XXII

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« Nous ne sommes jamais aussi mal protégés contre la souffrance que lorsque nous aimons. »

Sigmund Freud


Ma chère Isabelle, mon aimée,

Que puis-je faire pour vous plaire ? Je vous en conjure, faites-le-moi savoir si vous le pouvez : je sens le reproche sévère de votre départ silencieux. Que d'énigmes pose une perte aussi grande que la vôtre pour l'homme qui vous aime, vous désire, vous adore ! Hélas, ma recherche est vaine en retour, mes tourments sont inutiles, certes, car la mort, tant du corps que de l'âme, n'a pas de limites ! Tout est demi-mot, imposture, ombre, lapsus, illusion. La résurrection procure, seule, quelque indication.

Rappelez-vous qu'un soir, nous vécûmes ensemble l'heure unique où Dieu accorde, un instant, à la tête qui penche, à l'épaule qui tremble, l'esprit pur de la vie en fuite avec le temps. Dans votre crainte, dans notre crainte à tous les deux, tel qu'il sied à un couple véritable, je vous ai tenu contre moi, vous empêchant la chute. Ce n'était-il point un signe pour vous, comme cela l'a été pour moi ?

Je sais que je ne rencontrerais plus jamais rien ni personne qui m'inspire de la passion. Se mettre à aimer quelqu'un est une entreprise, et vous seule m'avez fait découvrir à quel point il vaut la peine de se battre pour conserver un amour tel que celui que je vous porte et que vous me portez, malgré votre réticence envers moi. II faut avoir une énergie, une générosité, un aveuglement... II y a même un moment, tout au début, ou il faut sauter par-dessus un précipice. Si l'on réfléchit, on ne le fait pas. Je sais que je ne sauterai plus jamais. Pas après vous avoir découvert.

Je vous implore, mon Isabelle, revenez-moi. Vôtre, à jamais.

Louis de Bourbon


- Sa Majesté est un poète accomplit.

Madame de Langlois replie la lettre en soupirant.

- Il semblerait, Amélie. Mais je crains que même ces mots doux ne suffisent point à me faire revenir vers lui. À combien de femmes a-t-il dit cela avant moi ?

- C'est la peur qui parle pour toi, Isabelle. Es-tu bien certaine de ne point vouloir lui donner une chance ? Six jours sont passés depuis notre départ de Vaugirard. Et les enfants ?

La comtesse se lève brusquement du sofa vert où les deux amies sont installées.

- Six jours ne sont pas assez ! Et n'implique pas les enfants dans cette affaire ! Cela ne les concerne pas !

- Grand Dieux, reprend tes esprits ! Tu oublies que ces chers petits sont tes enfants adoptifs comme ils sont les siens ! Comptes-tu réellement sacrifier ton bonheur sur l'autel de tes insécurités ?

Amélie voit le regard bleu de sa meilleure amie se décomposer douloureusement. Cette dernière finit par se laisser tomber sur le canapé, le corps secouée de sanglots. Mademoiselle de Beaulieu s'empresse de la prendre dans ses bras.

- Isabelle, soupire-t-elle. Je t'ai vu souffrir plus que de raison, de la mort de ta famille jusqu'à ton empoisonnement à la cantarelle. Et maintenant ceci. S'il y a bien une chose que ce jeu mortel nous a appris, c'est que la vie est remplie d'épreuves terribles, mais aussi de rencontres et de choses merveilleuses qui nous invitent à espérer.*

L'accablée relève un regard larmoyant vers son amie de toujours. Celle-ci continue.

- S'il te faut du temps, prend-le. Toutefois, use-le sagement.

L'Amour du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant