Lettre à la mort #1

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Madame la Mort,

On ne s'est jamais rencontrées personnellement, du moins pas dans cette vie.
Mais tu es passée plusieurs fois emmener des êtres chers dans ton univers mystérieux. 

Chaque fois, je t'ai regardée faire, impuissante, et tu apparaissais si vite que je n'avais pas le temps de comprendre. C'était d'une telle absurdité... Personne ne t'attendait. Alors pourquoi ? Pourquoi maintenant, pourquoi lui, pourquoi elle ? Pourquoi ?

Cette question m'a brûlée les lèvres pendant des années. J'ai détesté comprendre que tu n'avais aucune réponse à m'apporter. J'ai eu tellement de colère contre toi. 

Parfois, j'ai souhaité de tout mon être que ton passage n'ai été qu'un cauchemar. Quand la violence des émotions se faisait tellement intense que ça en devenait irréel, et que mon corps et mon esprit ne semblaient plus pouvoir s'accorder. Que la réalité semblait si fausse, même pas le temps de s'y adapter, même pas le choix. Je croyais, j'espérais, je voulais tellement que ce ne soit qu'un cauchemar. 
Chaque jour, je me répétais " ce n'est pas possible ", cette phrase tournait en boucle dans ma tête, je me martelais ces mots en me levant, en me couchant, parce que je refusais de croire en une réalité aussi horrible. Et que je voulais me réveiller. Mais je savais très bien que je ne dormais pas.  Et que je ne pouvais pas nier la réalité des choses, que tu étais venue la me la prendre, me le prendre, qu'ils n'existaient plus dans le même monde que moi, que j'avais beau penser à eux, leur cœur ne battait plus, leur corps vides avaient disparus, enflammés, leur cendres envolées. Aucune existence physique. Aussi impalpables que le vent. Et je pensais à leur maison vide, leurs animaux délaissés, leurs tasses préférées et tout ce qui constituait leur petit univers à eux, tout ça, ça n'avait plus aucun sens, ca respirait l'absence, l'absence éternelle. Des photos, des objets sans vie, comme seules traces de leur existence. Mais on se rend compte qu'ils pourraient n'avoir jamais existé, le monde continuerait de tourner, et que maintenant qu'ils n'existent plus, le monde tourne encore, et c'est tellement violent. 

Oui, parfois, j'ai souhaité de tout mon être que ton passage n'ai été qu'un cauchemar. Et parfois, je le souhaite encore. Parce que même après tout ce temps, j'ai encore du mal à y croire, parfois, seulement parfois, je me dis encore que ce n'est pas possible.

Mais c'est comme ça.

La frustration, l'impuissance, l'incompréhension, la violence...Que tu sèmes derrière toi... Ce n'est pas simple. Tu es si complexe, si difficile à comprendre. Tu soulèves tellement de questions, tu bouleverses tout, tu amènes d'autres regards, d'autres réalités, bien cruelles mais aussi tellement belles. 

La beauté que tu caches, j'ai mis du temps à la voir.

Avec toi, j'ai découvert tellement d'amour autours de moi, un amour que je ne savais pas voir auparavant. Un amour qui ne fleurit que sous ton soleil. Un amour triste, plein de regret, d'une nostalgie étouffante mais d'une puissance incroyable.

Avec toi, j'ai appris à partager la souffrance, à avoir mal ensemble. 

Grâce à toi, j'ai vu à quel point des gens si différents, unis par l'amour d'une personne disparue dans tes bras, étaient capable de rayonner tous ensemble, l'espace d'un instant, de rayonner si fort que ta noirceur en devenait moins noire. 

Merci pour tout ce que tu m'as appris, Madame la Mort. 

Si je te dois beaucoup de mes larmes, je te dois aussi des sourires.
Je te dois une tristesse intemporelle, mais aussi des joies éphémères si uniques.
Je te dois des colères dévorantes, des pensées aussi sombres que ton âme, des émotions dévastatrices, mais... Mais aussi toute cette beauté que je ne sais plus définir. 

Alors voilà, à travers toute la haine que j'ai pu avoir pour toi, toute la colère, la rage, l'incompréhension...Je te remercie quand même. Pour ça. 
Je sais que tu reviendras, parce que tu fais partie de la vie. Bien sur que tu fais partie de la vie. Cette pensée me hante parfois, quand je crois te revoir passer. J'ai peur de t'entendre à nouveau, à travers une voix brisée dans un téléphone, ou de te voir à travers les yeux troubles d'un être cher dévasté, j'ai peur de toi, que tu me prennes mes amis, mes amours, et bien sur que tu les prendras, un jour ou l'autre. 
Car s'il y a bien une chose que j'ai compris, c'est que tu peux emmener n'importe qui, n'importe quand. Qu'il n'existe pas de règles, pas d'âge limite, rien, aucun critère. 

C'est parfois angoissant.

Tu n'es pas la personne la plus rassurante du monde, Madame la Mort. Ni celle qu'on a envie de croiser sur son chemin. Mais tu es la. Tu seras toujours là, dans toutes les vies de cette planète, nous serons toujours confronté à toi, qui que nous soyons. Alors il faut faire avec. Parce qu'on n'y peut rien. On ne décide pas de tout. Et puis, sans toi, rien n'aurait de sens, non ? 
Aussi difficile que ça puisse l'être, il faut t'accepter. Ca prend parfois des années. Peut-être même des vies entières. Mais lutter contre toi ne sert à rien. Avoir peur de toi non plus. T'en vouloir, encore moins...

Enfin voilà.

Ces quelques mots que je voulais t'adresser, Madame la Mort, fais en ce que tu veux. De toute façon, je crois que je t'écrirai à nouveau. Parce que j'ai tellement à te dire. 

Alors, à la prochaine fois...

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