Chapitre 1

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Il se tenait debout, droit, malgré les chaînes lourdes entravant ses chevilles fines et ses maigres poignets. Il était le quatrième à passer ce matin. Sans pouvoir s'en empêcher, son regard effrayé sondait le visage des autres détenus. Il sentait leur odeur rance, et savait qu'il avait la même après ces quatre mois passés dans un trou à rats en attente de son jugement. Il avait le cœur battant, la bouche sèche et les mains tremblantes. Il avait enfreint la loi, sciemment. Et si c'était à refaire, il le referrait sans regret. Mais, cela n'empêchait pas de trembler devant le juste courroux de la justice. Il vit le premier s'avancer, et entendit la voix grave et profonde de sa Majesté. Un frisson le parcourut. On le fit avancer sans ménagement, et les fers trouvèrent une nouvelle fois les chemins des entailles rougeâtres et béantes sur sa peau nue.  Il réalisait qu'il allait apparaître ainsi, en haillons, sale et puant, devant la cour, devant le roi...

Le premier revint, il pleurait alors qu'on le tirait avec violence. Il criait à l'injustice de sa Majesté. Il était innocent ! Les cris cessèrent lorsqu'une lourde porte de fonte claqua en un bruit sourd, résonnant quelques secondes. Le jeune homme trembla davantage encore.... Plus que trois.

On le tira sans ménagement et il fut ébloui par la brusque luminosité de la salle. Ses paupières se plissèrent et un grognement lui échappa, alors que ses pieds peinaient à conserver un appui sur le tapis de velours rêche qu'il sentait sous ses plantes de pieds gelées. Enfin, il rouvrit les yeux, pour rencontrer la figure impérieuse de sa Majesté, royalement assise sur un trône somptueux, dans des habits colorés et d'autant plus magistraux qu'ils semblaient scintiller sous la chaude lueur des multiples torches. Un sourcil majestueux se haussa et conscient de sa faute, le jeune homme crasseux salua son roi. Il plia l'échine sans un mot, attendant patiemment, le cœur battant. Ses cheveux sombres lui tombèrent devant le visage, lui caressant les joues alors que son souffle erratique les soulevait par intermittence.

- Jolivel Anton, gronda cette voix grave et autoritaire, suscitant un énième frisson d'effroi chez le jeune homme.

Il ferma les yeux alors que surgissait derrière ses paupières clauses une autre silhouette, massive et large, menaçante, grondant son nom, avant de le saisir violemment par le bras. Il sentait presque les boutons de sa chemise se défaire une nouvelle fois sous ses doigts tremblants, alors que la large silhouette grondait devant lui. Il serra les poings et rouvrit les yeux, la mâchoire contractée et le souffle court. Il devait rester concentré.

- Vous comparaissez pour entrave à l'action militaire dans le cadre des interventions dans les zones contaminées par panzootia, la maladie contagieuse qui sévit depuis quelques temps dans notre Empire. Vous avez, par votre intervention, empêché à de très nombreuses reprises la bonne action de nos unités spécialisées dans la lutte contre cette pandémie, vous exposant et exposant vos concitoyens encore davantage.

Le frêle brun courba davantage l'échine sans même le réaliser. Il sentait l'angoisse le prendre aux tripes. Qu'allait-il prononcer comme sanctions à son égard ?

- En outre, vous avez transmis des informations sensibles concernant ses actions à des civils, portant ainsi atteinte aux secrets entourant notre centre de traitement et fragilisant une nouvelle fois les moyens mis en place par notre Pays pour faire face à cette épidémie d'ampleur. Le reconnaissez-vous ?

Pour la première fois, le jeune homme se redressa, approuvé d'un simple signe de tête par sa majesté. Il offrit enfin son visage émacié et ses yeux sombres à la vue de tous.

- Oui, Votre Majesté, déclara-t-il d'une voix plus tremblante qu'il ne l'aurait voulu.

Le roi hocha doucement la tête.

- C'est pourquoi vous comparaissez devant votre roi pour entrave à l'action militaire, trahison, et meurtre par propagation volontaire de la maladie.

Anton sentit son ventre se nouer davantage encore alors que le roi semblait apprécier la situation, les yeux dans le vague, puis revenant vers le jeune homme, il le somma de s'expliquer. L'unité d'élite, œuvrant dans les zones contaminées pour assurer le déploiement des moyens adéquats, ne l'avait-elle pas mis en garde de l'illégalité de son action, et n'avait-il pas persévéré ?

Anton prit une profonde inspiration. Il était pour lui temps de légitimer son geste.

- Je vous prie de croire que je ne souhaitais pas entraver l'action de l'armée de sa majesté, ni même mettre en danger qui que ce soit. Je souhaitais simplement venir en aide, moi aussi. Je voulais simplement conduire ces malheureux malades vers le centre de traitement du pays et pouvoir affirmer aux proches inquiets que la personne en question était bien arrivée.

Un brouhaha se fit et le roi somma brutalement tout le monde de se taire.

- Vous êtes donc bel et bien celui qu'on a surnommé « Le Coursier », constata-t-il d'une voix posée.

Le grand brun hocha simplement la tête.

- Votre Majesté, les familles sont inquiètes pour leurs proches, elles ne souhaitent qu'une chose, savoir qu'ils sont soignés. Ces informations sont très longues à obtenir. Mon seul objectif est de donner ces informations à des familles, des proches, pour leur éviter les longs et inévitables mois d'inquiétude ... J'essaie simplement de leur épargner la douleur de l'ignorance...

Le roi leva simplement une main, lui dictant que cela suffisait, il en avait assez entendu. Il lui fit remarquer qu'il savait très bien comment tout cela fonctionnait. Il recevait un nom, s'introduisait dans des zones confinées, alors que cela était strictement interdit, et s'occupait personnellement de faire arriver la personne à bon port, c'est-à-dire, dans la tente de traitement des malades, avant de s'éclipser. Il tentait alors de suivre le convoi jusqu'au centre de traitement. Une fois la course effectuée, le commanditaire recevait une rose quand l'opération était un succès, et une pierre en cas d'échec.

Le roi passa une main sur sa barbe, soupirant mollement. L'emplacement de ce centre de traitement devait absolument rester secret et malgré toutes les précautions prises par ses subalternes, il était intimement convaincu qu'il avait suivi et trouvé... Il savait potentiellement où se trouvait le point le plus sensible de toute sa politique...

Il avait pourtant expliqué au peuple qu'il était impossible de prendre contact avec les miraculés de panzootia dans le centre de traitement pour éviter un effet cercle vicieux et soigner sans cesse les mêmes personnes... Dans le centre de traitement, ils étaient en sécurité, soignés et ils ne couraient aucuns risques d'attraper une nouvelle fois la maladie. Garder ce lieu secret était la condition sine qua non de tout cela, il était persuadé que si le peuple savait, il y en aurait toujours un pour venir fouiner, et provoquer une nouvelle contamination parmi ceux qu'ils avaient déjà guéri... Il fallait attendre la production d'un traitement définitif, et donc se montrer patient. Mais malgré cela, les échauffourées s'étaient multipliées ces derniers temps, le traitement était de plus en plus refusé, ils étaient au bord de la guerre civile et il avait fallu que ce gamin fouine, en plus, exacerbant encore davantage les tensions dans le pays. Il ferma les yeux.

Il était temps de prononcer son jugement.

Le dos d'Anton se tendit brutalement et il contracta la mâchoire.

- Jeune homme, je vous déclare coupable mais je vais vous offrir un choix que peu de personnes peuvent se gargariser d'avoir eu : la servitude à vie...

Le yeux sombres s'écarquillèrent d'effroi, alors qu'un hoquet de surprise et de peur lui échappait. Il n'avait que dix-sept ans et être réduit en servitude signifiait qu'il allait perdre tout libre-arbitre pour servir selon les ordres de sa Majesté dans n'importe quel domaine, souvent les plus pénibles... Il déglutit difficilement, le cœur battant.

- Ou un enrôlement dans l'unité d'élite.

Le jeune homme resta sans voix. Avait-il bien entendu ? Il resta bras ballants, silencieux et choqué, n'osant même pas croire à sa chance, alors qu'une lueur d'espoir s'ouvrait enfin pour lui... 

PanzootiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant