3. Un arrivé surprise en classe.

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Je commence à prendre le rythme. Le réveil, tous les matins à 7 heures, c'est rude, mais je m'y fais.

Le métro, je m'y fais moins. Je crois que c'est l'odeur, le plus compliqué. Quand on vient d'une petite ville, comme moi, c'est difficile de s'adapter à la rapidité ambiante, aux absences de salutation dans les bus, à l'air comprimé, pollué, et quand on vient du Sud, c'est plus compliqué encore de s'acclimater à la pluie.

On est en septembre, et il a déjà plu quatre jours. Qu'est-ce que c'est que cet endroit ?

Mes étendues de ciel bleus et mes soirées chaudes me manquent déjà terriblement. C'est la tête perdue dans mes terres d'enfance que j'entre ce matin au lycée.

La sonnerie retentit au moment où je traverse le couloir froid du bâtiment B, là où m'attendent mes terminales. Sages et propres sur eux, c'est comme ça qu'on pourrait les décrire pour l'instant.

La leçon du jour, qui porte sur la méthodologie du commentaire, est assidument notée. Il y a déjà des têtes que je repère à force de faire l'appel. Joseph, c'est le petit blondinet au premier rang qui lève la main à chacune de mes questions ; souriant, et sans doute un peu lèche-botte, il semble déterminé à décrocher sa mention.

Laura, elle aussi je l'ai repérée, une petite métisse à l'air timide, qui ose à peine me regarder dans les yeux, mais qui écrit très soigneusement chacune de mes paroles. Elle me fait un peu penser à moi, il n'y a pas si longtemps que ça.

J'ai aussi remarqué le trio de rigolos, dans le fond. Trois garçons, hauts de taille, qui ont tendance à bavarder et tentent de faire des blagues lorsqu'ils interviennent. Je surveille d'un œil le moment où je devrais les recadrer. Je me sens trop jeune pour le rôle de la prof qui réprimande.

La deuxième heure commence et je leur accorde une pause. Je me rappelle de ces interminables cours qui ne nous laissaient pas souffler, il est hors de question que je leur impose la même chose.

- On peut sortir fumer une clope, du coup ? Me lance un des trois rigolos, d'un oeil insolent.

- Absolument pas, je réponds. Mais vous pouvez souffler dans le couloir.

- "Souffler dans le couloir" , reprend le deuxième. C'est pas ça qu'ils disent aux bœufs avant de les abattre ?

Plusieurs élèves rient, tandis que je me contente de lever les yeux aux ciels d'un air entendu. Je commence à classer les fiches pour la deuxième heure, quand on frappe trois coups à la porte de la classe.

Il n'y a pas de vitre dans cette salle ; et comme je n'ai aucun absent aujourd'hui, j'ignore complètement qui vient nous interrompre.

Un surveillant entre ; je le connais. Laurent, il m'a offert un café au distributeur le deuxième jour. C'est un ancien ici ; quatre ans qu'il tient le même poste au lycée. Brun, un peu enrobé, une barbe longue mal taillée, il ressemble à un grand adolescent dans un corps trop âgé.

- Clara ? Désolé de te déranger, mais tu pourrais garder un élève ?

C'est étrange, parce qu'avant même que l'élève en question ne s'avance et entre dans ma classe, je sais que ce sera lui. Et dès que Laurent s'écarte, je constate que j'avais raison.

Adam Dragannah porte son sac sur une seule de ses deux épaules ; ses cheveux bruns plus en bataille encore que d'ordinaire, il a, sous ses yeux marrons-verts, de larges cernes, et s'autorise d'ailleurs à bailler allègrement en venant à ma rencontre.

- Bien le bonjour, me lance-t-il d'une voix fatiguée. C'est ici le petit dej ?

- Adam ! S'exclame Laurent en essayant d'être sévère sans y parvenir. Deuxième semaine et déjà un renvoi de cours, essaye de te faire discret, tu veux.

Adam porte deux doigts à sa tempe pour signifier qu'il reçoit le message, et se tourne de nouveau vers moi. Il regarde franchement dans les yeux, c'est déroutant ; élève ou non, c'est simplement rare quelqu'un qui vous fixe aussi directement. La scène du bar me revient en tête et je la chasse d'un raclement de gorge.

- Où est-ce que ma discrétion et moi-même devons nous assoir, Madame Dolnoy ?

- Au dernier rang, je réponds.

Il regarde dans le fond de la classe, et je vois que, malheureusement, il connait le trio de rigolo. Adam leur fait un signe de tête, puis se penche vers moi, comme s'il souhaitait m'avouer un secret :

- Vous êtes sûre de votre coup...?

Il a une voix d'adulte, grave, mesurée et terriblement mélodieuse. Je souris, malgré moi :

- Vous arriverez à vous tenir pendant une heure, non ?

- Moi, oui. Mais eux risquent de vous faire porter la voix, si je les rejoins.

- Je m'en sortirai, Adam.

Il incline la tête vers le bas ; ce genre de salut d'antan semble être une marque de fabrique, chez lui. Il s'en va alors au fond de la salle, et le surveillant nous laisse.

La deuxième sonnerie retentit, la pause est terminée, et je suis prise alors d'un instant de panique. Je n'ai aucune idée de pourquoi, mais l'idée de faire cours devant lui me noue l'estomac.

"Vous arriverez à vous tenir pendant une heure". C'est à moi qu'il aurait fallut demander ça.

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Surtout pas lui [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant