Chapitre 14

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Le Vala des Hauts-Mages avait permis à Nilcalar de retrouver ses capacités. Assis à son trône, il n'arrivait pas à détacher ses yeux de ses mains raccourcies. Mais son esprit restait focalisé sur la situation présente.

Arminassë et Lombal avaient aussitôt été prévenues. Les deux villes astrales viendraient-elles au secours de leur sœur ? Les chances étaient minces. La reine Wendu se délectait toujours du malheur de ses voisins alors que la Reine Vierge ne sacrifiait jamais ses hommes pour un royaume qu'elle méprisait.

Non, l'espoir semblait compromis. Hors des murs, les armées s'affrontaient dans une violence exacerbée. Les feux des dragons se voyaient des fenêtres.

Mais avant tout, c'était la vision de son palais qui accablait le roi. À peine s'était-il penché à une vitre qu'il avait distingué la silhouette de Dorgon, la main refermée sur la chevelure brune de Ninkë. La tête livide et crispée par la douleur était dépossédée de son corps.

Le souverain n'osait imaginer les tortures qu'avait subies son favori. Lui-même n'y avait pas échappé... Un gout amer lui remonta dans la gorge ; son intendant avait eu raison sur toute la ligne. Mais maintenant, il était mort, décapité par un monstre assoiffé de sang. Nilcalar n'arrivait plus à se détacher du sourire du meurtrier et de son regard dément. Cela provoquait en lui des sueurs froides abominables.

En bas des marches, les ministres échangeaient à voix basse, lançant des pronostics toujours plus poussés. Il fallait se rendre à l'évidence ; comment pouvaient-ils s'en sortir ? Tout ce qu'il leur restait à faire était de tenir un siège. Dans le meilleur des cas, l'armée astrale repousseraient les guerriers elfes et supprimeraient les esclaves. Mais cette probabilité était de l'ordre de l'impossible lorsqu'on connaissait la puissance d'Elaglar et de Vilnius.

Oui, tenir un siège dans le donjon principal était la dernière option. Les Esprits ne les aideraient guère, encore plus lorsqu'ils avaient été inventés de toutes pièces par les religieux d'Atalantë.

— Majesté, lança un officier, vous devez vous enfuir. Le donjon comporte suffisamment de souterrains pour vous extraire de la cité !

A ces paroles, tous les membres du gouvernement exigèrent connaitre le même sort, à savoir quitter les lieux au plus vite.

— Personne ne va nulle part ! s'écria Nilcalar, nous mourrons ici s'il le faut. Mais tant que je serais en vie, personne ne jettera les armes.

Les contestations eurent du mal à être réprimées. Les soldats dégainèrent leur cimeterre, prêts à calmer les récalcitrants de manière expéditive.

Dans toute cette agitation, la rosace se brisa brusquement. Les morceaux de verre colorés reflétèrent la lumière du soir dans leur chute avant de tinter sur le marbre frais. Parmi eux, l'intru se releva ; sa race lui avait permis d'atterrir agilement sans la moindre difficulté. Un costume noir le recouvrait entièrement. Seuls ses yeux rouges étaient visibles, le reste caché sous la capuche et le bâillon.

Son regard félin se posa sur le roi et d'un mouvement sec, il dégaina ses dagues.

Se remettant de leur émotion, les soldats pointèrent leurs armes vers l'elfe et portèrent leurs arbalètes en joue. Un seul mouvement de sa part et il se ferait transpercer.

Les aristocrates, épouvantés, s'écartèrent de la scène et se collèrent aux murs pour éviter tout tir perdu. La tension commençait à monter dans la salle du trône. Les longs voiles pendant aux colonnes de marbres s'envolaient légèrement avec la brise alors que chacun attendait l'enclenchement fatidique des événements.




Morgal écarquilla des yeux. Il venait de plonger la tête dans un essaim d'abeilles. Mais sans doute était-il trop tard pour se lamenter sur son inconscience ou faire marche arrière. Il avait l'impression que son Vala avait pris le contrôle sur sa raison et qu'il le poussait toujours plus loin pour se déchainer une bonne fois pour toute. Les paupières du prince se refermèrent ; soit, laissons les rênes à sa magie, à son désir de puissance absolue. D'une connexion de pensée, il abaissa les barrières valiques et la sorcellerie des Réceptacles emplit son âme.

Prenant appui sur ses jambes, il s'élança vers le trône.

Comme un signal donné, les arbalétriers lâchèrent leurs traits sur leur cible. Les soldats réajustèrent leur bouclier et pointèrent leurs lames, protégeant leur souverain d'un plusieurs rangées de corps.

Malgré l'évidence de sa position, Morgal ne recula pas. Déjà, les carreaux le rejoignaient pour le perforer. Il allait mourir. Pourquoi s'était-il obstiné à écouter sa volonté destructrice ? A suivre son Vala suicidaire ?

La réponse ne tarda pas à lui être donnée. Le temps sembla s'arrêter pour lui et l'air autour de lui trembla.

Alors tout se passa très vite. En un éclair, il se trouva au-dessus du trône, en plein air, les dagues croisées sur ses épaules. Le roi leva le visage vers lui.

Bien que les iris soient rouges, Nilcalar reconnut le regard du prince et tout devient clair à son esprit. Ce même prince lui avait prédit cet instant, le moment où tout s'arrêterait pour lui.

Morgal se fondait inexorablement de lui, son bâillon venait de tomber pour dévoiler son sourire carnassier qui s'accordait trop bien avec son regard flamboyant.

Le souverain ferma les yeux. Ainsi devait-il en être.

Les lames se décroisèrent dans une gerbe de sang ; la couronne royale vola avant de tomber lourdement sur les dalles, maculée de sang.

Gloire et Déchéance - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant