Arrêt Jaurès

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Elle monte dans le bus, arrêt Jaurès comme tous les jours,
Peu de monde mais une chaleur, et puis cet air qui est si lourd
Toujours à la même place, adossée à l'accordéon,
Elle s'en voudrait de prendre la place d'une grand-mère ou d'un petit garçon.
Elle sort ses écouteurs, et du haut de ses seize ans,
Elle écoute les poèmes d'un corps malade qu'on dira grand.


Lui la regarde monter, arrêt Jaurès comme tous les jours,
Elle est encore plus en beauté que les cinquante derniers jours.
Il se demande si aujourd'hui, elle remarquera qu'il existe
Cette déesse dont la beauté lui fait oublier qu'il est triste.
Cet ado, timide et rêveur, s'imagine lui demander
Un numéro que jamais il n'oserait recontacter.


Lui regarde ce manège, arrêt Jaurès comme tous les jours,
Un ado timide et rêveur, qu'une belle jeune fille rempli d'amour.
Il fait un bond dans le passé, soixante six ans en arrière,
Quand il avait enfin osé parler à cette jolie caissière.
La robe fleurie et ses cheveux lui rappellent la femme qui,
Jusqu'à il y a six mois de cela, accepta de partager sa vie.


Lui monte dans le bus, arrêt Jaurès, vingt ans passés,
Il se pose en face d'une meuf, plutôt fraîche, en robe d'été.
Après dix minutes passées à avoir maté son décolleté,
Il s'approche et lui enlève un écouteur, juste pour tchatcher.
Mais cette salope ne veut pas lui donner son 06,
Alors il part et au passage, lui caresse l'entrecuisse.


Paniquée, la jeune fille cherche un soutien autour d'elle et, effarée,
Voit un gars bizarre, rêveur, en train de la regarder.
Elle cherche à droite, et ce qu'elle voit lui donne envie de gerber.
Un vieux pervers, l'oeil humide, sourit d'une bouche édentée.
Au bord des larmes, la jeune fille descend au premier arrêt,
Plus jamais, se jura-t-elle, de décolleté, de robe d'été.


À vous qui tuez la poésie et le charme des regards,
Qui faites que les femmes ont peur, seules dans le noir,
Qui faites que l'on n'ose plus, sous peine d'être jugé,
Essayer de parler à quelqu'un qui nous plaît,
À vous et à tous ceux qui demandent comment elle s'habille,
Pensez donc à votre mère, à vos sœurs, à vos filles.

PlongeonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant