peau. La Mort était partout, dans les campagnes, dans les rues, dans les villages, dans les châteaux. La Mort n'épargnait ni les paysans, ni les villageois, ni les bourgeois, ni les princes et les rois. La Mort était personnifiée: on la nommait alors la peste.

Au début, on pensait à un châtiment divin, une punition de Celui-Qui-Est-Au-Cieux, mais l'on finit par penser que seul le Mal pouvait en être à l'origine, que seul le Mal pouvait détruire, et que le Mal se trouvait en certains êtres. Ces êtres furent dénoncés comme à l'origine de tous les maux qui rongeaient alors le pays. Ces êtres, nous les appelions "sorcières"; bien que la plupart des personnes désignées comme tel étaient en fait dénuées de toute puissance occulte. Mais ils y avaient les autres, les vraies, les seules.

La Grande Chasse commencez alors. On envoya à travers tout le pays des moines et des chasseurs pour pouvoir débusquer et juger ces serviteurs du mal. Beaucoup d'innocents moururent lors de cette traque, mais à cette époque où les ténèbres régnaient, on ne faisait pas la différence entre bons et mauvais. A mesure que les cadavres des malades s'empilaient, la rage du peuple envers les "sorcières" grimpait. On désignait alors n'importe quelle personne pour pouvoir avoir la maigre récompense allant avec ces délations. C'est ainsi que commença le règne de la terreur.

La plupart des personnes désignés étaient des femmes. Ces pseudos-serviteurs du mal étaient la plupart du temps arrachés à leurs familles, et torturés par les "chasseurs". Bien souvent, l'aboutissement à cette torture était le bûcher. On brûlait les sorcières en groupe, en plein milieux de la place publique du village. Il y avait souvent un prêtre récitant les prières pour pouvoir sauver les âmes des malheureux, mais celle-ci étaient vite étouffées par les cris des condamnés et de la foule qui jubilait. Un des chasseurs tenant une torche l'abaissait alors, et le bûcher commençait à brûler presque sur le coup. La peau des condamnés se cloquait et fondait, leurs habits devenaient des cages de textiles ardentes, leurs yeux éclataient dans leurs orbites, des mèches de cheveux se consummaient en un instant. Les victimes hurlaient d'un cri rauque tandis que les flammes mordaient leurs gorges, mais la foule couvrait ces hurlements de leurs jubilations stridentes. L'odeur âcre et brûlante des corps se répendait à travers les gens, et elle restait imprégnée même après que le bûcher fut éteint. On considérait cette odeur comme une preuve supplémentaire de l'existence des sorcières.

II

La plupart des "chasseurs" de sorcières ne croyaient pas en leur existence. La seule chose qui les poussaient à continuer était le pouvoir de vie et de mort dont ils disposaient et la grosse somme que l'Eglise leur versait pour chaque sorcière tuée. Malheureusement cette forte récompense qui leur était reversée les poussait à juger hâtivement les prévenus.

Le groupe de ces chasseurs était totalement corrompu. Ils tuaient n'importe qui en échange d'une bourse bien fournie. C'était leur premier défaut. Le second est d'avoir rapidement pris comme suspects les seuls membres de la gente féminine. Le mal est universel et nous atteint tous... Les hommes comme les femmes. Et rien de cela ne fut pris en compte. Alors les ténèbres prirent de l'ampleur et le règne du mal pouvait commencer...

III

Edmond marchait à travers les allées jonchées de cadavres en décomposition. Au début, il ne pensait pas qu'il s'habituerait si facilement à l'odeur de pourriture et de décomposition qui imprégnait jusqu'aux pierres des maisons alentours. Il bifurquait à travers les allées sinueuses en tentant de trouver la maison qu'on lui avait indiqué. Il ne fallait pas compter sur l'aide des villageois: d'une part ils n'étaient que trop peu nombreux à arpenter les rues, et d'autre part ces derniers considéraient les chasseurs comme les chiens de l'Eglise. Et comme chaque bon chien, ils étaient toujours prêts à mordre.

De Chair et De SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant