Se dévoiler

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[TW drogue, transphobie]

***

Sam

On est le 14 mai, et pour une fois, ça tombe un samedi. Aujourd'hui, j'ai dix huit ans. Sur les quais, avec de la bière et les amis, tout va bien. On m'a porté en riant jusqu'au gros brownie que Zahid a tenu à cuisiner et j'ai soufflé la flamme d'un briquet allumé. Ensuite, on s'est partagé les parts à la main parce qu'on a oublié de prendre un couteau et on a mangé. Zahid a ajouté une pointe de sel à son brownie ; le goût sucré du chocolat emplit ma bouche d'une douceur légèrement âcre. Iel sait que c'est mon gâteau préféré. Noor en avait sur le coin des lèvres et je les lui ai retirés en souriant. Théodore est là aussi, toujours à lui tourner autour. Je n'apprécie toujours pas sa présence mais je sais que ça fait plaisir à Noor qu'il soit là, alors je l'ai invité. J'aurais Noor pour moi seul une autre fois.

A cette heure-ci, la lune et le soleil se partagent encore le ciel, bien que ce dernier soit en train de disparaître au fur et à mesure que filent les minutes en laissant une traînée rougeâtre sur son passage. Dans les ombres croissantes du crépuscule, les petits points rouges des cigarettes qui s'allument ont des allures de feu-follet. A moins que ce ne soit la weed, mon premier joint depuis plus d'une semaine, alors il tape, ce salaud. Je me sens bien.

Le fond de l'air est chaud, même pour une fin de printemps. La température a fait se former une fine pellicule de sel sur mes bras et ma gorge, de minces gouttes de sueur qui me font frissonner quand un coup de vent frais me tombe dessus. Appuyé sur Mia, qui caresse doucement mes cheveux, je me laisse porter. La bière tourne. Le joint aussi. L'eau prend des teintes vermillons à côté de nous et Anis nous fait son show en jonglant sur les quais. J'ai reçu un nouveau binder, cadeau commun de la bande, et un casque bluetooth à réduction de bruit active par Théodore. J'oublie parfois à quel point sa famille est riche. Noor a ajouté à son cadeau un comic et une pochette à tabac aux couleurs trans cousue par ses soins. Anis, lui, m'a fait un bracelet brésilien de ses mains et même Marc n'est pas venu sans rien, m'offrant un porte-clé taureau trouvé dans un tabac et un nouveau clipper orné d'un scarabée.

Le groupe forme un cercle et des petits jeux s'enchaînent. Je n'ai jamais. Action vérité. Après avoir découvert qu'Anis portait des caleçons longs à cœur lors d'une chorégraphie improvisée et avoir appris que Mia avait déjà fait le mur pour rencontrer sa copine de l'époque, l'ambiance se calme un peu. Nora n'a pris aucune vérité, évidemment. Elle a d'ailleurs préféré imiter la grenouille pendant cinq minutes plutôt que de risquer de laisser échapper trop d'informations sur elle. Pour quelqu'un avec sa fierté, cela n'était pas rien. Zahid, lui, riait encore de son échange de vêtements avec Lola, se dandinant dans sa robe à fleur trop petite. Lola flotte désormais dans un top iridescent translucide et un pantalon déchiré. Il n'y a personne, dans ce coin des quais, alors on est tranquille. C'est bien, de n'être pas trop, pour une fois. C'est bien d'être soi.

Et puis, il y a des petits coins cachés. Dans la petite forêt qui jouxte la rivière, les buissons et les vieux troncs ne manquent pas. Dans l'obscurité naissante, la tendresse se fait plus tentante et les corps se rapprochent. Zahid s'est allongé sur les genoux de Mia et sa main a délaissé mes cheveux pour s'attarder sur les mèches rebelles de san amoureuxe. Anis fait un massage à Lola, tenter de détendre des épaules qu'il découvre avec surprise nouées de stress. Elle a pourtant l'air si heureuse, Lola. Je frissonne soudain en réalisant que la main de Théodore est posée sur celle de Noor. Je me détache de Mia, plus tendu, et avale une longue gorgée de bière tiède, essayant de me distraire. Tout va bien. Après tout, moi aussi, je lui ai déjà tenu la main, à Noor. Et c'est moi qui l'ai éconduit, quelques mois auparavant. "Je tiens à toi", qu'elle a dit, ses yeux noirs fixant le mur et ses joues rougissant légèrement sous l'afflux soudain de sang dans son visage. J'ai serré sa main dans la mienne et me suis rapproché, posant mon front sur le sien pour lui murmurer en retour "Moi aussi, je tiens à toi".

Trans'lucidesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant