Chapitre 39 - Celui qui s'est fait tout seul

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Quand Darcy entre dans la cuisine, iel a les mâchoires si serrées que ses joues lui font mal. C'est visible aux tics légers qui les agitent et à son regard prêt à tuer. Ses cheveux sont sensiblement plus longs que la dernière fois qu'ils se sont vus et la robe fushia qui danse autour de ses mollets parfaitement glabres ne lui va pas si mal. Non, pire que ça, elle lui va trop bien.

Une fraction de seconde, Ilias pense quand même se moquer d'ellui juste pour le principe, parce que c'est comme ça que fonctionne leur amitié depuis des années, mais un simple coup d'œil sur le visage chiffonné de saon pote suffit à calmer ses élans.

— Ça fait longtemps, se contente-t-il alors de lea saluer avec un sourire crispé.

Mauvais pioche. Il aurait peut-être dû lea vanner, tout compte fait. Dans la lumière crue de la petite pièce, le visage de Darcy s'enflamme. Au figuré seulement, parce qu'iel n'est pas Ilias, non plus.

— Ça fait longtemps ? Tu te fou de ma gueule ? Tu donnes pas de nouvelles pendant quasi deux mois, tu réponds pas à mes textos, et c'est tout ce que tu trouves à me dire ? Ça fait longtemps ?!

L'intrus blond grimace, de cette insupportable façon qui donne l'impression à tous qu'il se paie leur tronche, et ça ne manque pas : Darcy s'emballe plus encore. Iel fait un pas dans sa direction, les poings fermés, la mâchoire tressautant sous le coup de la colère.

— T'énerves pas, bégaie Ilias, qui recule tout de même d'un pas. Non, vraiment, si quelqu'un doit s'énerver, ici, c'est moi ! T'as aucune idée de ce que j'ai vécu tout ce temps.

Parce que c'est vrai, merde. Si quelqu'un ici a le droit de s'emporter, c'est bien lui. Lui qui, précisément, à dû se se débrouiller seul pendant deux mois, lui qui n'a reçu aucune aide, lui qui a dû prendre sur lui pour oser débarquer ici comme une fleur le soir de Noël.

Comme trop souvent quand ses émotions prennent le dessus, Ilias sent qu'il perd le contrôle. Oscillant entre l'envie d'éclater en sanglots et celle d'écraser son poing sur le nez de Darcy, il est fébrile, sur le fil. Dans ses veines, il sent circuler cette chaleur qui est devenue si ordinaire, si familière. Darcy doit aussi voir quelque chose changer dans son regard car iel s'arrête et recule de deux pas, les poings en berne, la bouche à deux doigts de s'entrouvrir.

— Ilias...

Sa voix est bien plus faible qu'un instant plus tôt, à peine un chuchotement. Ah ça, il y a moins de monde quand le danger devient réel.

— Ilias !

Mais ça ne pouvait pas durer, bien sûr. Car jamais Darcy ne s'autorisera à être pleutre, même face à une menace imminente. La faute à son éducation. Ou a son caractère de merde. Ilias a envie de ricaner, d'éclater de rire, même. Mais il y a plus important dans l'immédiat.

— Je gère.

Une inspiration profonde, ses yeux qui se ferment. Il retient l'air aussi longtemps que possible dans ses poumons, se force à faire le vide dans son esprit. Puis il les expulse lentement, très lentement. L'air, bien sûr, mais aussi les sentiments négatifs qui l'assaillent.

Sous le regard suspicieux de Darcy, il recommence trois fois la manœuvre. Puis, une fois que son sang a repris sa température normale, il rouvre les yeux, l'air plus apaisé.

— J'ai été obligé de me mettre au yoga, explique-t-il quand le silence entre eux devient désagréable. J'ai dû apprendre seul, et j'en ai chié. T'imagines pas à quel point...

— Je t'ai dit de venir t'entraîner avec no...

— Non.

Darcy fronce les sourcils et Ilias sent une nouvelle vague de magie hostile se répandre dans la petite cuisine. Sa magie à lui, que même Darcy perçoit. C'est déjà ça qui l'a fait reculer la première fois, mais celle-ci, iel tient bon.

Manoir Wand - tome 1 : Le RefugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant