Chapitre 1 - Celui qui s'est enfui ✓

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La brise paresseuse vient effleurer les boucles déjà désordonnées du garçon sans qu'il n'y prête attention. Tandis qu'il se faufile entre deux buissons, elle s'infiltre dans son dos par le bout de t-shirt retroussé qui dévoile sa peau brune. Les ombres massives des bâtiments victoriens recouvriront bientôt les grilles de Kelpie Park où les derniers effluves sucrés en provenance d'un salon de thé tout proche sinuent encore dans les allées.

L'adolescent s'accroupit dans sa cachette, les yeux rivés sur une silhouette boiteuse qui houspille les promeneurs qui osent s'attarder. S'il tient à l'œil le vieux gardien, il espère que lui, en revanche, ne l'a pas vu.

Assise dans l'allée adjacente, la vielle dame soupire. La scène est si tristement ordinaire.

Pour tout dire, il ne tient pas tant que ça à se faire enfermer. Mais les parcs à Londres sont verrouillés pour la nuit, et il se dit qu'il sera plus en sécurité seul, ici, que sous un pont, le long de la Tamise. Pas qu'il ait grand-chose à se faire voler, mais autant éviter de se retrouver dans une situation très problématique dès sa première nuit dehors.

Sa première nuit, seulement. Caleb soupire et se laisse tomber en arrière, s'adossant au tronc de l'arbre qui doit le soustraire aux yeux du tout Londres. Il ne doute pas avoir pris la bonne décision, quitter le domicile familial était une question de vie ou de mort, mais n'aurait-il pas dû choisir une autre destination ? Une ville moins massive, moins grouillante, moins inhumaine ?

Bristol était son premier choix. Un bourg plus accueillant, moins imposant. Une ville où il a déjà mis les pieds, quoi que pas très souvent. Mais le train qui s'y arrêtait était déjà passé, et le temps pressait, alors il était monté dans la première voiture qui s'était arrêtée. Resquillant, il avait hésité plusieurs fois à descendre avant d'arriver en ville, mais le risque de se faire repérer dans un village à peine plus étendu que celui dont il était parti lui avait semblé trop grand. Dans la capitale, au moins, personne ne ferait attention à lui, tout le monde le prendrait pour un touriste. Au moins jusqu'à la rentrée de septembre, d'ici un mois, et tant qu'il parviendrait à rester à peu près propre sur lui.

Assis à même le sol, entre les racines de son arbre, Caleb esquisse une grimace, et pas uniquement à cause du nuage de mouchettes qui a élu domicile autour du tronc centenaire. Il a conscience que ce ne sera pas toujours aisé, mais pire que sa toilette, c'est la façon dont il va parvenir à se nourrir qui l'inquiète. Aujourd'hui, il a eu la chance de tomber sur une fin de marché à sa sortie du train, et il a pu récupérer quelques fruits et légumes moches abandonnés à même le trottoir par les maraîchers. Ce coup de bol lui a permis de ne pas avoir à toucher aux cinquante livres sterling qui dorment dans son portefeuille, au fond de son sac à dos, et qui sont le fruit d'une épargne longue de plusieurs années, mais il ignore où il pourra en trouver d'autres dans les jours à venir. Sans compter qu'il craint une protestation de ses intestins s'il se met à ne plus se nourrir que de vieilles pommes ou d'un chou cru et de deux salades flétries de temps à autre.

Il va se résoudre à ne s'occuper de ces problèmes qu'une fois qu'ils se présenteront à lui, quand des crissements sur le gravier se font entendre dans son dos. Il bondit sur ses pieds, le haut du corps déjà propulsé hors des fourrés, mais est arrêté par une voix caressante qui s'élève au-dessus du chant des oiseaux urbains.

— Il va te trouver, tu sais.

Alarmé, Caleb jette un coup d'œil vers la sortie la plus éloignée, celle encore éclairée par le soleil. S'il court jusque-là, peut-être pourra-t-il se cacher ailleurs sans être vu du gardien et alors que la vieille femme penchée sur lui s'imaginera qu'il s'est juste tiré sans demander son reste.

Manoir Wand - tome 1 : Le RefugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant