L'homme de glace

Chapitre 4

Retourner au travail après une telle proposition, pour certaines serait de la fierté, pour moi, c'est juste honteux. Je n'ose regarder personne, même si je sais très bien que pour le moment, tout est gardé secret. J'ai l'impression que tout le monde me regarde de travers.

Je fonce dans mon petit emplacement et n'en sors même pas pour manger le midi. Je réponds aux bonjours de mes collègues du bout des lèvres et à aucun des appels ou des SMS d'Alba. Trop de sentiment de mal être flotte en moi.

En fin de journée un SMS en lettres capitales d'Alba m'interpelle :

[MISSION ANNULÉE – MISSION ANNULÉE ! Notre eunuque de patron refuse tout finalement. Ça hurle dans son bureau depuis plus d'une heure. Sa routine lui convient...comme une certaine amie !]

Elle m'agace, voilà qu'elle me compare à notre homme de glace de patron. Un poids énorme vient de s'envoler. Je me redresse sur mon fauteuil à roulettes, mon sourire reprend sa place et mon corps se détend. Ma vie peut reprendre son petit chemin.

Pour me détendre totalement, ce soir pas de soirée entre amis, mais du sport. Je passe deux heures dans la salle du bout de ma rue, le Lady's Room, pour pousser de la fonte à m'en éclater les muscles. Depuis bientôt cinq ans, je m'entretiens en essayant de venir trois fois par semaine.

Le vide se fait dans ma tête et mon corps se détend. Lorsque j'en sors, je me sens revigorée. Bien dans mes baskets !

Rien ne vaut la tranquillité dans ma vie, pour me rendre heureuse. Dodo, métro, boulot, amis ou sport. Une routine que je ne veux pas casser. C'est dans une sorte de petite euphorie que j'arrive le lendemain au bureau. Je fredonne tout en tapant sur mon clavier des chiffres à n'en plus finir ! Chacun dans son box, le brouhaha de nos voix dans cette immense pièce que je partage avec cinquante autres employés, en bruit de fond.

[Alors, tu te sens mieux ? Finie ta petite crise ? Ta petite vie de vieille fille peut reprendre comme tu l'aimes ?]

Le SMS d'Éric me fait glousser.

[Je suis redevenue moi. J'adore !]

[Mortellement ennuyeuse pour ne pas changer. Il faudra un jour que tu me dises réellement pourquoi vivre si tristement te plait. C'est tout de même incompréhensible. Ou alors fais-toi bonne sœur et là nous comprendrions ! J'ai mal pour toi ma Cali, parfois.]

[Il ne faut pas. Je ne suis pas malheureuse.]

[Ni heureuse ! Tu survis. J'aimerais t'aider, tu le sais. Dis-moi comment ?]

[Tu es un amour. La seule façon de m'aider et de me laisser vivre la vie que je mène, c'est celle qui me plait]

[Menteuse ! Pourquoi ne vis-tu une belle vie qu'en fantasme ? Pourquoi n'essayes-tu pas de vivre comme dans tes romans ? Libère-toi]

[Ce n'est pas moi dans mes romans. Je te laisse, je dois travailler. Cette conversation me fatigue.]

[Non, mais ça pourrait être toi. Rencontre un homme, tombe amoureuse, prends soin de toi pour lui, faites un enfant, achetez un SUV...]

[Très romantique ! MDR. À ce soir Éric, bosse bien, biz.]

Il n'insiste pas et tant mieux, j'en ai marre de leur obstination à me voir changer de vie. Parce que je ne vis pas à leur façon, alors je suis étrange. Non, seulement je ne veux pas changer de mec toutes les semaines comme Alba, je ne veux pas de vie de couple, je ne souhaite pas être habillée à la dernière mode parce que la mode me passe au-dessus de la tête. Mes amis ne m'ont jamais comprise. Pourtant c'est simple, je veux être transparente, point final, pensé-je en me dirigeant vers les toilettes d'un pas assuré. Tout mon corps réagit à l'agacement de l'incompréhension de mes amis. Je secoue la tête en souriant et en fermant les yeux, amusée. Une fraction de seconde dans le noir et me voilà collée contre le torse qui m'a rendu toute chose cette nuit. Confuse et gênée, je m'excuse doucement, en évitant ses yeux.