Les Contes de l'Aura / Du Sang à l'Esprit T1

Chapitre 3

     Une farandole de rires, c'est tout ce qui venait bourdonner aux oreilles de Yuna. Elle se maudissait d'avoir l'ouïe si affûtée, et même si elle n'était jamais contre quelques bons ragots, parfois le silence lui manquait. La douce mélodie d'un calme imperturbable. Elle n'avait vraiment pas besoin de savoir que le Roi Domen avait fait des avances à sa cousine germaine, vraiment elle s'en fichait.

Elle releva les yeux sur son assiette : elle reprendrait bien un peu de tarte aux fruits de minuit. Elle en avait toujours raffolé et dans l'immédiat elle n'avait rien de mieux à faire. Elle croisa le regard insistant de Samael en se levant dans la direction du buffet. Ce dernier était en grande conversation avec un homme aux longs cheveux rubis plutôt imposant malgré son allure malingre. Il n'était pas très grand pour un homme mais il devait, sans aucun doute, mettre au tapis des armées entières. Elle haussa les épaules, flairant rapidement l'odeur de son dessert favori et se détourna des yeux de son ami qui tentait de lui communiquer de les rejoindre.

Elle se lécha les lèvres en se servant une part de tarte, la gourmandise serait probablement sa perte si sa maladresse légendaire ne la tuait pas avant. Elle méritait bien une sucrerie de plus en guise de récompense pour avoir survécu à cette journée. Tout l'après-midi avait été rythmé de discours, touchants pour certains, mais passablement barbants pour la majorité. Chaque ascendant avait ensuite prêté serment de défendre la Vallée du Vent et tous ses habitants.

Elle se retourna, prenant appui sur le bord de l'immense table décorée de fleurs blanches pour contempler le petit monde qui évoluait devant elle. Ronan, ainsi que nombreux de ses camarades, se trouvaient de l'autre côté de la pièce, en compagnie de ce qu'elle devina être le capitaine et le second du bataillon de l'Hiver. Tous s'esclaffaient bruyamment à la suite de ce qui était, sans aucun doute, une anecdote exquise.

Elle sursauta : un verre venait de se briser près de la table centrale. Adriel avait trop bu, ses joues étaient largement rosées et ses yeux brillants. Yuna déposa son assiette à dessert derrière elle, elle avait même pris le temps d'y attraper les dernières miettes sucrées avec le bout de ses doigts. La soirée semblait délicieuse ainsi observée de l'extérieur, mais l'euphorie de la salle drapée dans toute sa finesse ne suffisait pas à lui faire oublier la présence des bataillons et de ce qu'ils impliquaient.

— En voilà une âme bien pensive. La soirée ne trouve-t-elle pas grâce à tes yeux ?

Yuna détourna son regard opale en direction de son interlocuteur. Une femme qui avait clairement la beauté d'une grande dame s'avançait en faisant valser légèrement la mousseline rouge de sa robe. Elle se racla la gorge discrètement et étira son dos pour paraître droite. Elle faisait bien pâle figure aux côtés de cette divine apparition.

— Ça me ressemble assez peu de me trouver en retrait d'un tableau si festif, je dois bien admettre, avoua-t-elle à demi-sourire.

La femme répondit d'un léger rire qui allait sans nul doute de pair avec son regard malicieux. Yuna en profita pour l'analyser plus en détails et son esprit s'accrocha au collier de cuivre sombre qu'elle portait autour de sa nuque parsemée de cicatrices. Un médaillon finement forgé d'un soleil brûlant.

— Vous êtes du bataillon de l'Été, elle tenta de tourner sa phrase en interrogation.

L'interlocutrice passa un doigt sur le bijou puis repoussa une mèche de ses cheveux châtains derrière son oreille décorée de rubis.

— On ne peut rien te cacher visiblement, même si ce n'est qu'une demi-victoire vu l'évidence de mon collier, répliqua-t-elle moqueuse. Je suis Kirai, à qui ai-je l'honneur ?
— Yuna.
— J'étais en marche pour rejoindre mon capitaine, que dirais-tu de te joindre à moi plutôt que de réduire à néant cette tarte ?