Chapitre 4. Une discussion nécessaire.

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Je n'avais pas vu North depuis trois jours. Toute l'équipe du "Chat qui pâtisse" avait été réquisitionnée pour créer et présenter les desserts d'un mariage qui avait été célébré dans une grande villa, aussi résolument moderne que Rosefield Manor était victorien.

Ce quatrième jour, le temps était gris. La brume, telle une multitude d'écharpes et de foulards, enveloppait les arbres et les bâtiments bas, afin de les rendre différents ou invisibles. Lorsque le brouillard se leva et que les alentours du "Chat qui pâtisse" redevinrent clairs, une petite pluie se mit à tomber.

Il était temps d'aller retrouver North et peu m'importait que nous discutions à l'intérieur à cause du temps maussade, au lieu de nous installer près de la piscine. Mrs Taylor me salua avec sa gentillesse et son élégance habituelles. Elle prit mon sac frigorifique qui contenait des gâteaux confectionnés à partir de couches de crêpes, de fruits et de crème légère et parfumée au thym, nommés "français", bien sûr, car nous, américains, semblions fascinés par les crêpes, d'après mes patrons.

Mrs Taylor me mena dans le salon de la première fois. North était installé dans son fauteuil, à demi allongé, avec un bermuda en lin blanc et ses attelles aux jambes, qui n'en étaient que plus visibles sur sa peau bronzée. Sa tenue était complétée par une chemise gris perle, là où la mienne était vieux rose, avec une cravate vert pâle négligemment nouée, comme d'habitude.

Je considérai, le cœur serré, le bleu terne de ses prunelles enfermées dans des cernes. Ses beaux traits, sous ses cheveux blonds impeccablement disciplinés, étaient mélancoliques. Le fait qu'il n'ait pas pu ou pas voulu nager dans la brume puis sous la pluie expliquait peut-être son air malheureux, qui griffa violemment les sentiments que j'éprouvais.

— Bonjour, North. Comment vous vous sentez ?

— Je crois que mon humeur se voit sur mon visage, répondit-il avec douceur, sur un ton poli, mais sans me regarder. Ce matin, j'avais si mal que je me serais mordu jusqu'au sang, si je n'avais pas mis mes orthèses pour réduire les spasmes et soulager les contractures.

— Je suis désolé d'apprendre cela, dis-je avec sincérité.

— Je me sens d'autant plus mal que je me trouve injuste de vous infliger mes plaintes.

— Je pense que les amis sont là pour s'amuser avec vous, mais aussi pour vous soutenir en cas de problème.

North rougit, et il fixa sur moi des yeux un peu plus étincelants.

— Il n'y a pas que la douleur, avoua-t-il.

— Est-ce le temps qu'il fait ? Il y a beaucoup de gens qui se sentent tristes et qui ont juste envie de ne rien faire, quand il pleut.

— Vous n'en faites pas partie, Aliocha ? devina-t-il.

— Je voue un culte aux romans anglais du XIX e siècle, ainsi qu'aux romans et mangas modernes qui évoquent cette époque. Sans oublier Sherlock Holmes. Quand je marche sous la brume ou la pluie de la Californie du Nord, j'ai l'impression d'être à Londres avec mes héros préférés, révélai-je.

— Intéressant, dit North, et ses traits se décrispèrent. Je pourrais associer ce qui me rend malheureux à des héros ou des situations de romans que j'ai aimé. Je vis avec mes livres, mais je ne vis pas mes livres. Je devrais essayer.

Il me lança un faible sourire.

— Qu'est-ce que nous pourrions arranger aujourd'hui ? lui demandai-je en me penchant vers lui.

Comme je me l'étais promis, je voulais l'aider, l'amener à se confier afin qu'il voie sa situation autrement, et qu'au final, il la modifie pour aller mieux.

Laisse le soleil réchauffer ton âme, roman édité, cinq chapitres disponiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant