Chapitre 1. Le garçon sur la plage.

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Fortuna Beach, Californie du Nord.

Fortuna Beach, la ville où j'avais trouvé de quoi débuter une nouvelle vie. Après être né à New York d'une mère russe en proie à la peur en permanence, après avoir vécu avec difficulté à Los Angeles, où elle m'avait expédié, j'étais arrivé là.

Fortuna, en latin, définit une condition favorable ou le contraire, la malchance. Fortuna, c'est le sort que le Destin, d'où qu'il vienne, nous réserve. Pile ou face. La vie, la maladie, la mort. La pauvreté, la richesse ou le juste milieu, réussir ou échouer.

Pour l'instant, le sort était favorable pour mon meilleur ami et pour moi. Les années de galère me semblaient loin, quelque part dans une brume presque irréelle. Comme si c'était arrivé à quelqu'un d'autre. Comme si c'était arrivé cinquante ans plus tôt, alors que j'aurais seulement vingt ans en août.

Je garai ma Toyota blanche. Je venais sur cette plage découverte par hasard quand j'éprouvais le besoin de faire le point. Sur ce que j'avais. Sur ce qu'il me fallait. Sur ce que je devais faire pour améliorer telle ou telle situation.

J'ignorais le nom de ce spot et c'était parfait ainsi. Je n'avais vu aucun panneau, et je ne le cherchais pas. Mon mystérieux refuge n'en devenait que plus efficace, afin que je trie tout ce qu'il y avait dans ma tête, dans cet endroit dont je n'avais parlé à personne, même pas à mon meilleur ami, Haiden.

Le brouillard, puis le ciel nuageux mais lumineux de ce début juillet avait laissé la place, en ce dimanche après-midi, au soleil, uniquement entouré de bleu à l'infini.

Je m'extirpai de ma voiture, et je sortis de ma sacoche ma paire de lunettes rétro. Comme la quasi-totalité de mes vêtements et de mes accessoires, elle provenait d'un magasin dédié à la seconde main. Il n'y avait guère que les sous-vêtements que j'achetais neufs. Cette habitude ne venait pas de mon passé. Ou, pour être plus précis, elle n'était pas liée au manque d'argent de ma vie d'avant. Du plus loin que je me souvienne, j'avais toujours aimé les choses anciennes, les objets et les habits avec une histoire.

Ce jour-là, je portais un bermuda noir à plis, ainsi qu'une chemisette crème avec un large col rond mis en valeur par un ruban noir en mousseline noué négligemment. Ce genre d'accessoire coûtait peu cher et pouvait devenir le petit plus qui modifiait l'allure générale. J'avais aux pieds des tennis en toile blanche, qui contrastaient avec mes chaussettes noires basses.

Je fermai la portière à clé, et je suivis le chemin plat puis légèrement descendant, entre les herbes sèches et sauvages, qui menait au sable blond. Arrivé sur la plage, je commençai à me perdre dans la contemplation du Pacifique, et dans l'écoute hypnotisante de ses vagues.

Je m'apprêtai à m'asseoir sur un rocher bas et lisse, mon rocher habituel, quand je réalisai avec horreur que je n'étais pas seul. Il y avait deux hommes à ma gauche et à quelques mètres de moi. Je me redressai aussitôt.

Le premier homme, le plus âgé, devait avoir dans la trentaine. Ses traits étaient réguliers et ses cheveux bruns, soigneusement coiffés en arrière. Il portait un costume bleu foncé et une chemise blanche, mais pas de cravate. Il me paraissait prêter une attention accrue au deuxième homme, blond et plus jeune, à qui je donnai à peu près le même âge que moi.

Il avait des yeux clairs comme les eaux transparentes des lagons ou des lacs de montagne, un visage aux traits fins et aristocratiques sous les mèches épaisses et claires. Son visage aurait pu facilement devenir hautain, tant il portait ses origines aisées comme on porte un manteau quand on a froid. Il était bronzé, sûrement parce qu'il pouvait profiter de sa piscine luxueuse. J'étais bien plus pâle que lui en comparaison. Son polo bleu pastel arborait une marque discrète. Il était difficile de juger de l'élégance de son pantalon fluide car ses jambes se trouvaient serrées dans des attelles des chevilles jusqu'aux cuisses, ce qui plissait le vêtement. Il s'appuyait sur des béquilles en essayant de se tenir droit. Je réalisai alors qu'il avait un autre problème que des fractures.

Laisse le soleil réchauffer ton âme, roman édité, cinq chapitres disponiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant