I. Fantôme de Chair

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      Connor quitta son appartement, vide à présent. Il rejoignit sa voiture, et roula sur les routes désertes par l'heure matinale. Il croisa quelques rares voitures, qui allaient sûrement au travail, comme lui. Connor angoissait un peu à l'idée d'enseigner dans un nouveau lycée. Il allait remplacer une enseignante tout le long de l'année. Du moins, ce qu'il en restait, puisque il s'était déjà écoulé trois mois depuis Septembre. Les vacances de Noël approchaient, et ses élèves allaient être déjà fatigués de leur début d'année.
      Une fois garé et sorti de sa voiture, il pénétra dans le grand bâtiment central. Tout était peu éclairé ici, les enseignants n'étaient pas encore arrivés, seulement, le personnel à l'accueil, où il alla se présenter.
      - Ah ! Vous êtes M.Brennan, oui on nous avait prévenu de votre venue... matinale.
      - J'aimerais avoir le temps de préparer ma salle, et... les documentalistes m'ont dit qu'il fallait que je vienne récupérer le manuel d'Anglais au CDI.
      Connor avait un fort accent irlandais qui surprit la petite dame derrière son comptoir. Elle remarqua qu'il cherchait beaucoup ses mots, mais elle ne releva pas, et lui tendit simplement les clefs du CDI avec un sourire poli.
      - Thanks, répondit-il par automatisme.
      L'enseignant eut un mouvement de recul, comme surprit lui-même d'avoir répondu en anglais plutôt qu'en français. Avec un sourire gêné, il sortit de la salle et parcourut le bâtiment pour trouver le CDI. Ce n'était pas très bien indiqué, même, presque pas, mais il finit tout de même par trouver la grande porte qui y menait.
      La pièce était plongée dans le noir, alors il avança avec prudence, les mains glissant dans le vide pour trouver un bouton, ou quoi que ce soit qui puisse allumer la lumière.
      - Aïe ! s'exclama-t-il.
      Mais que faisait ce mur ici ? Il fit glisser ses mains sur la surface et trouva enfin l'interrupteur. Lorsque la pièce s'éclaira, tout s'expliqua, il avait en fait foncer dans le mur à sa droite, alors qu'il pensait aller tout droit. Il trouva sans difficulté le comptoir, où reposait le manuel d'anglais avec un petit mot qui lui souhaitait la bienvenue.
      Un petit bruit retint son attention quand il s'apprêta à quitter le CDI.
      - Anybody there? (Il y a quelqu'un?) demanda-t-il.
      Un deuxième bruit lui répondit, qui ressemblait plus à un petit gémissement. Il se dirigea alors vers les étagères, dans le fond de la pièce, mais rien. Il alla dans les différents coins, mais ne trouva personne.
      - Hum...
      Cette fois-ci, le bruit était très proche. Il aperçut un passage entre l'étagère à côté de lui et le mur, alors il jeta un œil : une jeune fille était complètement endormie à la table du CDI, sa tête entre ses bras, maigres, et ses cheveux, lisses, d'un blond presque blanc, cachaient entièrement son visage.
      - Miss ?
      La jeune fille ne répondit pas, alors l'enseignant s'approcha bien plus près et lui secoua tendrement le bras.
Enfin, un dernier gémissement endormi sortit de sa bouche ; elle leva légèrement la tête et le professeur ne sut comment réagir, quoi dire. La jeune fille avait l'air complètement perdue, ses yeux, hagards, étaient d'un bleu si clair qu'ils étaient à peine perceptibles. Que dire de sa peau, si blanche, si pâle, et de ses joues si creuses ? Elle leva un peu plus la tête, plongeant ses yeux vides dans ceux de l'homme. Elle avait des lèvres fines, et écarlates, créant un fort contraste entre sa peau et le rouge intense de ses lèvres. Connor n'osa plus bouger : il crut voir un fantôme, endormi à cette table. Un fantôme de chair.
      - Que faites-vous ici ? articula-t-il doucement, d'une voix qu'il aurait voulut plus sèche.
      La jeune fille ne répondit pas, elle se leva, sans même le regarder et se dirigea vers la sortie.
      - Eh ! l'appela-t-il.
      Comme elle l'ignora, il la rattrapa par le bras. Elle se retourna, toujours dans un mouvement réservé.
      - La documentaliste m'a oubliée hier...
      Connor relâcha prudemment le bras de son élève. Elle avait parlé d'une voix douce, fragile, encore un peu endormie.
      - Votre nom and- et votre classe ?
      Elle détourna le regard, se perdant dans le décor du CDI. Ses yeux semblaient parcourir les livres de l'étagère la plus proche, à la fois concentrés et perdus. Son visage était cerné par la fatigue, ou bien le chagrin ? Le professeur ne savait pas. Il observait seulement son élève, cherchant à l'identifier, lui coller une étiquette. Mais il avait beau chercher, elle ne rentrait dans aucune case. Elle semblait vide. Etait-elle seulement vivante ?
      - Olga Riefenstahl, en 1ère4, murmura-t-elle dans un souffle.
      Ses yeux bleus étaient revenus se plonger dans ceux de l'homme. « Olga Riefenstahl » sonnait très allemand. Il se souvint alors, lorsqu'il avait parcourut les listes de ses futurs élèves que cette même remarque l'avait frappée quand il était tombé sur son nom. Il fit signe à Olga d'attendre et sortit son planning de son sac.
      - Votre première heure est avec moi. Voulez-vous rentrer chez vous avant ? Vos parents doivent s'inquiéter.
      A ces derniers mots, Olga leva brutalement la tête, mais la rabaissa, aussi vite.
      - Je n'ai pas d'apriori sur mes élèves. Je ne prendrai donc pas en compte notre rencontre, et je ne la ferai pas non plus remonter. En revanche, j'aimerais que vous fassiez plus attention à l'avenir, lorsque vous irez au CDI. Est-ce clair ?
      Olga n'avait pas levé les yeux vers l'homme durant tout son temps de parole ; elle hocha simplement la tête. Connor lui fit signe de la suivre, et ils se dirigèrent vers la salle de classe.
      - J'imagine que vous n'avez ni dîner ni-
      -Monsieur revenez ! Vous ne pouvez pas... !
      - OLGA !
      L'enseignant recula de surprise, quand un homme se précipita sur son élève, suivit de près par la femme qui l'avait accueillie.
      - Olga qu'est-ce qu'il t'ait arrivé ?
      L'homme devait atteindre facilement deux mètres de hauteur, ses épaules étaient larges et il avait les bras et le cou entièrement tatoués. Ses mains entouraient tendrement le visage de la petite blonde. La petite dame, arrêtée au bout du couloir, semblait dire désolée. L'enseignant, lui, ne bougeait pas.
      - Je vais bien Lev...
      - Tu n'es pas rentrée de la nuit !
      Le jeune homme devait avoir vingt-cinq ans tout au plus, sa voix était rauque et à sa façon de rouler les r, il était très certainement russe.
      - Je te ramène.
      - Lev... murmura-t-elle.
      - Monsieur, vous ne pouvez pas partir avec une élève comme ça, tenta le professeur.
      Lev se détourna d'Olga, silencieux. Il s'approcha doucement de l'enseignant et se dressa de toute sa hauteur, face à lui. Le professeur ne bougea pas, il n'avait pas peur.
      - Elle est sous ma responsabilité, articula Lev d'une voix forte.
      - Oh cela m'étonnerait beaucoup mons-
      Lev avait déjà fait demi-tour, entraînant Olga au passage.
      - Eh !
      La petite dame arrêta Connor.
      - Retournez à votre salle monsieur. Vous êtes arrivé à l'avance pour la préparer, n'est-ce pas ? Eh bien, occupez-vous-en.
      - Mais...-
      La femme s'était déjà éloignée.

Fantôme De Chair (professeur- élève)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant