Le sommet est une place transatlantique

Chapitre 1 - Veni

Le soleil perçait le ciel, baignant le champ de ruine d'une douce lumière dorée. Cette chaude soirée de printemps semblait suspendue dans l'espace et le temps, et rien ne perturbait le paysage désolé hormis la brise qui balayait les hautes herbes qui poussaient entre les blocs de béton. Les animaux ne s'approchaient pas de cet endroit, seule la végétation sauvage avait conquis le vaste vallon, jonché par les gravats de ce qui était naguère une immense construction. 

Alors que le crépuscule avançait petit à petit, un homme circulait à travers les immenses blocs cyclopéens recouverts de mousse. À moitié enfoncés dans le sol, ils donnaient l'impression d'avoir jailli comme des champignons. Jamais l'homme n'aurait cru assister un jour à un tel spectacle, il avait l'impression d'être dans un autre monde.

L'homme s'arrêta un instant devant un bloc. Bien que la nature avait déjà repris ses droits, ce n'était pas une construction ancienne. Le bloc était typique des bâtisses modernes. C'était visiblement un ancien gradin de stade.

Il continua d'avancer péniblement vers ce qui semblait être l'épicentre d'une explosion qui aurait causé ce ravage.

« Maudite jambe, maugréait-il. J'aurais pu arriver bien plus vite si elle n'était pas aussi tanante. »

Devant lui se dressait ce qui avait pu être autrefois un ring. Il était désormais coupé en deux. Les cordes pendaient mollement, agitées seulement par la légère brise qui soufflait dans le vallon. Le soleil étincelait désormais d'un rouge incandescent, et l'obscurité n'avait cessé de croitre. Au loin, l'homme distinguait quelques lueurs que les fenêtres des habitations aux alentours laissaient échapper.

« Oui, c'est bien ici que ça s'est passé. Je l'ai senti en me rapprochant. Ces maisons étaient suffisamment loin pour échapper au souffle de la brèche. Je ne peux pas en dire autant du stade, je n'aurais pas imaginé voir de tels dégâts. »

Il posa son sac à dos et observa le ciel un instant. La Voie lactée commençait à se dessiner entre les étoiles. La nuit recouvrait le vallon de son manteau violacé, et sa fraicheur avait remplacé la chaleur printanière. Chaleur anormale causée par le dérèglement climatique, qui, rappelons-le, est à la fois conséquence de l'exploitation capitaliste sauvage du monde contemporain et sera également sa destruction.

Mais aux enjeux climato-politique, l'homme n'y pensait guère.

« Les traces subsistent, mais la perturbation a été refermée, pensa-t-il. Qu'est-ce qui a pu déchainer une telle violence dans le continuum ? » 

Le vent, le ciel, tout était autant d'indices qui guidaient son parcours. Dans l'air flottait une senteur, à peine perceptible pour un humain normal, mais pour un maitre magicien elle était aussi fort que l'odeur de brulé persistante après un incendie. 

« ... Mais surtout, qu'est-ce qui a permis de l'arrêter ? » 

Le flux magic l'avait mené jusqu'ici. Même à l'opposé du globe, il avait senti la rupture dans le continuum. Il avait alors ressenti le besoin d'en comprendre la source. Et qui sait ? Peut-être même de s'y confronter.

Osait-il seulement y penser ? Le temps n'était pas encore à la confrontation, mais encore au voyage, et il avait plus que hâte d'enfin arriver à destination. L'homme réajusta son attelle au genou et attrapa son sac à dos.

« En route, se dit-il. Le chemin est encore long et pénible. Le voyage n'a pas été de tout repos, même avec l'aide de la Traversée des îles. » 

Heureusement pour lui, maintenant qu'il avait pu ressentir l'épicentre de la brèche, la voie à suivre lui apparaissait tout à fait claire. Il pouvait suivre les émanations du flux magic-quantique jusqu'à la source. Ainsi il trouverait la puissance responsable de la brèche.

Et il reprit sa route dans la nuit naissante, en direction du sud-ouest. Il ignorait encore qu'il s'apprêtait à se confronter à des forces qui lui étaient encore inconnues jusque là.

Non loin de là, quatre magiciens attendaient de pieds fermes.