[TW négligence médicale]
Nora
Dans la salle d'attente du rhumatologue, mon portable en main. Ma mère n'a pas voulu que je l'accompagne, par fierté certainement, comme souvent. Pourtant, elle en aurait besoin. Elle a intégré le discours des médecins, au fond ; "c'est dans la tête", "vous en faites trop pour ce que c'est", "ce n'est pas possible d'avoir mal partout Madame" ; sa voix s'est éteinte et ses mains en tremblent, quand elle est face à un docteur c'est comme si son coeur, si brave et ferme habituellement, se rétracte dans une petite carapace froissée, fragile. C'est tout juste si elle arrive encore à dire qu'elle a mal. Alors qu'elle souffre ma mère. Je le sais. Je le vois. Elle marche à peine et se courbe de plus en plus, de jour en jour. Elle se force à faire les repas et le ménage, tous les jours, et parfois elle en tombe. J'ai peur pour elle. J'ai mal pour elle. Alors, dans la salle d'attente, j'écris pour elle, cherchant les mots justes.
She's waiting again
She's in pain again
What are you going to tell ?
What is it that you sell ?
J'hésite. Écrire ce qu'on ne vit pas est toujours une expérience étrange. Pourtant les mots me viennent en torrent, fluides, incontrôlables.
She's stuck in here
In this dark hole
Because in here
She can't be whole
Une rage particulière me prend alors que je tape sur l'application "notes'' de mon portable. Je pense à ma mère. Je pense à nous. Elle, trop handicapée pour travailler, pas assez pour recevoir des aides sociales. Coincée dans un espace vide de la société, un trou noir dans lequel elle surnage, elle survit, sans place pour exister socialement. Comme si elle n'en avait pas le droit. Comme si sa situation était particulière, alors que n'importe qui pourrait être à sa place.
Can't she exist ?
Can't she get help ?
You're supposed to help her
Yet you've abandoned her
Je déteste les médecins. Si elle n'a plus la force d'être en colère, je le suis pour elle. Tous ceux qui diminuent sa douleur, tous ceux qui l'envoient chez des dizaines de spécialistes différents sans lui offrir de solutions, tous ceux qui la découragent de faire un dossier à la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées sous prétexte que ses tests reviennent bons la plupart du temps. Comme si elle mentait quand elle se déplace en béquilles. Comme si ses chutes et ses douleurs paralysantes ne n'étaient que des produits de son imagination. C'est récent, les béquilles Son état se dégrade rapidement et sans la moindre solution, alors qu'il y a quelques mois même la canne était optionnelle.
I know she's not lying
You're the one who do
When you say you want to help her
While you're just giving up on her
Et je la vois, chaque jour, avec la rage au ventre, sa persévérance et sa honte. Son incapacité à demander de l'aide. Et je la vois chaque jour se battre là où elle devrait se reposer, comme si la seule façon d'exister était d'être utile, productive. Et j'aimerais tant casser ces barrières afin qu'elle se pose, qu'elle se laisse le temps de vivre, qu'elle puisse simplement exister avec moins de douleurs ; mais elle est têtue, et les médecins n'aident pas.
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Trans'lucides
General FictionDe queer et de cuir. Un groupe de punk soudé dans un monde trop rugueux.