Les Contes de l'Aura / Du Sang à l'Esprit T1

Chapitre 1

     Les Grands Auras étaient sans pitié. Seules des divinités immorales séparaient par la mort deux âmes faites pour la vie. Il ne pouvait pas en être autrement.

Une larme teinta le papier jauni, laissant une traînée légère sur les mots qui avaient si intensément bouleversé Yuna. Elle en avait parcouru des pages, dévoré des livres, mais rien ni personne ne pourrait combler le vide euphorique qui habitait son cœur en cet instant. Il fallait être délicieusement cruel pour conclure les mots d'un roman de la sorte et pourtant, elle n'y trouvait pas plus belle fin. L'histoire tragique de Suhon et Melian demeurait de loin sa favorite. Deux êtres issus de royaumes ennemis, tombés éperdument amoureux avant de connaître un funeste destin.

Elle referma la couverture épaisse et s'allongea dans ses draps, les yeux perdus dans la contemplation du plafond. La faible lueur de la bougie s'éteignit, rejoignant ses sœurs qui avaient veillé par quinzaine toute la nuit contre l'obscurité de la chambrette. Comment ferait-elle pour détrôner cette lecture qu'elle venait d'achever ? Jamais elle ne trouverait un conte aussi agréablement douloureux.

Elle soupira de fatigue. La position de la lune lui indiquait qu'il était bien trop tard ou bien trop tôt. Le bois grinça sous son poids lorsqu'elle se redressa pour approcher de la fenêtre. Les jardins du Sanctuaire étaient toujours très en beauté la nuit. Elle y retrouvait un calme que le jour éclipsait. Quinze ans qu'elle contemplait cette même vue chaque soir. Quinze ans que cette école était sa maison. La semaine de l'Ascension débuterait dès demain et elle savait déjà qu'elle ne manquerait pas de l'éreinter. D'ici quelques jours elle serait diplômée du Sanctuaire et comme tous les Vikas, elle devrait accomplir son devoir : rejoindre l'un des quatre bataillons de la Vallée du Vent pour servir son royaume. Il lui arrivait parfois de songer à ce que sa vie aurait pu être si elle était née humaine, dépourvue des pouvoirs de l'Aura et de leurs responsabilités. Aurait-elle fini chasseuse dans les monts du nord comme son père ?

Elle chassa sa réflexion de son esprit et retourna se blottir dans ses draps malgré la chaleur de la nuit. Entre les bribes de sa dernière lecture et les inquiétudes des moments à venir, le sommeil tissa sa toile dans son esprit, l'emportant dans une vague de rêves au doux parfum d'inconscience.

     Trois coups frappèrent lourdement sur la porte. Yuna se réveilla en sursaut accompagnant sa descente du pays des songes d'un grognement. Elle tira sa couverture de laine jusqu'à son front.

— Yuna, debout, ne fais pas celle qui ne m'a pas entendu.

Le silence s'empara de la pièce. Elle se retourna pour enfouir sa tête dans son oreiller de plumes et s'offrir quelques minutes de sommeil supplémentaires. Il ne fallait rien avoir de constructif à faire de ses nuits pour être ainsi levé aux aurores.

— J'entre, annonça la voix derrière la porte.

Yuna réprima une grimace. Il en était définitivement fini de sa nuit, mais elle comptait bien apprécier la douceur de ses draps encore un moment.

— Et arrête de ronchonner comme un animal, je n'y suis pour rien si tu veilles jusqu'à pas d'heure le soir. C'est ça de lire des romans d'amour jusqu'aux premières lueurs et de ne pas assumer le matin.

Les pas du perturbateur de sommeil résonnèrent sur le bois de la chambre. Elle en compta dix, juste assez pour arriver à la fenêtre en face au lit. Par réflexe, elle enfonça son visage encore plus dans son oreiller et un rayon de soleil s'invita brutalement dans la pièce.

L'endroit n'était pas très grand mais suffisait amplement pour une personne. Une partie du plafond de pierres était incurvée, révélant ainsi sa position sous les toits. Le mobilier rudimentaire laissait apparaître quelques dessins longilignes malgré le passage du temps.