Partie de Go [𝙏𝙂𝘾𝙁]

Partie de Go au quartier des plaisirs

- Votre Altesse, êtes-vous certain que le lieu de rendez-vous se trouve dans ce quartier ?

La voiture de la famille royale s'arrêta devant une grande porte enceinte par d'immenses colonnes rouges surplombées de sculptures dorées. Deux lanternes pourpres s'agitaient au gré du vent sans que la bise n'étouffa la source de lumière. De minces filets de parfums s'échappaient des fenêtres et des rideaux des grandes bâtisses de bois et de toile. Les vapeurs d'huiles aromatisées étaient si concentrées que Mu Qing pinçait son nez et que Feng Xin toussait discrètement derrière sa manche.

Le quartier des plaisirs était un territoire attenant à la capitale impériale, gardé par quelques soldats, tout en étant une citadelle ayant ses propres règles. Xie Lian ne s'y était jamais rendu jusqu'alors et n'y avait jamais exprimé l'envie. Il avait entendu certains disciples du Mont Taicang converser autour des plus célèbres courtisanes et leur désir vain de pouvoir les rencontrer que ce soit par manque d'argent ou par respect de leur mode de cultivation. Renoncer aux plaisirs des communs tels que l'alcool et l'acte charnelle aidait à développer son énergie spirituelle. Le pêché de la chair restait la pire entrave dans la cultivation du Prince Héritier, il était même autorisé exceptionnellement à boire de l'alcool sans mettre à l'eau tous ses efforts.

Il laissa échapper un soupir à l'idée de ce qu'il s'apprêtait à faire. Alors que la grande cérémonie du Dieu qui Plaît approchait à grands pas, l'empereur de Xian Le avait chargé son fils de livrer un paquet à Gao Xiao, un excentrique ministre. Ce dernier n'avait pas hésité à refuser de le recevoir dans ses propres appartements et de lui suggérer de s'entretenir avec lui au quartier des plaisirs.

Xie Lian ne l'avait vu qu'une seule fois, lorsqu'il était enfant lors d'une réunion avec son père, et sa première impression ne l'avait pas laissé indifférent. Il se souvenait notamment de son rire glaçant et de son regard perçant. Il l'avait beaucoup appréhendé et avait espéré ne pas avoir affaire à lui à l'avenir.

Néanmoins, il connaissait peu de chose de lui si ce n'est qu'il était un fin stratège à la tête de plusieurs dizaines de divisions de soldats et qu'il appréciait jouer au Go. Afin de s'assurer de sa sécurité et empêcher certaines courtisanes de l'approcher, le jeune Prince avait fait appel à Feng Xin, qui tirait les rennes du cheval blanc, et Mu Qing, qui transportait le paquet entre ses mains.

- Feng Xin, dépose la voiture ici, il vaut mieux éviter de se faire trop remarquer, indiqua Xie Lian.

Ce dernier s'exécuta et confia la voiture aux soldats postés à l'entrée. Suite à de nombreuses émeutes et à l'augmentation de contagions de maladies vénériennes, le pouvoir royal avait adopté un décret pour filtrer les allers et venues dans le quartiers des plaisirs.

Si les gardes restaient à l'extérieur c'était parce qu'en son sein les grandes patronnes régissaient leur établissement. Quiconque s'interposait à elle se voyait refuser l'accès à toutes leurs pensionnaires. Depuis que leur activité devenaient florissantes, le luxe s'y était largement développé afin d'attirer les nobles et seigneurs.

Xie Lian, bien qu'habillé le plus sobrement possible sans grandes coiffes ou bijoux fastueux, avait pris soin d'emporter une poche de quelques pièces d'argent. Même en essayant d'être le plus discret possible, les jeunes novices reconnurent la venue d'un aristocrate. Le teint pâle, les vêtements propres et le parfum de santal trahissaient son appartenance à une grande famille. De même ses comparses se démarquaient par leur beauté et leur posture trop droite pour être celle de gens du peuple.

Le trio marchèrent dans les grandes rues sans porter attention aux chuchotements sur leur passage. Des chants s'échappaient des fenêtres où quelques courtisanes jetaient des baisers et clins d'oeil aux passants qui les contemplaient admiratifs. Les huiles aromatiques embaumaient les routes d'un parfum de pivoine. La tête de Xie Lian commençaient légèrement de tourner comme s'il était ivre et s'empressa de couvrir son nez avec sa manche. Ce n'était pas les bonnes manières que lui avait enseignées sa mère la Reine mais il ne pouvait plus supporter autant d'effluves. Sa gorge le démangeait.