𝙵𝚕𝚘𝚘𝚍𝚎𝚍 𝚖𝚎𝚖𝚘𝚛𝚒𝚎𝚜 - ɬąɛɠıƙơơƙ

1. Underwater

« Bonjour, Yoonie ! Comment ça va ?
- Ça va. » répondit-il en hochant la tête.

L'homme qui apportait joyeusement un paquet avec la notation de l'enseigne « Kibimbap » se nommait Jungkook. Il avait les cheveux noirs aux épaules, quelques striures de violet tendant sur le rouge foncé rompaient l'unité de la couleur ; un œil joueur, perçant, un style vestimentaire qu'il avait un jour qualifié de « Super cool », inspiré du streetwear originaire de Corée. Un très beau jeune homme, plaisant à regarder, qui ne devait laisser que peu de gens indifférents ; et pourtant, ses souvenirs laissèrent un goût amer sur ses lèvres lorsque celles-ci croisèrent celles de son cadet.

Ce dernier apportait ses friandises préférées, des kimbap miel-sésame. Cela ne faisait que six jours que Yoongi s'était réveillé de son coma, qui, étonnamment, n'avait pas duré plus d'une semaine. Il avait entendu son médecin, soulagé, parler de la chance qu'il avait eue en réchappant à la rééducation totale et au long sommeil qui avait été prévu.
Une chance ? Il aurait préféré mourir. Tous les jours, il embrassait un inconnu dont il ne savait presque rien, prétendant pour ne pas le blesser d'apprécier ces gestes d'affection.

Ça finira bien par me revenir...

Pensait-il. Il ne voulait pas faire du mal au plus jeune, lui qui était si heureux de le voir en vie lorsqu'il s'était réveillé...Il en serait dévasté, le patient sentait que déjà sur les baisers échangés, le doute s'installait et l'inquiétude se mêlait à leurs chairs.
Il ne lui avait pas menti, cependant : dès leur « première » rencontre, il avait mis au clair l'absence de souvenirs concernant quiconque, tel lieu ou tel moment. Tout concernant celui qui se comportait comme son supposé amant avait été effacé, les seuls songes qui revenaient de temps à autre étaient une voix rauque, profonde et grave, mais rassurante ; un visage à moitié visible faisait alors surface, totalement enfoui sous une épaisse couche de buée. C'était comme regarder dans un miroir après une douche brûlante, le monde se réduisant à la salle de bains et sa vapeur pesante.

Yoongi était enfermé, dans une pièce comme celle-ci, à l'air lourd et chaud, semblant presque irrespirable.

Était-il sous l'eau ?
Il semblait que oui.
Des mains s'activaient sur son corps, passant avec douceur sur ses épaules et son torse, s'attardant sur certaines zones qui accueillaient délicatement les doigts baladeurs. Peut-être, à cet instant, avait-il ressenti de l'extase, de l'excitement ; seules les sensations remontaient, abandonnant leurs émotions sur le chemin.
La vision de Yoongi était brouillée, par l'eau ou l'oubli, et lorsque, à bout de souffle, il se sentit être tiré hors de la baignoire, deux yeux ronds, noirs, flous, se posèrent sur le haut de son corps visible, immobiles.

« Ygi,,,,!... » murmurèrent les deux lippes, dans une phrase incompréhensible. Un index — ou du moins, un doigt — passa sur les lèvres de l'amnésique, remonta vers son oreille avant de relever les cheveux mouillés vers l'arrière.
Le souvenir coupa, reprenant bien loin après. Yoongi se tortillait sur le sol, une main sur sa bouche pour en étouffer les soupirs, l'autre torturant sa poitrine en lacérant les alentours des mamelons roses, détonnant sur sa peau pâle. Ses yeux étaient fermés, figés sur une expression douloureuse et fiévreuse, ses cheveux en bataille, ses joues rouges de la chaleur corporelle qui se dégageait, à elle seule, de la scène.

Plus bas, le même inconnu aux yeux vides effectuait de rapides mouvements de haut en bas dans le bas-ventre de Yoongi, la main libre prenant appui sur le sol, le corps flouté surplombant ainsi celui qui ne savait plus où donner de la tête, un Nord ou un Sud, suant à grosses gouttes, le souffle erratique soulevant irrégulièrement son ventre.
Il fermait les yeux, mordant sa lèvre inférieure pour se contenir un tant soit peu, son expression faciale trahissant pourtant sa faiblesse, le coupant du monde.

Venant gratter la paroi intérieure du trou, l'inconnu avança le haut de son corps plus près de celui du jeune homme, qui avait la peau marquée de traces rouges rectilignes, et passa ses lèvres sur ces dernières, le picotement dû à la fraîcheur des plaies amenant un frisson sur le dos cambré de l'aîné, la chair de poule remontant sur ses épaules, ses bras, alors que ses mains s'agrippaient à la nuque de son amant, les doigts glissant sur les cheveux, et revenant se raccrocher, comme désespérément, encore et encore, comme s'il s'agissait du seul moyen de le maintenir à flot, de ne pas s'abandonner à l'extase dans l'immédiat.

Mais alors que le souvenir, doucement, se faisait plus distinct, les sons plus audibles et enfin les sensations plus charnelles qu'éphémères, plus consistantes, il s'estompa aussi rapidement qu'il était apparu. Yoongi, les yeux écarquillés, se redressa en sueur dans son lit, les coudes appuyés contre le matelas. Les draps étaient moins doux.

Moins doux que quoi ?

Il ne savait pas. Une impression, qu'un jour il avait dormi dans une couette moins rêche et plus confortable — et aux côtés de quelqu'un.
La présence de cet homme dont il avait rêvé — ou souvenu ? — était presque palpable, tant son souffle avait été proche du sien. Mais qui était-ce, là...il ne s'agissait pas de Jungkook, ses cheveux étaient trop courts et ses épaules trop larges. À moins qu'il ait mal regardé ? Se pourrait-il que, par le passé, il eût entretenu une telle relation avec son cadet ? Il était clair qu'ils avaient des antécédents, mais était-elle si fusionnelle qu'elle y paraissait ?

Rejetant la couverture sur la droite, l'amnésique se leva, s'approchant de sa fenêtre et contemplant le ciel gris-violet de la nuit. Qui était cet homme, qui hanterait désormais le moindre de ses songes ?

Il souleva le haut de son pyjama, son torse pâle apparaissant sous le vêtement. Certaines des traces substituaient encore, faiblement. Elles avaient déjà cicatrisé, et presque disparu, mais la présence de traces plus profondes était bien la preuve qu'il ne s'agissait pas seulement d'une des multiples inventions de la tête du patient, mais un événement réel qui, malgré le manque de détails à son sujet, semblait récent et terriblement important. Que s'était-il passé, cette nuit-là, pour qu'à nouveau le flottement presque aquatique étouffe les plaintes de la mémoire et emprisonne les mouvements des quatre membres de Yoongi dans une lenteur effrayante ?

Pourquoi, sans arrêt, la pensée approximative de cet homme le ramenait systématiquement dans un océan étranger dans lequel flottaient autrefois les limpides fragments de sa vie ?