Chapitre 1

85 13 66
                                    

Un mois plus tôt :

«À chaque instant, je te vois

Et bientôt, tu seras à moi.»

Immobile devant mon casier au lycée, je tiens entre les mains une simple feuille de papier sur laquelle sont couchés ces quelques mots. Interloquée, je regarde autour de moi et ne remarque que l'agitation intercours habituelle. Personne ne semble prêter attention à moi. Le temps se ralentit soudainement et je reste figée sur place pendant que les autres bougent et circulent tellement vite qu'ils en deviennent flous. Le brouhaha environnant s'assourdit : j'ai l'impression d'avoir fourré la tête dans une caisse de résonnance.

Quelqu'un me bouscule et je reprends pied dans la réalité. Après avoir froissé le papier, je le glisse dans ma poche. Qui que ce soit, il n'arrivera pas à m'effrayer. Il ne s'agit que d'une farce. Une blague de très mauvais goût. Je vais l'ignorer.

Malgré ma résolution, je subis la matinée en mode automatique. C'est machinalement que j'atteins la cafétéria. J'ai toujours cette sensation que tout va très vite autour de moi et que je fonctionne au ralenti. Avant de rejoindre mes amis à notre table habituelle près des fenêtres, je me sers rapidement une salade composée et un flan. Paul est en train de piquer une frite à Stella, qui est plongée dans ses pensées. Victor et Anna discutent tout bas entre eux. Zach mange un fruit tout en lisant sur son téléphone. Je m'installe à sa droite, à la dernière place disponible.

— Encore de la laitue ! fait remarquer Stella. Tu veux perdre un os à présent ?

— Fous-lui la paix, rétorque Anna.

Ces deux-là ne s'entendent pas trop. Il faut préciser que Stella est secrètement amoureuse de Victor depuis le collège. Il y a quelques mois, il est arrivé à la cantine en nous présentant Anna, sa nouvelle copine. Depuis, elles se mènent la vie dure. Elles sont aux antipodes toutes les deux. Stella arbore un look punk, avec crinière rousse rasée d'un côté, longue et bouclée de l'autre. Par ailleurs, le dédain est un art de vivre qu'elle se plait à porter sur son visage. Un regard de sa part suffit à vous frigorifier jusqu'à la moelle. Anna, quant à elle, est blonde, les cheveux fins sagement coiffés dans son dos. Elle incarne la douceur et la perfection, tout en étant impétueuse et espiègle. Elles se rejoignent en deux choses : leur intérêt pour Victor et la certitude qu'il ne faut marcher sur les pieds d'aucune d'entre elles.

En ce qui concerne la remarque de Stella, je précise que oui, j'ai beaucoup maigri cet été, mais que non, je ne veux pas perdre un os. J'aime juste mélanger plein de trucs dans ma salade et je gagne du temps au self en prenant un plat froid. C'est facile, rapide et sain, le bon plan parfait pour moi. Par conséquent, je décide de ne pas répondre à Stella et de me tourner vers Zach, mon meilleur ami, un doux rêveur fan de rock et de high tech :

— Alors, où en sont nos deux héros ? Est-ce qu'ils se sont enfin avoués leurs sentiments ?

— Pas encore, Megan, ils se cherchent et se cherchent perpétuellement. C'est rageant. Je voudrais sauter dans l'histoire pour les baffer.

— Vive les romances amateures sur internet, ricane Victor.

— Dit celui qui lit des fanfictions sur Hermione et Drago, se moque Paul.

Tout le monde éclate de rire. Nous nous connaissons trop pour nous cacher le moindre secret. Nous savons les défauts et les petits travers, mais aussi toutes les blessures de chacun. Nous sommes soudés comme les cinq, depuis peu six, doigts de la main.

Malgré tout, j'hésite à leur parler de la lettre et j'ignore pourquoi cette appréhension a pris source en moi. Je crois que c'est parce que je peux déjà prévoir leurs réactions : Zach témoignera d'une vive inquiétude, Victor et Paul seront pragmatiques et Stella trouvera un moyen de me faire flipper encore plus. Il n'y a guère qu'Anna qui pourrait comprendre mon ambivalence face à cette histoire, car elle a été harcelée au collège et cette période lui a laissé des séquelles encore présentes aujourd'hui.

Stalk&Love - EditéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant