Chapitre 11

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Samedi 23 Janvier 2015 - 9h03.
Maison des Stilinski.

Les couverts lui glissaient encore des mains, parfois. D'autres fois, il lui fallait quelques secondes pour se rappeler comment commander à sa main d'amener la nourriture jusqu'à sa bouche. Mais c'était devenu rare. Il avait pu sortir définitivement de l'hôpital quelques semaines après Noël. Sa rééducation semblait avoir porté ses fruits et il savait désormais se déplacer en autonomie.
Les plus grosses séquelles marquaient sa mémoire, qui lui faisait toujours défaut. Certains mots étaient une évidence, d'une simplicité enfantine. Mais il arrivait que d'autres, pourtant tout à fait anodins et ancrés dans le quotidien, ne viennent à lui manquer de manière aléatoire. Ils finissaient par revenir tandis que d'autres s'en allaient. Comme si son cerveau avait une capacité de stockage trop limitée pour les garder tous en même temps.

- Stiles ?

Son père s'inquiétait sans cesse pour lui. Ca n'avait rien d'anormal. Il avait manqué perdre son unique enfant. Mais pour Stiles, c'était agaçant. Il n'aimait pas être considéré comme un être inférieur, fragile. Il détestait la sensation d'être un poids dont le monde semblait se charger en permanence. Et il haïssait le sentiment qui le rongeait, que cette impression n'était peut-être pas seulement due à son accident.
Ses amis se comportaient avec lui de manière protectrice. Trop, parfois. Souvent, même. Ils s'inquiétaient sans cesse de ce dont il avait envie, s'il se sentait bien, s'il voulait aller quelque part. Il n'avait plus une seconde à lui alors qu'en communauté, il parlait rarement et se contentait d'observer le monde tourner sans lui.

- Tu es réveillé ? Ca va ?

Stiles pencha la tête pour poser ses yeux dans ceux de son père, qui avait passé son visage dans l'ouverture de la porte.

- Ca va, papa.
- Je t'ai laissé des pancakes sur la table. Ils sont encore chaud.
- Merci.
- Je ... Il faut que j'aille au travail. Ca va aller ?
- Papa, je t'ai dis que je vais bien.

C'était un foutu mensonge. Mais son père, sans connaître la vérité, s'inquiétait déjà trop. En réalité, Stiles n'allait pas bien. Ses nuits étaient peuplées de cauchemars plus réalistes et plus violents les uns que les autres. Il n'en n'avait parlé à personne. Ni au Docteur Wilson qu'il voyait pourtant chaque semaine, ni à sa psychiatre, avec qui il essayait depuis une éternité d'améliorer ses troubles de la mémoire, et encore moins à ses proches. Il était seul dans ce combat et le temps semblait jouer contre lui : les cauchemars ne diminuaient pas et les flash qui lui vrillaient régulièrement la tête devenaient de plus en plus douloureux malgré les médicaments dont il se gavait contre les migraines.

Son père était parti depuis quelques minutes, lorsque des doigts frappèrent contre sa fenêtre de chambre. Il leva les yeux vers son visiteur et souffla d'agacement, renversant sa tête en arrière. Il y avait les cauchemars, et il y avait ça : Derek. L'insupportable Derek.
Stiles se leva, ouvrit la fenêtre et se décala pour laisser entrer l'animal sauvage qui lui servait de ... de quoi, d'ailleurs ?

- Je n'ai pas besoin d'un babysitter, Derek.
- Je sais.
- Alors pourquoi tu es là ?
- J'aimerais t'emmener quelque part.
- Je n'ai pas le temps. Je dois bosser.
- Alors je vais juste ... rester là.
- Là ?

Derek s'affala sur le lit de Stiles, plia un bras derrière sa tête et observa la chambre depuis son nouveau point de vue. L'adolescent le fixa longtemps, se demandant comment il pourrait bien extirper cette montagne de muscles de son lit, de sa chambre, et de sa maison.
Ses épaules s'affaissèrent tandis qu'il se résignait : il ne pourrait rien faire contre la volonté du ... de Derek. Sans un mot, il quitta la pièce sans plus porter attention à l'intru. Il rejoignit la cuisine et prépara un plateau où il déposa les pancakes et deux verres de jus de fruits, qu'il remonta ensuite dans sa chambre.

- Petit déjeuner.

Derek, qui l'avait écouté tout du long pour s'assurer qu'il ne disparaissait pas, se redressa sur le lit et posa ses pieds au sol. Il plongea son regard vers le plateau, puis remonta ensuite vers Stiles. C'était étrange, de le voir aussi silencieux. Stiles n'avait jamais été quelqu'un de discret et si il avait passé les dernières années à essayer de le faire taire par tous les moyens possibles, il en venait aujourd'hui à regretter les monologues interminables du plus jeune.

- Si tu étais un animal, qu'est-ce que ce serait ?

Derek s'immobilisa aussi sec, un pancake à quelques centimètres de sa bouche. Stiles était assis sur la moquette, le dos appuyé contre le lit, fixant devant lui depuis une petite éternité. Derek avait commencé à manger avec lui et s'était bien demandé ce qui pouvait bien se passer dans la tête de son humain préféré, mais il était loin de s'attendre à ce genre de question.

- Pourquoi ?
- Un loup.

Il s'était risqué à prendre une nouvelle bouchée de son pancake, il avala de travers.

- Quoi ?
- Je te verrais bien en loup. Un gros loup noir au poil rêche, avec des énormes ... pattes, et une énorme tête et des ...
- Des ?
- Rien. Juste des énormes pattes et une énorme tête.
- Stiles ...

L'adolescent fourra une énorme quantité de nourriture dans sa bouche et afficha à l'intention de Derek, une mine faussement contrite : il ne pouvait pas parler davantage, évidemment. Le jeune adulte soupira et reposa le sien, de pancake. Il se passait quelque chose que Stiles ne voulait pas ébruiter. Les souvenirs lui revenaient-ils ? Il ne pouvait pas devoir cette image si précise à un parfait hasard. Stiles l'avait vu, sous sa forme lupine. Il savait forcément quelque chose à ce propos. Mais pourquoi ne pas en parler ? Voulait-il oublier ?

- Des yeux bleus.

Stiles cessa de mâcher, relevant vers Derek un regard effrayé. Etait-il capable de lire dans les pensées ?

- Je serais un gros loup noir avec des énormes pattes, une énorme tête et des yeux bleus.
- N'importe quoi. Les loups n'ont pas les yeux bleus. A moins d'avoir du sang de euh ... chien. Tu serais un chien-loup, Derek ?
- Assurément pas.

Stiles étouffa un léger rire, il avait perçu une pointe de vexation dans l'intonation de Derek. Pourtant quelque chose l'empêcha de se réjouir trop longtemps. Il essayait de garder son sang-froid mais l'idée émise par son aîné lui faisait froid dans le dos. Il avait clairement visualisé un loup noir aux yeux bleus, en s'imaginant Derek sous forme animale.

- Et toi, tu serais quel animal ?
- Un renard, évidemment.

[Sterek] Un monde de brumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant